En Allemagne la crise automobile entraîne la Sarre dans une grave récession avec des milliers de suppressions d'emplois à venir

Traditionnellement forte de son industrie lourde et notamment de sa sidérurgie, la Sarre doit affronter l’une des plus importantes crises de son histoire. L’annonce du géant américain Wolfspeed de reporter l’installation de son usine de puces dans le plus petit Land allemand vient s’ajouter à plusieurs fermetures de sites programmées dans les années à venir. La forte chute des ventes de voitures outre-Rhin est mise en avant par les entreprises concernées.

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Dans la grande halle où s’entassent les tôles fortes, l’odeur âcre de la soudure colle aux narines. Mais pas un ouvrier à l’horizon. "Depuis quelques semaines on ne travaille plus le vendredi, et c’est calme depuis plusieurs mois" soupire le patron de cette petite PME basée près de Hombourg, dans l’est de la région. Spécialisée dans le travail du métal et sous-traitante de plusieurs gros sites sidérurgiques, l’entreprise souffre du fort ralentissement de l’activité industrielle de la Sarre : "on a rarement eu aussi peu d’activité… Il y a un an je désespérais de trouver des salariés qualifiés pour tenir les délais de fabrication, heureusement finalement que je n’ai embauché personne !".

Les entreprises délocalisent leurs activités dans des pays moins disants en termes de coût du travail, et laissent les salariés sur le carreau. Depuis le traité de Maastricht, l’Europe permet la libre circulation et installation des entreprises, on en voit le triste résultat

Arsène Schmitt

Président du Comité de défense des travailleurs frontaliers de la Moselle

Peuplée d’un million d’habitants sur un territoire plus petit que la Moselle voisine, la Sarre a longtemps tiré son économie de la richesse de son sous-sol et de la présence d’une industrie lourde, capable de transformer les minerais en aciers à forte valeur ajoutée. Mais la dernière mine de charbon a fermé en 2012, et même si l’entreprise sidérurgique Saarstahl affiche une santé insolente, la région doit faire face à de nombreux revers de taille.

Bousculée par le choc pétrolier dans les années 70, la Sarre a su protéger sa sidérurgie tout en diversifiant son industrie, dans l’automobile et les services notamment. Mais les évolutions récentes du marché plombent la région : l’usine Ford, installée à Sarrelouis depuis 1970, fermera en 2025. Elle emploie actuellement 4500 salariés, dont de nombreux travailleurs frontaliers mosellans. La direction de Ford a préféré son usine de Valence en Espagne pour produire ses futurs véhicules électriques.

Le manufacturier français Michelin, présent en Sarre depuis 1971, a annoncé qu’il allait procéder à des restructurations sur plusieurs sites de production en Allemagne, dont celui de Hombourg. Sur les 1400 salariés qui y fabriquent des pneus de camion, 800 devraient perdre leur poste d’ici 2025.

Plus gros équipementier automobile en Sarre, le groupe ZF a annoncé qu’il allait supprimer le quart de ses effectifs allemands. En Sarre, les usines ZF emploient 10000 personnes, dont 35% de frontaliers lorrains. Selon les syndicats, 1800 emplois devraient être supprimés dès 2025, et probablement encore le double d’ici 2028. L’équipementier produit notamment des boîtes de vitesses à Sarrebruck. Pour les spécialistes du secteur, ZF paie à la fois une politique de croissance externe mal maîtrisée, et une transition trop laborieuse vers les véhicules électriques.

La plus grosse usine du monde ne sera pas en Sarre

Pour compenser la perte de ces emplois, la Ministre-président socialiste de la Sarre, Anke Rehlinger, comptait sur l’arrivée prochaine du groupe américain Wolfspeed à Ensdorf, où se trouve une ancienne centrale à charbon désaffectée. Le chantier, qui devait être lancé en 2025, devait permettre de créer une usine de productions de puces électroniques destinées au marché automobile, "la plus grosse du monde". Coût total de l’investissement : 2,7 milliards d’euros pour 600 emplois créés. Et plus de 500 millions de subventions de l’Etat et du Land.

Le projet devait voir le jour avec le partenariat de… ZF ! Selon le journal économique allemand  Handelsblatt cité par le quotidien français les Echos, "le groupe ZF se serait bel et bien retiré du projet, qui devait initialement créer 600 emplois dans la région".

Selon nos confrères de l’Usine Nouvelle, "ce désengagement en Allemagne peut aussi s’expliquer par le fait que Wolfspeed dispose de deux autres grands projets aux Etats-Unis, avec l'extension de sa production de puces dans son usine de Marcy dans l'Etat de New York et une nouvelle usine de wafers en Caroline du Nord. Pour cette dernière, Wolfspeed a reçu la promesse de 750 millions de dollars de subventions publiques".

Wolfspeed serait allé au plus offrant ? Dur à avaler pour Anke Rehlinger qui a déclaré lors d’une conférence de presse que "le projet n’est pas abandonné, mais Wolfspeed reporte l’investissement à une date indéterminée, en fonction de l’évolution de la situation du marché". Le groupe américain invoquerait l’avenir incertain du marché automobile en Europe, le ralentissement de l’économie allemande et une concurrence féroce des constructeurs chinois.

L'Allemagne proche de la récession économique ?

Revers de taille ou simple contretemps ? Selon les médias spécialisés, la Sarre comme l’Allemagne sont au bord de la récession. L’industrie automobile sarroise représente encore, avec cinq sites de production majeurs, les 2/3 des emplois industriels de la région. Pour combien de temps encore ? "On a fait de gros efforts sur les salaires pour recruter ces dernières années" estime le patron de PME hombourgeois, "c’était un pari mais on n’avait pas le choix parce qu’il fallait répondre à nos clients. J’espère que je ne le regretterai pas".

Et si l’inventaire était encore trop court, le fabricant de grues Tadano en Rhénanie-Palatinat voisine, a annoncé que plusieurs centaines d’emplois seraient supprimés prochainement. "Jamais nous n’avons connu une situation pareille" se désole Arsène Schmitt, le président du Comité de Défense des Travailleurs Frontaliers de la Moselle, qui représente 13000 frontaliers lorrains salariés en Allemagne.

"Dans plusieurs cas, les entreprises délocalisent leurs activités dans des pays moins disants en termes de coût du travail, et laissent les salariés sur le carreau. Depuis le traité de Maastricht, l’Europe permet la libre circulation et installation des entreprises, on en voit le triste résultat" estime Arsène Schmitt. Dans la plupart des fermetures annoncées, "pas un seul jour de grève pour protester" enrage le militant associatif. Les suppressions de poste en Sarre pourraient affecter plusieurs milliers de frontaliers lorrains : ils sont un millier à ZF, autant chez Ford, sur un total de 18000 en Sarre.

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