Le gisement lorrain, découvert récemment, pourrait contenir jusqu’à 46 millions de tonnes d’hydrogène blanc, c’est-à-dire plus de la moitié de la production annuelle mondiale actuelle d’hydrogène gris. L’annonce d’Emmanuel Macron de financer cette piste pour une énergie pour l'avenir lance la ruée vers l’or blanc. Un nouvel eldorado, mais pour qui ?
Ce lundi 11 décembre, le président de la République, Emmanuel Macron, a annoncé "des financements massifs pour explorer l’hydrogène blanc" comme source d’énergie alternative aux énergies fossiles. "La France peut devenir l'un des pays pionniers dans cette énergie du futur". Et dans ce domaine, la découverte récente en Lorraine, en sondant le sous-sol depuis la commune de Folschviller en Moselle, du plus gros réservoir mondial connu à ce jour, a redonné de l’espoir à une région marquée par la fin de l’industrie sidérurgique.
Les deux scientifiques à l’origine de cette découverte, Philippe De Donato et Jacques Pironon, tous deux directeur de recherche au laboratoire GeoRessources de l'Université de Lorraine, CNRS, étaient les invités du journal de France3 Lorraine, lundi soir.
"L’avantage de l’hydrogène blanc est qu’il est une source d’énergie primaire. Pas besoin d’énergie pour être transformé. C’est une ressource directement utilisable", explique Philippe De Donato. "L’hydrogène vert et l'hydrogène gris sont deux sources d’énergie secondaire."
Ce gisement lorrain pourrait contenir jusqu’à 46 millions de tonnes d’hydrogène blanc.
Philippe De Donato et Jacques Pironon
"Ce n’était pas cela que l’on cherchait", ajoute-t-il. "C’était une demande de la région Lorraine. On voulait étudier le potentiel de ressources en méthane. On a imaginé et mis au point un outil qui n’existait pas pour nous permettre de descendre en profondeur et de mesurer la concentration de gaz dissous dans le sol. Au moment où je vous parle, on est à 1.250 mètres de profondeur."
L'outil dont parle le chercheur est la sonde SysMoG. Elle permet une auscultation du sous-sol à partir de puits d’un diamètre intérieur de 6 cm. Dans un article, ils expliquent : "L’hydrogène était présent en forte proportion et sa concentration augmentait avec la profondeur pour atteindre 20 % à 1.250 mètres de profondeur. De telles proportions nous permettent désormais de considérer qu’à 3.000 mètres de profondeur, la teneur en hydrogène pourrait dépasser 90 %, d’après nos modélisations. Ce gisement lorrain pourrait contenir jusqu’à 46 millions de tonnes d’hydrogène blanc, c’est-à-dire plus de la moitié de la production annuelle mondiale actuelle d’hydrogène gris."
Un eldorado pour les scientifiques et les industriels
Pour les scientifiques du laboratoire GeoRessource, le projet initial intitulé "REGALOR" se terminera dans quelques jours, à la fin de l’année. Grâce à la découverte de ce gisement, ils vont pouvoir poursuivre leurs recherches : "On entame un "REGALOR II", en collaboration avec la Française de l’Energie prochainement. On souhaiterait que ce programme débute en avril 2024 et se termine en 2027. Trois années de plus pour l’exploration, l’estimation des ressources et pour inventer les outils de l’exploitation", explique Jacques Pironon.
Ici, l’hydrogène est dissous dans l’eau, qui est sous nos pieds. Il nous faut inventer de nouveaux systèmes pour l'exploiter
Jacques Pironon, directeur de recherche au laboratoire GeoRessources de l'Université de Lorraine, CNRS
Pour ce projet "REGALOR", les scientifiques sont associés à des industriels. C’est la Française de l’Énergie qui a mis à la disposition des chercheurs le site d’expérimentation déjà foré et équipé à Folschviller. La FDE (Française De l’Énergie) est un producteur multi-énergies, qui propose des solutions à empreinte carbone réduite.
Elle produit du gaz, de l’électricité et de la chaleur à partir des ressources locales ou de l’énergie solaire. Elle est présente en Lorraine, dans les Hauts-de-France et en Wallonie
Un procédé d’extraction à inventer
Pour l’heure, les deux scientifiques ne s’avancent pas sur le processus d’extraction de l’hydrogène blanc. "On est toujours dans les phases d’exploration. Il faut rester prudent. Il faut connaître ses gisements sur son extension latérale et puis son extension en profondeur avant de poser des questions sur sa production.
On est en face d’un nouveau gisement, pas d'un gisement classique. Il n’a pas les caractéristiques d’un gisement de gaz ou de pétrole. Ici, l’hydrogène est dissous dans l’eau, qui est sous nos pieds. Il nous faut inventer de nouveaux systèmes pour l'exploiter ", explique Jacques Pironon.
C’est quoi l’hydrogène blanc ?
Dans leur article, dans The Conversation, les deux scientifiques racontent : "Blanc ? Gris ? Derrière ces "couleurs" de l’hydrogène, se cache en fait sa provenance en lien avec son mode de production. Pour rappel, l’hydrogène est un gaz qui, la plupart du temps, est combiné à d’autres éléments, dans l’eau, dans les énergies fossiles… L’hydrogène gris correspond ainsi à l’hydrogène produit en usine par transformation de gaz naturel. Il s’agit actuellement de la première provenance d’hydrogène utilisée comme source d’énergie, qui est critiquée pour la quantité de CO2 émise durant le procédé.
Hydrogène naturel : pourquoi la France espère beaucoup de cet "or blanc" qui pourrait accélérer la décarbonationhttps://t.co/4Zkphu3woU
— franceinfo (@franceinfo) December 12, 2023
L’hydrogène noir est quant à lui produit à partir de charbon, l’hydrogène vert est, lui, le résultat d’électrolyse de l’eau avec de l’électricité produite à partir d’énergie renouvelable. Pour toutes ces formes d’hydrogène, on parle donc d’énergie secondaire. L’hydrogène blanc, qui nous intéresse ici, correspond à l’hydrogène déjà présent en l’état dans la nature. Il s’agit alors d’une source d’énergie primaire."
L’origine de l’hydrogène lorrain
"Concernant la Lorraine, nous privilégions pour l’instant l’idée que l’hydrogène est ici le résultat de la présence, à la fois, de molécules d’eau et de minéraux composés de carbonates de fer. Deux composés qui, lorsqu’ils entrent en contact, génèrent des réactions d’oxydation du minéral et de réduction de l’eau, qui aboutissent à la production d’hydrogène (H2) et d’oxydes de fer. Si cette hypothèse se confirme, cela implique que cette production d’hydrogène, en plus d’être colossale et naturelle, pourrait donc être presque "renouvelable". Ces processus chimiques d’oxydation et de réduction demeurent rapides (de l’ordre de quelques semaines ou mois) et, la réserve de carbonate de fer dans le sous-sol lorrain est quasi infinie."
Une meilleure compréhension de la genèse de ce gisement permettrait également de décrire les formations rocheuses favorables à l’émergence d’hydrogène en termes de composition minéralogique, de chimie des eaux, de température subie et de profondeur d’enfouissement. Ce qui permettrait donc de produire de nouveaux guides de prospection afin de sonder les sous-sols d’autres régions. Plusieurs pays, frontaliers ou non, se montrent déjà intéressés.