L’ex numéro Un mondial de l’acier organisait, mardi 21 septembre, un événement pour présenter son dernier investissement sur le site de Florange : une ligne de laminage à la pointe de la technologie, baptisée Galsa2.
Inaugurer un outil industriel un an et demi après son lancement opérationnel déroute forcément, même avec les contraintes liées à la pandémie.
Après une première bobine laminée en décembre 2019, la ligne Galsa2 était entrée en production dès le printemps suivant, à marche réduite, Covid oblige.
Difficile pourtant, pour les sidérurgistes de la vallée de la Fensch, de ne pas rapprocher ce baptême officiel du dixième anniversaire de l’arrêt du haut fourneau P6, le 3 octobre 2011… Surtout pour ceux qui ont mené la lutte pendant dix-huit mois, afin d'obtenir le redémarrage de la filière liquide : "avec l’arrêt des hauts fourneaux et de l’aciérie, on a perdu un outil industriel, et on le regrette. Mais tout le monde a retrouvé un poste dans l’entreprise, et c’est ça qu’on veut retenir aujourd’hui", estime Jérôme Baron, de la CFDT ArcelorMittal Florange (majoritaire).
Neuf
La centaine d’invités qui a pu visiter Galsa2, mardi 21 septembre 2021, reconnait en avoir pris plein la vue. L’outil est ultra moderne, propre comme un sou neuf. ArcelorMittal a investi 89 millions d’euros dans cette ligne de galvanisation qui lui permet de rivaliser avec la majorité de ses concurrents directs.
Le numérique est partout, porté par la fameuse "transformation digitale", prônée par l’ancien numéro 1 mondial de l’acier. Les ouvriers sont des opérateurs. La ligne se pilote au bout du bras, grâce à une interface sur tablette qui s’apparente à une application pour smartphone. La maintenance est "prédictive" : l’installation prévient avant de tomber en panne.
Avec Galsa2, ArcelorMittal investit au cœur de la spécialité du site : le laminage à froid.
A sa création en 1948, sous le nom de Société Lorraine de Laminage Continu (SOLLAC), l'usine fonctionnait comme une coopérative chargée de fabriquer des aciers plats, pour l’automobile (structure et carrosserie), l’emballage (les boites de conserves), et l’industrie (l’électroménager et le BTP par exemple).
En amont, se trouvait la filière liquide ou chaude, avec des hauts-fourneaux qui produisent de la fonte, transformée en acier sous forme de lingots puis de brames. Avec l’arrêt des hauts-fourneaux en 2011, les usines de la vallée de la Fensch n’ont conservé que les usines à froid : le laminage en bobines.
ELSA
Galsa2 est née de l’abandon d’une autre ligne de laminage à froid, ELSA.
Entre 1983 et 2017, cette ligne d’électrozingage a notamment fourni Mercedes, qui fut également son dernier et seul client. La firme allemande a abandonné ce process, qui sert à protéger la tôle de la corrosion grâce au zinc, pour faire comme ses concurrents : privilégier la galvanisation. Avec cette méthode la bobine d’acier reçoit une couche d’aluminium et de silicium. Sur le plan mécanique, il est beaucoup plus résistant et plus léger.
En 2017, ArcelorMittal a donc progressivement transformé ELSA en Galsa2, pour mieux coller aux attentes des clients automobiles et augmenter les capacités de production de son produit phare : l’Usibor®, brevet ArcelorMittal.
La nouvelle ligne tourne à feux continus, 24h sur 24, 7 jours sur 7, grâce à cinq équipes, depuis février 2021. L’objectif : 800 000 tonnes par an à pleine charge.
"On n’y est pas tout à fait", livre Jérôme Baron, "puisqu’on ne produit que 650 à 700 tonnes par poste, alors qu’on devrait grimper à 800 pour atteindre cet objectif, mais on attend encore les derniers investissements prévus, notamment le déplacement de la ligne d’inspection et la nouvelle organisation logistique pour l’emballage des bobines".
Température sociale
"On était sur les lignes le matin, pour prendre la température des salariés concernant la marche de l’outil et l’événement. Les gars se réjouissent d’avoir un outil au top, propre, et performant. Mais ils regrettent de n’avoir pas pu participer pleinement aux réjouissances, parce que c’est grâce à eux que la ligne fonctionne", estime Lionel Burriello.
L’avis est partagé par Jérôme Baron de la CFDT : "nous félicitons ceux qui ont permis de concrétiser ce projet et qui le font tourner. On s’est battu pour l’avoir, on ne peut qu’être satisfait de le voir fonctionner. Pour que ça marche, il nous faut encore des garanties en termes d’effectifs et de compétences notamment en maintenance. On y veille, comme on veillera à obtenir une nouvelle ligne d’étamage".
La CGT, qui a tracté le jour même, digère mal de voir si peu de salariés associés à la fête : "plutôt que de fêter l’arrivée de cette nouvelle ligne avec les salariés du site de Florange, la direction a préféré organiser une fête avec les politiques, Préfet, élus et député, qui pour certains ont été complices de l’arrêt de notre filière liquide".
Le syndicat estime que le compte n’y est pas : "629 emplois ont été détruits avec l’arrêt de la filière fonte, et Galsa2, c’est même pas une centaine de postes".
Les chiffres lui donnent raison : en dix ans, ArcelorMittal a perdu un millier d’emplois, avec aujourd’hui 2.200 salariés dans la vallée de la Fensch. Le plus important site sidérurgique lorrain, qui aspire selon sa direction à devenir la référence du groupe en matière de laminage à froid, connait une très bonne année 2021 : "on est chargé à fond, toutes les installations tournent au maximum" selon Jérôme Baron.
Résultats et profits sont attendus par les actionnaires en décembre.
Ils confirment un peu plus encore la vision prophétique de Jean-Louis Malys (sidérurgiste et ancien numéro 2 de la CFDT) qui affirmait en 1991 lors de la lutte contre la fermeture des hauts fourneaux d’Uckange : "en 2000, il restera de la sidérurgie lorraine une petite usine, 2.000 ou 3.000 salariés, ultra compétitive… Ah du fric, il y en aura ! Mais des emplois il n’y en aura plus !".