Spécialisé dans la médecine de guerre, le Messin Raphaël Pitti a effectué une mission de deux semaines dans la bande de Gaza. Il y a notamment aidé ses collègues médecins de l'hôpital européen de Khan Younes, au sud de la région. Il raconte une situation chaotique et son inquiétude face à la situation humanitaire sur place.
Ce n'est pas sa première fois sur le terrain, loin de là. Raphaël Pitti est un ancien médecin militaire qui connaît bien les zones de conflits. Il s'est engagé dans l'action humanitaire il y a plus d'une dizaine d'années et s'est rendu une trentaine de fois en Syrie, pour y former à la médecine de guerre et de catastrophe, avant de reproduire l'expérience, en avril 2022, en Ukraine. Pourtant, il n'avait jamais vécu une situation aussi difficile que celle de Gaza. Après s'être retrouvé face au refus d'autorisations pour s'y rendre, il a pu entrer sur le territoire avec son équipe pour une mission de deux semaines, du 22 janvier au 6 février 2024. Il témoigne, au micro de notre journaliste Catherine Reggianini, encore secoué par ce qu'il vient d'y vivre.
Qu'est-ce qui a motivé votre décision de vous rendre à Gaza ?
Lorsque l'on a vu la contre-attaque des Israéliens et la manière dont ils procédaient par rapport à ces populations, il était clair qu'elles avaient besoin d'être prises en charge sur le plan humanitaire et donc, avec les ONG, nous avons voulu y aller. Sauf qu'on a été confronté au refus des Israéliens de laisser entrer les ONG internationales. Alors, nous avons créé un collectif en disant : c'est inacceptable ! Sur le plan humanitaire, ce n'est pas possible qu'on empêche les ONG de faire leur travail. Personne n'a le droit de les empêcher de rentrer. Or, c'est ce qui s'est passé.
Pouvez-vous décrire la situation à l'hôpital, celle à laquelle vous avez dû faire face ?
À notre arrivée à l'hôpital européen, il y avait une énorme foule qui était là. Quand elle s'est rendue compte que nous étions des étrangers et que nous avions réussi à entrer dans la Bande de Gaza, ça a été une sorte d'éclat de joie, comme si nous étions une force libératrice. Et c'était vraiment très touchant.
Dans l'hôpital, il y avait plus de 3 000 personnes qui vivaient, partout, dans les couloirs, les escaliers, si bien qu'on pouvait à peine circuler durant la nuit. Et c'est pire que ça. C’est-à-dire que la nuit, comme il faisait froid à l'extérieur, beaucoup rentraient dans l'hôpital pour pouvoir dormir au chaud et éviter éventuellement les bombardements qui étaient constants. Il y avait aussi le bruit particulier d'un drone de surveillance qui était là jour et nuit. C'était une espèce de gros bourdonnement qui tournait en permanence. Et là-dessus, vous avez des ambulances qui arrivent à toute vitesse. Alors, on descend les victimes des bombardements ou des tirs de snipers et là, c'est vraiment une situation épouvantable. Les soignants arrêtent de soigner les patients qui sont aux urgences pour des pathologies aiguës. Mais il n'y a plus de place, plus de boxe pour l'arrivée des polytraumatisés. Alors, où sont les polytraumatisés ? Par terre. On est obligés de soigner les traumas de la face, les brûlés, les amputés traumatiques, par terre.
C'est une situation exceptionnelle, jamais vécue avant. Bien évidemment, les règles d'hygiène ne sont pas respectées. C'est très sale partout et il y a beaucoup d'infections. Les patients qui ont subi une intervention chirurgicale reviennent ensuite avec des infections parce qu'ils n'ont pas les moyens d'avoir une hygiène suffisante. Et ce qui n'a pas été amputé, doit l'être parce qu'il n'y a pas d'autre possibilité. Avant de partir, j'ai vu un enfant de trois ans amputé du bras gauche, amputé des deux jambes, quel est l'avenir de cet enfant dans ce pays dévasté par cette violence ? Et sur le plan éthique, il y a le problème du tri. Les urgences immédiates ne sont pas prises en charge. Par exemple, les victimes des snipers qui tiraient systématiquement dans le crâne, on n'a pas d'autre choix que de les laisser mourir. Parce que l'on doit économiser la morphine, les sédatifs, etc.
Selon vous, quels sont les besoins d'urgence sur place ?
Le cessez-le-feu. Il faut absolument assurer cette population. Les bombardements sont constants jour et nuit. Le droit humanitaire international n'est absolument pas respecté. L'aide humanitaire ne peut pas rentrer. Donc, on est dans une situation inacceptable sur le plan humanitaire, sur le plan du droit humanitaire international. Puis, il manque de tout en termes de médication. Il faudrait pouvoir prendre en charge les besoins de santé primaires, c’est-à-dire les pathologies aiguës et saisonnières liées aux conditions de vie, comme les bronchites chez les enfants. Il y a aussi les pathologies chroniques qui ont besoin d'être prises en charge. Enfin, il faut soulager les hôpitaux. L'idée pour nous, était de mettre en place des centres de soins primaires pour désengorger les hôpitaux.