TEMOIGNAGES. De leur carrière de mineurs, ils ne regrettent rien : "si c'était à refaire, je le referais"

Le 20 septembre 2003, la dernière berline de charbon remontait de la mine Vouters à Freyming-Merlebach après 150 ans d'exploitation. Vingt ans plus tard, deux anciens mineurs se souviennent avec émotion de la cérémonie d'adieu.

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L'association "Les amis de l'Histoire du Pays de la Merle" fait revivre à partir de mercredi 20 septembre 2023 l'épopée du charbon à Freyming-Merlebach (Moselle). Voilà vingt ans jour pour jour, la dernière berline remontait du puits Vouters et mettait fin à 150 ans d'extraction dans une des unités d'exploitation les plus productives de France. Dans les années soixante, elle comptait 5500 mineurs et le rendement atteignait trois tonnes et demie par homme.

Même si la fin de l'exploitation minière dans le bassin houiller sera actée huit mois plus tard avec la fermeture du dernier siège de la Houve (Moselle), Merlebach est considérée comme la capitale du charbon Est-mosellan. A ce titre, la remontée de la dernière berline a valeur de symbole et doit être le lieu d'une grande cérémonie d'adieu au charbon à l'ombre des chevalements du site Vouters. Ainsi en a décidé la direction des Houillères du Bassin de Lorraine (HBL) en 2004.

Deux mineurs de fond gardent un souvenir précis de cette journée particulière. Edmond Michalski et Lucien Tarillon étaient en charge de l'aspect technique de la remontée des berlines de charbon et du matériel exposé au public sur le carreau le 20 septembre 2003. Tout a dû être organisé en un temps record :

Edmond Michalski : le délai était très court parce qu'au départ, nous avions prévu une cérémonie plus intime pour marquer le coup, un truc un peu plus restreint. On a presque tous été dépassés par l'ampleur de l'évènement, on a été vraiment surpris de l'engouement que cela a suscité.

Lucien Tarillon : heureusement tout le monde a joué le jeu. Au départ, ce n'était que la fête du 20 septembre mais après on a eu l'ordre d'organiser une opération "portes ouvertes" sur le site. Alors là... il a fallu remonter au jour toutes les machines du fond y compris un petit train pour faire voyager les gens entre le carreau de la mine Vouters et la carrière voisine [qui servait à remblayer les vides laissés par l'extraction du charbon, NDLR]

Vingt ans après cette cérémonie qui les a profondément marqué, Edmond et Lucien savent qu'ils sont parmi les derniers à entretenir le souvenir de l'épopée du charbon dans l'ancien bassin houiller. Vingt ans, c'est une génération et ils regrettent de ne pas voir de relève :

Edmond : je fais partie de la Fédération des mineurs, c'est l'organisme qui gère les commémorations. Je pense qu'on est arrivé avec notre génération au bout d'un cycle parce qu'on a une population qui est vieillissante. 

Lucien : moi, je me pose des questions par rapport à demain. On est encore en capacité d'entretenir la mémoire mais demain ? Je ne suis pas sûr qu'on aura encore des gens pour reprendre le flambeau. Je me désole que ça se perde tout doucement et qu'on laisse tout à l'abandon.

Edmond : j'espère qu’un jour nous aurons peut-être une génération ou deux avec des gens qui se souviendront qu'à Merlebach, on a fait du charbon. 

Huile et ketchup

Avec ses fenêtres borgnes, ses accès condamnés et la végétation envahissante, les bâtiments en briques rouges de Vouters apportent une confirmation muette aux propos désabusés de Lucien et Edmond. Mais cela ne dure pas car l'esprit solidaire, combatif et farceur des hommes du fond reprend vite le dessus. Ainsi cette anecdote : à la fin de l'opération "portes ouvertes", Lucien a eu droit à la traditionnelle "surprise" de fin de carrière organisée par son collègue Edmond :

Lucien : ce cochon-là avec l'aide de ses collègues m'a découpé mes habits et enduit d'huile et de ketchup !

Edmond : traditionnellement quand un chef porion partait à la retraite comme Lucien, il y avait toujours une petite surprise agréable. Il n'y a pas loupé ! Donc il s'est retrouvé pratiquement en caleçon, arrosé de ketchup et tout ce qu'il nous restait d'huile. Et puis voilà, il a fait son dernier poste avec ses collègues et toute l'équipe de travail.

De leur carrière de mineurs ils ne regrettent rien : "si c'était à refaire, je le referais." déclare sans l'ombre d'une hésitation Edmond Michalski.

Hochwald, Reumaux, Vouters, Cuvelette, Sainte-Fontaine, sont aujourd"hui des noms de quartier de Freyming-Merlebach et plus tout à fait des noms de carreaux de mines. A part deux chevalements encore debout, gigantesques témoins d'une époque glorieuse révolue, rien n'indique que des records d'extraction furent battus dans ce creux de vallée.

Vouters par exemple, sortait 1,4 million de tonnes de charbon par an. Reumaux n'était pas en reste avec "l'Electra 2000." Longue de douze mètres et pesant quatre-vingt tonnes, elle était la haveuse la plus performante du monde.

Le souvenir des catastrophes

Dans l'ombre de l'anniversaire du 20 septembre se profile aussi celui du 30 septembre 1976 où seize mineurs furent tués dans une explosion survenue à -1036 mètres de profondeur. Une stèle érigée au pied des bâtiments délabrés de Vouters préserve le souvenir de leur sacrifice. Sans oublier le terrible "coup de charge" survenu le 21 juin 2001 à Reumaux, Ce violent mouvement de terrain a fait un mort et huit blessés dont deux graves. 

Lucien estime qu'une de ses meilleures expériences vécue après la mine a été sa participation au spectacle mémoriel : "Les enfants du charbon", une aventure qui dura dix-sept ans avant de s'arrêter faute de moyens financier : "on a tous fait partie de cette belle histoire, moi pendant 6 ans. C'était une belle continuité de la fin de l'exploitation du charbon, c'était fort."

Aujourd'hui, les carrefours de Freyming-Merlebach sont décorés de berlines de charbon et de locomotives de fond. Ces vestiges auront-ils encore un sens pour les jeunes générations dans quelques années ?

Edmond et Lucien veulent y croire. A côté des locaux de l'association "Les amis de l'Histoire du Pays de la Merle" se trouve l'école primaire Reumaux. Je me suis arreté un moment, interpelé par une image à la charge symbolique très forte : un train de berlines accroché à une petite locomotive jaune trône dans la cour de récréation où les enfants jouent. 

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