Nature : le comptage des oiseaux, un formidable indicateur du climat, des habitats et des mesures à prendre

Compter les oiseaux, cela sert à quoi concrètement ? Christian Braun, directeur de la Ligue de la protection des oiseaux, nous explique en quoi ce comptage apporte une information scientifique d’envergure et comment elle engendre différents types d’actions sur le terrain.

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Deux fois par an, en hiver et au printemps, des campagnes de comptage d’oiseaux sont organisées à travers toute l’Europe. Pour quoi faire ? Pour mesurer la présence des espèces dans les différents territoires et donc les flux migratoires. Mais concrètement, qu’est-ce que cela change de savoir que telle ou telle espèce d’oiseaux pousse sa chansonnette en Alsace plutôt qu’ailleurs ? Selon le spécialiste Christian Braun, directeur de la Ligue de la protection des oiseaux (LPO Alsace)cette observation nous renseigne sur l’évolution du changement climatique, sur les aléas liés au changement des habitats, et commence heureusement à déclencher des actions en faveur des oiseaux sur le terrain.

Compter le nombre de mésanges bleues ou charbonnières, de verdiers, de pinsons et autres merles qui viennent s'alimenter dans les mangeoires de nos jardins et terrasses peut donc avoir une valeur scientifique ! Indispensable même pour comprendre l'avancée du changement climatique, mais aussi l'impact direct de l'homme sur l'habitat des oiseaux. Le grand public participe de plus en plus nombreux à ce comptage et les collectivités, tout comme certains agriculteurs et viticulteurs, commencent à prendre des mesures pour recréer des espaces favorables aux oiseaux, après les avoir détruits pendant des décennies. 

"En Alsace cet hiver, 150 particuliers ont participé au comptage des oiseaux" se réjouit le directeur de la Ligue de protection des oiseaux, "L'année précédente, ils étaient 80 et auparavant une trentaine. Plus il y a d’observateurs, plus les relevés sont nombreux et plus ils ont de la valeur." Les mangeoires en hiver sont un lieu d’observation idéal pour cette opération. Selon la LPO, il y a aujourd'hui plus de 300 espèces dans notre région, traversée chaque année par des dizaines de millions d'oiseaux migrateurs.

Des constats surprenants

Cet hiver 2020-21, les pinsons du nord ne sont pas au rendez-vous, mais les chardonnerets sont à nouveau plus nombreux. « Les oiseaux vont là où ils trouvent de quoi se nourrir. » explique Christian Braun « S’ils continuent à trouver de quoi s’alimenter au nord, ils ne s’envolent pas vers les pays plus au sud. » Donc si cet hiver, nous ne voyons pas de pinsons du nord dans nos mangeoires, c’est parce que les températures sont plus clémentes là où ils vivent habituellement, en Pologne ou en Scandinavie notamment, et qu’ils y trouvent toujours de quoi se nourrir. Inutile donc pour eux de faire le trajet jusque chez nous.

Les chardonnerets par contre sont de nouveau plus nombreux que les années passées. Dans leur cas, l’explication n’est pas climatique, mais liée au comportement humain. « Le chardonneret devrait être plus au sud à cette époque, mais la gestion du bord des routes a changé" se réjouit le directeur de la LPO, "on voit de nouveau apparaître des cardons et des cardères, dont ils se nourrissent. »

 

De la folie du désherbage à la création de trames vertes et bleues

Quand on aime que tout soit propre et tiré à quatre épingles, on a parfois la main lourde avec la tondeuse et les désherbants. Que ce soit dans les jardins privés ou dans les communes. Certains maires ont même dû batailler contre leurs administrés, pour laisser pousser naturellement quelques herbes et fleurs aux pieds des arbres et sur les trottoirs de leurs communes. D'autres ont fait place nette, éliminant le moindre brin d'herbe, empêchant toute graine de germer et ça, c'est le départ assuré d'une partie des passereaux. "Le verdier régresse à cause des pratiques humaines," continue le spécialiste. "Par endroit, il n'y a plus assez, ou plus du tout, de haies." La destruction de l'habitat oblige les oiseaux à aller voir ailleurs, à la recherche de nourriture et d'abris pour élever leurs petits. 

Mais les comportements changent enfin. Après avoir empêché les herbes folles de pousser sur les talus et en bord de route, après avoir coupé les arbres et les haies vives dans les champs, pour agrandir les surfaces à cultiver, "un mouvement très positif émerge depuis les dernières municipales" selon Christian Braun. Une sensibilité en faveur de la nature et de l'environnement apparaît parmi les citoyens et les élus. Alors de plus en plus, tout comme ses collègues spécialistes, il se trouve face à une demande croissante de conseils, de la part des communes et communautés de communes qui souhaitent refaire de la place à la nature. "On voit vraiment, au niveau local, des communes et des communautés de communes qui ont des projets. Trente-cinq communes du Piémont des Vosges par exemple ont un projet. Ils ne vont pas tous démarrer tout de suite, mais certains sont annoncés dès 2022."

 

Des parcelles réattribuées, en fonction des projets 

Certaines communes prévoient de transformer d'anciens champs de maïs en prairies. La démarche est déjà expérimentée à Muttersholtz et Bischoffsheim depuis plusieurs années. Lorsqu'un agriculteur prend sa retraite, la commune réattribue la terre à un porteur de projet respectueux de l'environnement. Un éleveur qui veut y faire paître des animaux sera par exemple prioritaire sur un gros céréalier conventionnel. "Si la démarche est encore marginale" explique Christian Braun "beaucoup de communes sont propriétaires de dizaines, voire de centaines d'hectares. Si elles revoient toutes les attributions de leurs terres, l'impact peut-être considérable." Selon le directeur de la LPO Alsace, également adjoint au maire à l'environnement, dans la commune de Bischoffsheim, de plus en plus d'élus sont prêts à louer des terres à des jeunes qui veulent s'installer en agriculture biologique, à préserver les zones humides, à recréer des mares, pour favoriser la présence des batraciens et autres petits habitants friands de ce type d'environnement. 

 

En fait, les élus des communes commencent à réaliser que les arrêtés préfectoraux qui imposent les ZNT, zones non traitées, ne sont pas suffisamment respectés ou parfois ne suffisent tout simplement pas à protéger vraiment l'environnement et les citoyens. Les nappes phréatiques, par exemple, sont menacées par les pesticides, quand ils sont répandus jusqu'au bord des fossés, qui charrient l'eau des précipitations et drainent les inondations. La problématique rappelle celle de la limite d'épandage aux abords des maisons, avec des distances qui peuvent varier selon les régions, les époques de l'année, le type de cultures, les dérogations.

 "J'ai dix hectares à vous louer, mais en contrepartie je vous demande de planter une haie, de rester en retrait de trois, cinq mètres ou plus des cours d'eau et des fossés, pour créer des zones tampons entre les cultures et les réceptacles de l'eau." Depuis la vague verte des dernières élections municipales, ce discours est désormais de plus en plus fréquent dans les communes alsaciennes, selon Christian Braun. "On remarque une tendance lourde chez les élus locaux, prêts à commencer par des petites choses, qui ensuite prennent de l'envergure."

Dans le domaine de la préservation de la nature, la commune de Muttersholtz a été pionnière. Dans les douze dernières années, elle a réalisé environ 40 % des actions prévues en faveur de l'environnement. Elle a planté des kilomètres de haies, recréé des mares, converti des champs de maïs en prés, replanté des vergers. "Si toutes les communes, qui démarrent aujourd'hui, réalisent à leur tour un tiers de leurs projets dans les dix ans à venir, le résultat peut être considérable."estime le directeur de la LPO Alsace.

 

Les outils du changement existent au niveau local

L'agence de l'eau Rhin Meuse du Grand Est et la Dreal financent de tels projets. Elles demandent d'abord un diagnostic pour avoir une vision globale afin de mettre en place un projet construit. Rhinau et Marckolsheim se sont ainsi lancés en 2020, tout comme une dizaine de communes du Val de Villé. La communauté de communes de Rosheim achète des terrains qu'elle laisse en libre-évolution. Roeschwog, Neuheusel, Roppenheim commencent cette année... La liste est longue puisque près de 80 communes, sous forme de communautés de communes, ont programmé des actions en faveur de l'environnement. "Toutes sont dans les starting-block, c'est impressionnant" se réjouit le directeur de la LPO. Ce qui implique aussi une forte sollicitation des spécialistes de son association, pour ses conseils et connaissances. 

Des fermes pilotes spécifiques biodiversité ont été créées en Alsace. Elles permettent aux élus et agriculteurs de s'inspirer et de se former aux nouvelles pratiques, car si les envies de changer existent, encore faut-il savoir quoi et comment faire. Un grand projet est annoncé aussi par la LPO pour sensibiliser et former les viticulteurs pour les inciter à laisser pousser l'herbe entre leurs rangs de vignes, mais aussi à ne pas la tondre tous les mois pour en faire des pelouses, ce qui empêche les herbes de pousser et les insectes d'y butiner. Toutes ces actions mises bout à bout auront un impact très positif sur la nature et pourront être mises en valeur au moment de la vente des produits aux consommateurs, eux aussi de plus en plus demandeurs de produits sains, issus d'environnements sains.

Depuis quelques années, des agriculteurs investissent eux aussi dans des arbustes et arbres, afin d'en replanter sur leurs parcelles. Certains se font aider par Haies vives d'Alsace, association spécialisée dans la démarche. "Depuis 2013, nous avons replanté entre 60 et 70 kilomètres de haies, sous forme de chantiers participatifs" explique Jacques Detemple, directeur de l'association "avec des arbustes comme des cornouillers sanguins, des pruneliers, noisetiers, charmes, arbres fruitiers". Les oiseaux y trouvent des ressources intéressantes comme des baies d'aubépine, de la viorne ou du lierre qui produit des fleurs à l'automne et dont la fructification se fait en hiver, au grand bonheur des grives, merles et tourterelles. Ils y trouvent aussi des petits fruits comme ceux des merisiers (cerisiers sauvages) et des insectes, des larves, des chenilles. Les haies les protègent aussi des intempéries. Ils peuvent y construire leurs nids et y élever leur progéniture. "Laisser de vieux arbres a aussi toute son importance. Certains, comme le chêne, hébergent massivement les insectes. Le pic vert adore en particulier ceux qui mangent la matière lignieuse des arbres morts. Il faut préserver cette diversité pour que les différentes espèces trouvent leurs ressources" indique le spécialiste de la réintroduction des haies dans le paysage.

Mais les haies servent aussi à retenir les terres soumises aux fortes pluies. Elles évitent les coulées de boues démesurées et les glissements de terrain qui peuvent s'en suivre. "Il y a une vraie mutation dans le monde agricole, quitte à perdre un peu de terrain" constate Jacques Detemple. Pour la biodiversité, mais aussi pour préserver l'eau dans les parcelles, car "sur un sol nu, l'eau ruisselle en surface, alors que les haies piègent l'eau et l'emmagasinent pour les restituer à la parcelle."

 

Le temps des politiques diffère du temps de la nature 

Dans le cadre du plan de relance du gouvernement, il y a une "mesure haies" qui prévoit de replanter 7000 arbres sur toute la France et 750 kilomètres dans le Grand Est, sans oublier qu'il y a aussi une "stratégie régionale de la biodiversité" qui prévoit de planter 1000 kilomètres de haies en sept ans. Pour l'association Haies vives d'Alsace, beaucoup de travail en perspective. "Ces dispositifs nous obligent à revoir notre organisation. Le problème de ces plans de relance est que nous n'avons pas tous les plants nécessaires. Nous disposons de graines, mais il faut du temps pour les cultures, parfois deux ans pour qu'un plant soit transplantable en pleine terre. Alors il va falloir être vigilant et ne pas aller planter du tout-venant, dont on ne connaitrait pas l'origine !" insiste Jacques Detemple.

Le comptage à grande échelle, deux fois par an, nous donne un aperçu global de la situation. Il nous permet de prendre de nouvelles décisions, mais les spécialistes préviennent : nos actions doivent être réfléchies, ne pas se faire à la hâte, histoire de pouvoir dire " Regardez tout ce qu'on a fait". Agir, oui, il le faut, mais de manière utile et adaptée.

 

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