Pourquoi tous les départements n'ont pas accès à la PrEP, ce traitement préventif révolutionnaire contre le sida

Depuis 2016, la PrEP révolutionne les modes de préventions contre le VIH dans le monde. Mais en Champagne-Ardenne, sa mise en place est laborieuse : dans l'Aube et la Haute-Marne, elle est au point mort. Les patients doivent se rendre à Paris ou à Reims, où il n'y a qu'un seul médecin prescripteur.

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C'est une pilule bleue, ovale, qui contient une promesse révolutionnaire : faire disparaître le risque d'attraper le VIH. Depuis janvier 2016, la prophylaxie pré-exposition, plus connue sous l'acronyme PrEP, chamboule les méthodes de prévention de cette maladie, et de son stade ultime : le sida. Le 9 septembre 2019, l'association Paris sans sida a même annoncé que les nouvelles contaminations avaient baissé de 16% entre 2015 et 2018, grâce à son déploiement dans la capitale. Dans d'autres villes précurseuses, les chiffres sont encore plus impressionnants : à San Francisco, elles ont été diminuées de moitié entre 2012 et 2016. Mais pourtant, en Champagne-Ardenne, son accès est très limité.
 

Aujourd'hui, on a toutes les armes pour arrêter la transmission du VIH. On a les moyens de le faire et on sait que ça marche, mais on est dans une région où tout le monde se contente de résultats stables
- Dominique Descharles, délégué AIDES à Reims

 

Refus de prise en charge et discours catastrophiste

Concrètement, la PrEP est un traitement préventif, inspiré de la trithérapie que suivent les malades séropositifs. "C'est un seul comprimé de truvada, un médicament qui associe deux molécules d'antirétroviraux" explique le Dr Lambert Dessoy, infectiologue au CHU de Reims. Pour être efficace, le traitement doit être pris "tous les jours à heure fixe, idéalement au milieu du repas" précise-t-elle.

Le parcours médical de ceux qui veulent bénéficier de la PrEP doit obligatoirement commencer chez un infectiologue. Ces spécialistes des maladies infectieuses sont les seuls habilités à prendre la décision de placer un patient sous ce traitement. Or, dans l'Est de la France, ils sont nombreux à ne pas ou peu le prescrire.

"Dans certains hôpitaux ça se passe très bien, et dans d'autres, c'est catastrophique" résume Philippe Malfrait, responsable Grand Est de l'association AIDES, qui lutte depuis 1984 contre le sida. "A Troyes, il y a carrément un refus de faire des consultations PrEP". L'association reçoit d'ailleurs régulièrement des coups de téléphones de patients déboutés, y compris par les CeGIDD (centres gratuits d'information, de dépistage et de diagnostic). En Haute-Marne et dans l'Aube, aucun médecin ne maintient de protocole PrEP.
 

Les gens nous contactent et nous racontent qu'on leur a dit qu'il n'y avait pas de créneau pour la PrEP,  ou parfois ils arrivent à être mis sous PrEP avec une première ordonnance, mais ils n'arrivent pas à avoir de renouvellement
- Un bénévole de l'association AIDES


Les bénévoles de l'association rapportent également certains cas où l'information a été selon eux tronquée, voire déformée. "Il y a un homme hétérosexuel qui vient chez nous, se faire dépister tous les deux mois environ" raconte l'un d'entre eux "il prend des risques très importants, mais quand il est allé se renseigner pour la PrEP, à Vitry-le-François ou à Saint-Dizier, je ne sais plus, on lui a répondu que c'était réservé aux homosexuels". Alors que le traitement est ouvert à toutes les personnes "vulnérables", un terme large qui permet d'englober toutes les personnes régulièrement exposées au VIH.
 

Dans la région, un seul médecin prescrit régulièrement la PrEP

Si certains infectiologues peuvent parfois prescrire au compte-goutte à des patients qu'ils suivaient déjà, ou sur certaines demandes informées, en Champagne-Ardenne, il n'y a qu'une seule spécialiste qui le fasse régulièrement : le docteur Lambert Dessoy, en charge du CeGIDD du CHU de Reims. Elle le reconnaît d'ailleurs elle-même, avant son arrivée en 2016, il n'y avait pas vraiment de moyen pour les patients volontaires d'être placés sous PrEP. Et c'est cette absence, plus qu'autre chose qui l'a poussée à prescrire le traitement : "je me suis dit, il faut qu'il y ait des médecins pour répondre à la demande" se souvient-elle "c'est difficile de dire que dans un CHU, il n'y a personne qui prescrit la PrEP".

Résultat, l'infectiologue a des patients qui viennent de la Marne, mais aussi de l'Aube et de l'Aisne pour bénéficier de la précieuse pilule bleue, à laquelle elle consacre la plus grande partie de son activité : "mes consultations, ça n'est plus que de la PrEP, je n'ai plus que ça" constate-t-elle, résignée "je suis la seule, et ça ne suffit plus". Pour prendre un rendez-vous avec le Dr Lambert Dessoy, il faut compter deux à trois mois d'attente.
 

Réticences médicales face à une demande en augmentation


Car la PrEP est de plus en plus populaire dans les milieux les plus concernés par le VIH. La demande autour de ce traitement préventif est en nette augmentation depuis la deuxième moitié de l’année 2017. L’été dernier, le seuil symbolique des 10.000 personnes placées sous PrEP a été franchi. Et à l’échelle du Grand Est, jusqu’à une soixantaine de personnes contactent chaque semaine l’association AIDES, pour se renseigner sur le sujet. Pourtant, malgré l’engouement des patients, le portail d’information VIH.org estimait en mars 2019 que la France connaît un déficit des prescriptions, qui serait d’ailleurs responsables des mauvais chiffres des contaminations en 2017 (la dernière année dont les chiffres officiels sont connus).
 
- Sur son compte Instagram, l'association AIDES se fait le relais des campagnes de sensibilisation sur la PrEP -

"Il y a plein de médecins qui sont choqués, et qui ne veulent pas prendre en charge des patients PrEP" reconnaît le Dr Lambert Dessoy "ils disent que c’est la porte ouverte à tout, à plein de pratiques". Entre les associations de patients atteints du VIH et le milieu médical, le désaccord n’est pas toujours loin. "A entendre [AIDES], tous les homosexuels devraient se mettre sous PrEP" confie le Dr Lambert Dessoy "je sais que ça énerve beaucoup de personnes. Ils ont aussi ce discours selon laquelle la PrEP est efficace à 100% ".

C’est là que se trouve l’un des principaux points de dispute entre les spécialistes et l’association. Pour les praticiens, le taux de couverture de la PrEP n’est que de 85%,"c’est surtout dû à la mauvaise observance" explique le Dr Lambert Dessoy. Comme pour la pilule contraceptive, les petites erreurs du quotidien (une prise oubliée, un horaire trop différent d’un autre jour ou une maladie) peuvent compromettre l’efficacité du traitement. Et la PrEP ne protège pas contre les autres IST. Pour le Dr Lambert Dessoy, il s’agit donc d’un outil de prévention complémentaire : "vraiment, le but, c’est de le mettre en plus du préservatif". Or, l’infectiologue ne s’en cache pas : "mes patients me disent souvent qu’ils utilisent beaucoup moins les préservatifs". Inadmissible pour certains praticiens.
 

Je suis arrivé face à un milieu médical qui ne prône que l'utilisation du préservatif et qui pensait qu'AIDES voulait mettre les gens en danger en leur disant de ne pas utiliser la capote
- Dominique Descharles, délégué AIDES à Reims


D’ailleurs, l’association est bien consciente que la place du préservatif est au cœur des réticences du milieu médical. "La plupart des médecins infectieux regardent encore la PrEP en se demandant à quoi ça sert cette histoire, alors qu’il suffit de mettre la capote" regrette Dominique Descharles. Mais l’association l’assure, son discours s’adresse avant tout à ceux pour qui le préservatif ne suffit pas. "En 20 ans de carrière"  raconte Philippe Malfrait "je n’ai jamais croisé quelqu’un qui pouvait me dire droit dans les yeux, j’ai toujours mis un préservatif à chaque fois que j’étais dans une rencontre sexuelle". Pour les militants, l’opposition d’une partie du milieu médical relève du confit moral. "On ne veut pas dire baisez à tout va !" explique Dominique Descharles"mais essayez d’avoir la sexualité la plus épanouie possible". "Les gens doivent pouvoir piocher dans cette palette de prévention selon leur sexualité" ajoute-t-il.

Quant à l’augmentation constatée des IST, pour l’association, il s’agit surtout d’un effet d’optique. En effet, lorsqu’une personne est placée sous PrEP, elle doit tous les trois mois passer toute une batterie de tests (VIH, autres IST et fonctions rénales). "Tous ces gens à qui on a découvert des ISTs, avant, ils n’allaient pas se faire dépister" expose Dominique Descharles.
 

Investir dans la PrEP

A ces questions autour de la place du préservatif dans la prévention, s’ajoute un aspect financier. "[les infectiologues] n’ont pas forcément envie aussi parce que jusqu’en décembre dernier, le préservatif n’était pas remboursé" explique le Dr Lambert Dessoy "ce n’était pas très cohérent de rembourser un traitement qui vaut plus de 300 euros et de ne pas rembourser un préservatif qui vaut 20 centimes". Si les préservatifs peuvent aujourd’hui être prescrits par un médecin, l’argument reste là : pourquoi financer un traitement à plusieurs centaines d’euros quand des préservatifs pourraient remplir le même rôle ?
 

Le coût de suivi d’une personne séropositive, en moyenne ça va être de 1.000 à 1.200 euros par mois, en comptant le traitement, les consultations, les analyses, le suivi des autres pathologies induites par le VIH, etc. Le coût de suivi de la PrEP est de l’ordre de 300 euros par mois, en prenant en compte les découvertes de nouvelles ISTs à traiter. Ça coûte quatre fois moins cher que de découvrir une personne séropositive, sans compter l’impact que le VIH a sur une vie
- Dominique Descharles, délégué AIDES à Reims


Pour les militants d’AIDES, le calcul est faussé. La PrEP s’adressant en priorité aux personnes pour qui le préservatif ne suffit pas – que ce soit en raison de difficultés à se le procurer ou à s’en servir dans la totalité de leurs rapports sexuels. "Ça coûte cher, mais entre être sous PrEP pour ne pas se contaminier et un traitement à vie, le calcul est vite fait" résume Philippe Malfrait.  
 

Des médecins généralistes pas assez formés ?

Autre difficulté dans le déploiement de la PrEP : la question du suivi. Si la première prescription du traitement doit être donnée par un infectiologue, un médecin généraliste peut se charger du suivi obligatoire tous les trois mois (à condition que le patient rencontre toujours un spécialiste une fois par an). Seulement, "beaucoup de médecins traitants ne connaissent pas ou ne sont pas très au clair de la PrEP" concède la Dr Lambert Dessoy. Pour Dominique Descharles, "l’information sur la PrEP est tellement mauvaise que le renouvellement se fait très peu à Reims". Résultat, une grande partie des rendez-vous du Dr Lambert Dessoy sont consacrés à ce renouvellement.

Dans le Grand Est, selon les chiffres du COREVIH, comité régional de coordination de la lutte contre le VIH, qui réunissent les médecins et les associations de malade, 369 personnes étaient placées sous PrEP à la mi-2018. Selon Philippe Malfrait, responsable régional d’AIDES, "il en faudrait trois fois plus que ce soit efficace". L’association AIDES estime que dans la région, environ un millier de personnes seraient porteuses du VIH sans le savoir.
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