En 1945, au sortir de la guerre, Paul Sutter a 7 ans. Une famille du Doubs, choisie par la Croix Rouge, l'accueille durant 6 mois. Un séjour qui va durablement marquer sa vie.
Le livret n'est pas bien épais. Une couverture cartonnée jaune, une photo, et ce titre: "Souvenirs, souvenirs de mon séjour dans le Doubs, étant enfant". L'ouvrage a été tiré à 100 exemplaires, à compte d'auteur et distribué à chacun des membres de la famille de Paul Sutter. "Vous savez, ce sont des choses dont on a du mal à parler. Parfois, il vaut mieux les écrire".
Paul Sutter a grandi à Morschwiller-le-Bas. Son père est boulanger et épicier, sa mère Eugénie tient la boutique. Cette dernière meurt le 3 février 1945 écrasée par un char américain. Elle est considérée comme victime de guerre. Le petit Paul et sa grande soeur Marie-Josée sont envoyés quelques mois en vacances par la Croix Rouge dans le Doubs. "Ma soeur qui avait 11 ans, espérait que nous irions en Suisse, dans une grande ville. Durant la guerre, la Croix Rouge envoyait des enfants alsaciens en Suisse dans des familles aisées, afin qu'ils mangent correctement et prennent du repos. En rentrant, ces enfants n'arrêtaient pas de faire les dents longues à ma soeur!". Mais voilà, point de Suisse, le bus s'arrête dans un hameau de 70 âmes, en fin de ligne dans le Doubs: Grandfontaine sur Creuse. Marie-Josée, dépitée, pleure une semaine durant, inconsolable. Le petit Paul est pris en charge par sa famille d'accueil, les Morel, sa soeur séjournera de l'autre côté de la rue, dans la famille du maire.
Premier obstacle: les enfants ne parlent pas le français. Paul et sa soeur fréquenteront l'école locale et se feront vite à cette langue étrangère à leurs oreilles. Puis il y aura les travaux des champs, les vaches qu'il faut ramener au pré, la fabrication du pain... Surtout, Paul sera choyé par un couple cinquantenaire dont les trois enfants ont quitté le foyer. Il sera dorloté par Marie Morel qui deviendra pour ainsi dire, une maman de substitution.
Après six mois, Paul retrouve son Morschwiller natal mais les liens avec les Morel seront entretenus durant toute leur vie. Il reviendra chez eux en vacances l'été, parfois même, avec un ami à lui. Durant son service militaire, Marie Morel lui envoie régulièrement de l'argent de poche. "C'était gentil, vous ne trouvez pas?", souligne Paul Sutter.
Henri Morel meurt en 1957, sa femme 6 ans plus tard. Sur leur tombe, Paul posera une petite plaque sur laquelle il a fait graver: "Enfant alsacien, vous m'avez accueilli et aimé".
Des paroles simples et touchantes que Paul Sutter livre aujourd'hui dans son livre. "J'ai envoyé des exemplaires de ce fascicule à tous les petits-enfants de la famille Morel. Certains m'ont téléphoné pour me remercier. Il y en a même qui ont pleuré. Un membre de la famille Morel doit venir en Alsace fin septembre, nous irons manger ensemble au restaurant".
Le récit de Paul Sutter est intéressant dans le sens où il livre un témoignage sur la période de l'après guerre. Il explique aussi en filigrane, l'influence qu'une famille peut avoir sur un enfant. Et dans le cas de Paul Sutter, l'influence des Morel fut fondamentale. Toute sa vie, ce dernier s'est impliqué dans le développement du sport et de la culture pour les enfants de sa commune. Il fut durant 57 ans le président du cercle Saint Ulrich de Morschwiller-le-Bas, une association qui propose du basket, de la gymnastique, du yoga, du tir, du théâtre...aux habitants de la commune. Aujourd'hui, le complexe sportif porte d'ailleurs son nom.