Régionales 2021 dans le Grand Est : pour Klinkert (LREM) et Rottner (LR), le tabou du second tour et de la fusion

Etre réélu sans nouer la moindre alliance avec LREM, c'est l'objectif de Jean Rottner (LR). Mais peut-il aller au bout, en solitaire, sans Brigitte Klinkert (LREM) ? Fusion ou pas au soir du second tour face au Rassemblement national de Laurent Jacobelli ? Tous les scénarios restent possibles.

C'est une question qui obsède de nombreux observateurs, des politiques mais aussi une bonne partie des électeurs du Grand Est. Pour battre un Rassemblement national qui a déjà acquis son ticket pour le second tour, en faisant une campagne de sénateur, la liste du président sortant LR Jean Rottner aura-t-elle besoin des voix de la République en marche pour l'emporter ? La question est toujours aussi embarrassante et délicate pour celui qui mène la liste "Plus fort ensemble'".

Ensemble ? Tiens, tiens... La question crispe toujours autant Jean Rottner. Invité ce matin-là sur LCI, il n'échappe pourtant pas à l'interrogation de Jean-Michel Apathie. "Alors, ça c'est toujours la question éternelle des journalistes", répond Jean Rottner, irrité, mais souriant, avant d'enclencher une phrase formatée et provisoirement salvatrice. "La question de la fusion avec LREM ne se pose pas. Mon sujet, c'est de me battre, de respecter les électeurs et d'avoir un projet cohérent à leur proposer pour le premier tour. Et je serai en tête !"

La vraie-fausse primaire

La position n'est pas nouvelle. L'engagement paraît clair. Ce premier tour sera en quelque sorte une primaire face à l'ex-LR, Brigitte Klinkert, ministre déléguée à l’Insertion et à la tête d'une liste de la majorité gouvernementale (LREM, Modem, Agir). "Tout va se jouer lors de ce premier tour, explique cette ancienne élue régionale, et c'est pour ça que Rottner est fébrile. Il joue gros et les sondages ne le donnent pas aussi haut que Valérie Pécresse en Ile-de-France ou Xavier Bertrand dans les Hauts-de-France. Il est pourtant le président sortant et il a bénéficié d'une large exposition médiatique durant la crise du Covid. Mais bon, Rottner n'est pas aussi charismatique. On connait vaguement sa tête mais son nom et son action, dur dur. Pour lui, il est impératif d'arriver en tête pour affirmer sa légitimité. J'ai gagné l'épreuve. A moi d'aller en finale contre le RN. Et si Klinkert ne se retire pas, LREM prend le risque de faire gagner Jacobelli et le Rassemblement national."

Jean Rottner sait bien que pour l'emporter au second tour, il faudra des reports de voix. Il faudra sans doute qu'il y ait un désistement ou une fusion avec LREM

Jérôme Pozzi, maître de conférences à l'Université de Lorraine

On voit bien que Jean Rottner ne ménage pas ses attaques contre Brigitte Klinkert, rappelle Jérôme Pozzi, maître de conférences en histoire contemporaine à l'Université de Lorraine, le but est de montrer qu'il est différent et surtout pas Macron-compatible. Ce n'est d'ailleurs pas ce qu'on disait de lui au début de la présidence Macron où il faisait partie de ceux qui auraient pu être appelés au gouvernement. Il y a eu une évolution avec la crise du Covid et toutes les cartes ont été redistribuées. Rottner a été très critique sur la gestion de la crise par l'Etat. Son but aujourd'hui, c'est de se démarquer de la République en marche pour être le plus haut possible au soir du premier tour. Jean Rottner sait bien que pour l'emporter au second tour, il faudra des reports de voix. Il faudra sans doute qu'il y ait un désistement ou une fusion avec LREM... Et là, ça risque de faire des dégâts au sein de ses troupes. Je ne suis pas persuadé que le maire de Metz, François Grosdidier, soit partisan d'une fusion avec LREM... Tout cela crée des tensions comme avec Nadine Morano par exemple. C'est pas gagné pour lui. Et tout cela fait les affaires de Laurent Jacobelli.

L'eurodéputée Nadine Morano a affirmé qu’elle ne votera pas pour le LR Jean Rottner, qu'elle juge coupable de fourbir une alliance avec LREM pour le second tour.

 

Pour l'instant, difficile d'envisager un score ou une fourchette sérieuse tant les sondages, réalisés à ce jour, paraissent contradictoires et évasifs. “Ce n'est pas un job facile que de se laisser aller à des prospectives mais là, la situation politique est gazeuse comme dirait Jean-Luc Mélenchon, explique Arnaud Mercier, politologue, professeur à l'IFP, Université Panthéon Assas, spécialiste en communication politique, chercheur associé au Laboratoire communication et politique du CNRS et ancien enseignant à l'université de Lorraine, dans le Grand Est, vous avez deux listes de gauche pathétiquement opposées qui vont se partager 25% des voix dans le meilleur des cas, Et de l'autre, vous avez des coups de billard à trois bandes autour de LREM qui oscille entre être le meilleur rempart au Rassemblement national et casser la droite républicaine avec la présidentielle en arrière-plan. Finalement, il n'y a que le RN qui est cohérent avec une ligne claire : capitaliser sur les frustrations, les rancoeurs et les colères.

Klinkert l'outsider

"L'union de la droite et du centre, c'est moi" clame Brigitte Klinkert. La ministre déléguée à l'Insertion déclare mener une liste “sans étiquette”, soutenue par la majorité parlementaire, baptisée "La force de nos territoires", où elle revendique la présence d'une dizaine d'élus Républicains. Et là aussi côté fusion, une phrase toute faite qui pose plus de questions qu'elle n'apporte de réponses. “Je prendrai mes responsabilités dit-elle dans une interview à France 3 Alsace, à l'issue du premier tour, la liste qui sera en tête devra savoir rassembler face au RN. Pour ma part, j'ai toujours démontré dans les missions qui ont été les miennes que je suis une femme de rassemblement.” Façon habile de forcer la main et de dire : si Jean Rottner ne fait pas d'alliance avec ma liste, c'est lui qui finalement, prend le risque de faire basculer la région aux mains du Rassemblement national.

Il y a sans doute des inimitiés personnelles mais je pense qu'une fusion Modem, LREM, UDI et LR n'est pas infaisable. Sur le fond, Jean Rottner est compatible, analyse Arnaud Mercier, je ne serai pas surpris d'apprendre qu'il y a des discussions pour une éventuelle fusion. Après, il y aura des consignes nationales mais il n'y a pas d'Eric Ciotti dans le Grand Est.” La réunification semble pourtant évidente et quasi-naturelle. Brigitte Klinkert est une ­ancienne de la maison LR... et repart aussi au niveau départemental avec son binôme, Eric Straumann, maire LR de Colmar.

C'est surtout dans le camp Rottner que les lieutenants annoncent la couleur. Dans Le Parisien, Valérie Debord, tête de liste en Meurthe-et-Moselle, affirme que "la liste du premier tour sera celle du second, chacun s’assumera... Ce qui est important, c’est d’être clair. Il faut que les gens sachent clairement pour qui ils s’engagent". Faut-il comprendre une bonne fois pour toute que toute fusion de listes dans l’entre-deux tours avec celle de LREM est exclue ? Oui, selon Valerie Debord. Mais Jean Rottner, lui, est bien plus prudent.
 

Le problème de la fusion des listes, c'est qu'on ne gagne pas automatiquement des électeurs

Jérôme Pozzi, maître de conférences à l'Université de Lorraine

"La solution idéale pour Jean Rottner serait que la liste LREM n'atteigne pas les 10% mais ça me paraît peu probable, rappelle Jérôme Pozzi. Le problème de la fusion des listes, c'est qu'on ne gagne pas automatiquement des électeurs, insiste l'universitaire, 25 + 10 ne fait pas automatiquement 35 % en politique. Il y a toujours un phénomène de déperdition, notamment dans l'électorat des Républicains. S'ils fusionnent, c'est qu'ils sont d'accord, est-ce que ça va passer auprès des électeurs ?"

"Le problème de Klinkert, c'est qu'elle est très marquée Alsace, rappelle cette ancienne élue régionale, et je suis très curieuse de voir son score en Lorraine et en Champagne même si elle est entourée par des personnalités locales. D'un autre côté, Jean Rottner, ce n'est pas Xavier Bertrand par exemple qui dit : "Pas d'alliance au premier tour, pas d'alliance au deuxième", la même liste, le même projet. Bertrand joue cartes sur table, pas Rottner."
 

Le résultat le plus prévisible, c'est que ce sera imprévisible

Arnaud Mercier, politologue

En 2015, Jean Rottner, maire de Mulhouse (LR) avait appelé à la "responsabilité" et à "sortir des appareils" lors du second tour des élections régionales où les électeurs avaient placé Florian Philippot (FN) à 36%, dix points devant Philippe Richert, (LR-UDI-MoDem). Un appel à un front républicain qui pourrait ressortir en 2021, si Laurent Jacobelli imite le score de son prédécesseur. L'hypothèse ne peut être balayée. "Le résultat le plus prévisible, c'est que ce sera imprévisible, résume Arnaud Mercier, d'autant plus que la participation ou plutôt l'absence de participation va peser très lourd. Et surtout pour le premier tour qui s'annonce déterminant."
 

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