Régionales 2021 dans le Grand Est : pourquoi la réforme territoriale n'a pas tenu toutes ses promesses d'économies

Les nouvelles régions pouvaient laisser espérer des économies d'échelle et faire apparaître une cohérence territoriale. Dans le Grand Est, le rapport de la Cour des comptes de  2019 pointe des résultats encore insuffisants. Décryptage.

 

 

Faire fusionner les anciennes régions d'Alsace, de Lorraine et de Champagne-Ardenne n'a pas été évident. Les résistances étaient là. Jean-Paul Bachy, alors président divers gauche de la région Champagne-Ardenne, avait indiqué: "Nous ne voulons pas être les otages d'une réforme bâclée, à la hâte, pour cette fusion imposée d'en haut." Philippe Richert, qui deviendra, en 2016, le premier président (UMP), de la région Grand Est, évoquait, pour sa part "une réforme abracadabrantesque, faite à l'envers". En juillet 2014, les présidents des trois régions concernées, regrettaient l'adoption, par les députés, de la nouvelle carte territoriale qui prévoyait la fusion.

Aujourd'hui encore, l'adhésion à cette grande région de 57.441 kilomètres carrés, soit presque deux fois la Belgique, ne semble pas convaincre. Dans un sondage réalisé par BVA, le 22 avril 2019, 67% des habitants du grand Est se disaient insatisfaits, dont 82%, en Alsace. Un autre sondage de l'Ifop, datant de décembre 2019 faisait apparaître que deux tiers des Alsaciens souhaitaient que la nouvelle collectivité, la Collectivité européenne d'Alsace, devienne une région à part entière. De son côté, le parti "Unser Land" souhaite que l'Alsace soit une région autonome.

Baptême dans la confusion

Le sentiment d'appartenance au Grand Est, est encore loin d'être une réalité. Le choix d'un nom pour la nouvelle collectivité territoriale est aussi la preuve que la naissance de la région a peut-être été un peu trop rapide. "Fallait-il laisser la nature évoluer nationalement avant de mettre en place ce nouveau découpage ? s'interroge Hervé Groud, professeur émérite de finances publiques à l'université de Reims, cette réforme était plus politique qu'économique. C'était une belle réforme de fin de mandat, pour Manuel Valls, Premier ministre jusqu'au 6 décembre 2016".

La mise en place s'est passée, sans heurt, mais n'a pas apporté, jusqu'à présent, de gains d'efficience.

Rapport de la Cour des comptes, septembre 2019.

Provisoirement, la région s'est appelée Acal ou Alca. Ensuite, trois noms ont été mis aux votes des citoyens : Nouvelle Austrasie, Acalie ou Rhin-Champagne. Mais, au final "Grand Est" qui circulait déjà dans les médias a été retenu. "Un nom pas très attractif, mais choisi, faute de mieux", poursuit l'universitaire. A noter que sous le nom "Grand Est", continuent de figurer, en sous-titre les noms des trois anciennes régions.

Une multiplicité d'implantations

La Région, qui comptait 5.550.389 habitants en 2020, dispose de deux assemblées. A Metz, ont lieu les assemblées plénières. A Strasbourg, siège du conseil régional, se réunit la commission permanente. De son côté, si le Ceser organise ses séances plénières à Metz, il a son siège à Chalons-en-Champagne, où sont régulièrement organisées d'autres réunions. Les locaux des trois anciennes régions ont donc été conservés, on peut facilement imaginer, que ce n'est pas sur ce point que des économies ont pu être réalisées.

Par souci de proximité, un maillage, sorte de complément, a été mis en place avec 12 maisons de région. Dans l'ancienne Champagne-Ardenne, elles sont présentes à Charleville-Mézières, Troyes, Saint-Dizier, Chalons-en-Champagne et Chaumont. Sachant que chaque maison dispose d'une trentaine d'agents, ce n'est probablement pas sur ce point que le Grand Est peut réduire ses dépenses. En outre, la région a une maison, à Paris, une maison Europe Grand Est, à Bruxelles ainsi qu'une présence à Berlin.

Pour autant, vue l'étendue de la Région, (Reims est à 347 kilomètres de Strasbourg par l'Autoroute A4), une telle organisation était probablement nécessaire.

Des mesures pour tout le monde

Depuis le 1er janvier 2016, donc, la région Grand Est regroupe dix départements. "Dans l'ancienne région Champagne-Ardenne, indique le professeur Hervé Groud, quand la Champagne-Ardenne existait encore, la péréquation conduisait déjà à trouver des mesures identiques dans les autres départements quand une décision était prise,dans l'une des composantes de la région. C'est encore pire, avec le Grand Est, souligne-t-il. Sur le plan politique, on constate une tentative d'équilibre, mais c'est discutable, en terme de cohérence des équipements." Et des coûts, peut-on supposer.

Dans son rapport sur la situation financière et la gestion financière des collectivités territoriales et leurs établissements publics, de septembre 2019, la Cour des comptes, rappelle que la période de transition n'est pas terminée, ce qui laisse la possibilité de voir apparaître des améliorations, en termes d'économies. "La mise en place s'est passée, sans heurt, mais n'a pas apporté, jusqu'à présent de gains d'efficience", indique le rapport, où il est précisé que les gains sont limités, et que "des surcoûts ont été identifiés, notamment en terme de rémunération des personnels administratifs et d'indemnités des élus". La région compte 169 élus.

La répartition des compétences

C'est la loi NOTRe, promulguée le 7 août 2015, qui a défini les compétences des 13 nouvelles régions. L'un des points importants concerne le renforcement du rôle de la région dans le domaine du développement économique. Dans le Grand Est, les 353 lycées, ainsi que les 110 CFA relèvent de la compétence de la Région, mais finalement, les collèges sont restés gérés par les départements. 

Quant aux transports routiers et départementaux, s'ils sont de la compétence des régions en matière de transports scolaires, la compétence peut être déléguée aux départements. Si l'on ajoute à cela que la voirie départementale, ou la solidarité demeurent sous le giron des départements, on peut constater à quel point les champs d'intervention des uns et des autres peuvent être parfois déroutants.

Le rapport de la cour des Comptes indique, sur ce point que "la loi NOTRe n'a pas complètement clarifié les compétences entre les collectivités territoriales, ainsi qu'entre celles-ci et l'Etat".

Une rationalisation inachevée

Si les régions ont organisé leurs actions dans un nouveau périmètre, l'Etat a, lui aussi, restructuré ses services, après la mise en place de la réforme territoriale. Ainsi, la Draaf a sa direction à Châlons-en-Champagne, mais avec des services, dans chaque département. Les trois anciennes régions ont conservé leur rectorat, mais avec un rectorat de coordination à Nancy. Un Frac, pour sa part existe toujours, à Reims, car "les différentes structures ont opté pour la coordination plutôt que pour la fusion", indique le rapport de la Cour des comptes.

Au final, le millefeuille administratif français ne s'est pas allégé.

Quid alors de l'aspect financier ?

Dans son rapport, la Cour des comptes souligne, pour l'ensemble des régions, que "la fiabilité des comptes présente des lacunes mises en évidence, notamment, par les contrôles des chambres régionales, ainsi que par l'expérimentation, en cours de certification des comptes locaux". Mais, à quelques semaines des élections régionales, la région Grand Est affiche un bilan, somme toute satisfaisant, avec des comptes votés, en assemblée plénière, en avril 2021.

Entre 2016 et 2021, elle annonce un quasi doublement des investissements opérationnels, une baisse des dépenses de fonctionnement (données analysées par la Direction Générale des Collectivités Locales). En 2021, le budget communication est en recul de 31,5%. Les frais de réception, en recul de 21,5% reviennent à 13 centimes par habitant, dans le budget prévisionnel de 2021. A cela, on peut ajouter une baisse du budget carburant, de 35 à 45%, avec le passage de la flotte du conseil régional au bioéthanol, et une économie de 22 millions d'euros réalisée, grâce à l'abandon de l'extension du siège, à Strasbourg.

C'est aussi, sans compter sur la réduction d'effectifs (passage de 22 à 10 collaborateurs de cabinet, et de trois à un directeur général des services), ainsi qu'à 20 % de réduction des indemnités des élus.

Enfin, une comparaison entre régions fusionnées et régions inchangées, montre que dans les régions fusionnées, les charges financières ont baissé de 20% en quatre ans, entre 2015 et 2019.

L'hypothèse d'un nouveau découpage

Depuis le 1er janvier 2021,  la Collectivité européenne d'Alsace, constituée de la réunion des deux départements du Haut-Rhin et du Bas-Rhin, est devenue une réalité. Elle est dotée de compétences particulières, liées à sa situation géographique. Elles concernent la coopération transfrontalière, la promotion du bilinguisme, le tourisme mais également la gestion des routes et autoroutes non concédées. Au moment où une réflexion était menée pour la mise en place de cette collectivité, le président de la République, Emmanuel Macron, le 31 octobre 2017, avait indiqué que cette création serait faite, au sein de la Région Grand Est, qui ne peut être démantelée.

Reste que cette nouvelle strate administrative ne peut que relancer l'idée d'un nouveau découpage, avec pourquoi pas, la création d'une nouvelle entité "Lorraine-Champagne-Ardenne". "C'est une hypothèse qui peut revenir", imagine le spécialiste des finances publiques, Hervé Groud. Une éventualité qui ne manquerait pas, une fois de plus d'être génératrice de dépenses.

Un fait nouveau est venu s'inviter dans les budgets des différentes Régions, entraînant des dépenses imprévues. La Covid 19 a nécessité la mise en œuvre d'opérations qui n'avaient pas été programmées. Il faudra attendre avant de pouvoir en mesurer l'impact. Un prochain rapport de la Cour des comptes devrait permettre, alors, d'affiner l'analyse, et de porter un regard nouveau sur la réforme territoriale.

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