D'anciens étudiants des campus troyens et rémois de Supinfo se battent depuis plusieurs années pour obtenir le remboursement de plusieurs milliers d'euros correspondant à des frais d'inscriptions dus. L'école fait polémique. Beaucoup la décrivent comme une école fantôme qui floue ses étudiants.
Elke Doucet est prête à tout pour récupérer son argent. À Troyes, cette mère de famille se bat depuis un an et demi pour récupérer 9.200 euros soit les frais d'inscription des deux dernières années de son fils à Supinfo."Mon fils et moi-même sommes victimes d'une injustice. "Nous demandons réparation depuis août 2018", clame la troyenne. Cette maman, veuve et handicapée se bat seule avec son fils contre l'école privée Supinfo International University. Cet établissement d'enseignement supérieur en informatique propose un cursus en 5 ans et dispose d'une trentaine de campus dans le monde, dont plus d'une vingtaine en France. D'après son site, elle brasse plus de 5.000 étudiants.
"Supinfo, Suparnaque"
Gaëtan Doucet, 23 ans, était l'un d'entre eux jusqu'à il y a deux ans. Après le baccalauréat, le grand doute. Que faire? Il foule les salons étudiants et découvre Supinfo. Séduit et un peu paniqué à l’idée de ne pas obtenir ses bons choix via Parcousup, il choisit l’école privée. Pour la famille c’est un effort financier. Sa maman paye avec ses fonds propres les deux premières années. Gaëtan contracte un prêt pour payer les 3 dernières années. « On explique aux familles qui s’inscrivent qu’il y a une ristourne pour les étudiants qui paient des années d’étude en avance », précise Elke Doucet avant de rajouter « Une année seule, sans la ristourne, coûte 4 100 euros. » A la fin de la 3ème année, le troyen étudiant souhaite arrêter.Sa mère explique. « Il était déçu par le cursus qui n’était pas à la hauteur de ses attentes. Contrairement à ce qu’on leur dit en début d’année, les étudiants n’ont aucune aide pour trouver un stage, les plannings changent à la dernière minute, les élèves des de deuxième année doivent donner des cours aux élèves de 1ère année pour augmenter leurs points et valider leur année ». « C’est l’école de la débrouille », nous précise un autre étudiant du campus de Reims, lui aussi en conflit avec l’école...
Gaëtan déchante. En août 2018, il quitte l’école et demande en bonne et due forme via un courrier le remboursement de ses deux dernières années avancées soit la somme de 9.200 euros. « Ce retrait de la scolarité en cours est contractuellement possible et prévu dans le contrat signé à l'inscription » précise-t-il. Mais quelques mois plus tard, il s’aperçoit qu’il est toujours inscrit sur le campus de Supinfo Troyes.
Et le remboursement ne vient pas. Après plusieurs tentatives pour joindre le service financier à Paris et le siège international de l’école à Bruxelles, il se tourne vers un avocat de l’aide juridictionnelle qui envoie une mise en demeure avec accusé de réception. En vain. L’assistance juridique n’ira pas plus loin. Les Doucet n’ont pas les moyens d’engager plus de procédures. Sa responsable de campus, à Troyes lui dit de rappeler le service financier et qu’elle ne peut pas faire plus. Mais le numéro de téléphone-une plateforme qui centralise tous les appels- sonne constamment dans le vide.
Après plusieurs essais non concluants, nous réussissons à joindre la responsable du campus troyen, Mme Christine Roste. Après nous être présentés, nous lui parlons du dossier des Elke. Un léger embarras est perceptible, mais elle nous répond : « Je ne suis pas au courant des détails de ce genre de dossiers. Mais même si c’est long ils se soldent toujours. Il faut joindre M. Bouflih du service financier au siège de l’école à Bruxelles. Je suis désolée mais je dois vous laisser, j’ai une école à gérer », achève-t-elle pour abréger la conversation. Fin février nous envoyons un mail à monsieur Bouflih, puis un deuxième en ce début mars, tous deux restés sans réponse à ce jour.
Côté ville et agglomération troyenne, personne n’est au courant des déboires de certains étudiants avec Supinfo. Les locaux sont situés en hyper centre en face du Cube, le parc des expos. L’école s’y est installée en 2005. La communication de Troyes Métropole après s’être renseignée explique : « L’agglomération a aidé l’école à s’installer dans la ville à son arrivée en 2005 en la mettant en relation avec des partenaires. Mais ça s’arrête là. Supinfo n’a reçu aucun soutien financier de notre part. Les budgets l’attestent facilement. La seule information que nous connaissons via la fédération des étudiants troyens c’est que Supinfo représente en moyenne une centaine d’élèves sur Troyes et que les inscriptions sont en baisse ».
Toutes ces déclarations surprenantes que nous recueillons en février 2020 nous poussent à nous intéresser de plus près à cette école. Sur les réseaux sociaux, et sur internet, nous découvrons des reportages et témoignages très critiques envers Supinfo.
A commencer par :
- Une enquête de Pierre Chabert, diffusée dans "Complément d'enquête" sur France 2 le 11 octobre 2018, dans laquelle témoignent des étudiants sans campus, non remboursés de leurs frais d’inscription et des professeurs et intervenants qui se plaignent de n’avoir jamais été payés pour les cours délivrés.
- Ou encore cette page Facebook « Victimes de Supinfo », qui regroupe des témoignages accablants de parents et étudiants en guerre contre l’école et ayant des problèmes de remboursement de frais d’inscription dans de nombreux campus de France. Ils relaient également les articles et reportages qui questionnent sur le fonctionnement de l’école dans lesquels les jeux de mots sont pléthores : "Supinfo=Suparnaque", "Supinfo =Supintox…"
Menaces et abandons
D’après la famille Doucet, à Troyes, ils ne sont pas les seuls dans cette situation délicate. Quid à Reims, le deuxième campus de Champagne-Ardenne ? Rapidement, nous trouvons d’autres témoignages semblables à ceux de Gaëtan Doucet, sur le campus de Reims cette fois-ci.Edouard Kutyla, étudiant à Supinfo jusqu'en 2017 réclame le remboursement de frais d’inscription d’un montant de 4.680 euros. S’il ne regrette pas ses années passées à l’école, dont il a trouvé l’enseignement satisfaisant, il reste amer quant au litige qui l’oppose aujourd’hui encore à l’école. « A l’école, on vous le dit dès le départ, plus on paye tard, plus on paye cher. J’ai donc payé mes années d’avance. Un mois ou deux après avoir payé ma 3ème année, j’ai été pris en contrat pro dans une société qui a alors pris en charge et avancé à Supinfo mes 3 dernières années d’étude. Logiquement donc Supinfo devait me rembourser les frais que j’avais avancés doublement payés par mon entreprise soit 4.680 euros que j’attends toujours. »
Edouard ne se laisse pas abattre, il demande des conseils juridiques et en fait part à son administration. Cela visiblement n’a pas plu aux dirigeants.
« Le directeur Grand Est de Supinfo m’a contacté pour me dire qu’il pouvait arrêter ou casser mon contrat pro –obtenu seul, sans leur aide- ou carrément ne jamais me donner mon diplôme."
- Edouard Kutyla, ancien élève de Supinfo Reims
"Ils ont d’ailleurs tardé à m’envoyer mon diplôme », explique cet ancien étudiant devenu chef de projet informatique à Reims. Avant d' achever : « J’ai tenu, je voulais mon diplôme. Mais beaucoup d’étudiants abandonnent tout en cours d’année ».
Même scénario pour son ami de promo Rémy Tirlois. Il attend lui aussi le remboursement de 6.100 euros payés à l’école par la société qui l’a embauché en contrat pro alors qu’il était en 5ème et dernière année à Supinfo. Une somme que, comme son ami Edouard, il avait déjà payé lui. Aujourd’hui cet ingénieur développeur près de Verdun a épuisé toutes les demandes à l’amiable, en bonne et due forme auprès des instances administratives. En vain également. Impossible de joindre monsieur Bouflih. « Même les personnes du standard central que j’ai réussi à avoir m’ont dit qu’il ne leur répondait pas. »
Une information recoupée par le campus manager de Supinfo Reims, en place depuis 6 mois. « Nous sommes au courant des dossiers en attente. Nous faisons ce que nous pouvons, mais je n’ai pas la main sur tout ce qui est paiement. Je ne peux que renvoyer les élèves vers les services concernés. »
Edouard et Rémy se sont groupés. Ils ont pris un avocat rémois. Maître Pierrick Paladini a épuisé tous les recours amiables. Mises en demeure, lettres recommandées au siège social français à Lyon et à Bruxelles au siège international. Il a essayé de joindre M. Bouflih. En vain lui aussi. « Si je n’ai pas de nouvelles d’ici 8 jours, je lancerai des assignations sur le fond au tribunal judiciaire de Reims pour chacun de mes clients ».
A Reims, le campus existe depuis 2008. Personne n’a entendu parler de ces histoires autour de l’école."Reims et le Grand Reims n’ont eu aucun échange avec l’école privée Supinfo Reims. Comme avec toutes les écoles privées, la Ville a mis en contact Sup Info avec les agences immobilières locales lors de son installation en 2008" a précisé le service communication.
Que se passe- t-il à Supinfo ? Y a-t-il des problèmes financiers ? Pourquoi les interlocuteurs sont-ils difficiles à joindre ?
Quant à Elke Doucet, la maman de Gaëtan, elle a prévenu monsieur Bouflih par mail qu’elle se rendrait le 7 mars dernier à nouveau avec une pancarte "La face cachée de Supinfo : A quand le remboursement de mes 9200 euros ? »
La Troyenne poursuit : "J’ai bien reçu le versement des 5400 euros. J’attends la fin du mois pour voir si mon dossier comme promis, sera enfin, après un an et demi d’attente et d’acharnement, enfin soldé. »"Lors des journées portes ouvertes de l’école sur le campus de Troyes, j'ai précisé que j'avais alerté les médias. Une réponse ne s’est pas faite attendre. Dans les 30 secondes après avoir envoyé mon mail, monsieur Bouflih m’a répondu que je serai payée de la moitié de ma somme soit 5400 euros fin février, et du reste les 4000 euros d’ici le 31 mars avec un dédommagement de 1000 euros."
- Elke Doucet, maman d'un ancien étudiant de Supinfo Troyes
Nous avons essayé à plusieurs reprises de joindre monsieur Bouflih. Mais nos mails et messages sont restés à ce jour sans réponse.