Chaque jour à 17h30, l'étudiant qui vadrouille un peu partout dans la région s'inspire de ses pérégrinations et de son quotidien pour faire des blagues régionales. Et le résultat est savoureux... à condition de ne pas venir des Ardennes ou de la Haute-Marne, ou d'avoir (beaucoup) d'auto dérision.
Le rendez-vous est pris au Ronron café, à Reims, son bar préféré. C'est Noah Remy qui a choisi l'endroit pour nous expliquer d'où lui vient cette fâcheuse manie de publier quotidiennement des blagues sur la Champagne-Ardenne. L'étudiant de 22 ans, qui vadrouille beaucoup entre la cité des sacres et l'Aube, se tient droit dans les canapés verts. Il caresse Canaille, un chat noir du genre peu farouche, limite envahissant. Quand on prend place, Canaille s'installe sur vos genoux, réclame des caresses puis vous grimpe sur l'épaule. Il faut dire que vous l'avez bien cherché en squattant son fauteuil, car au fond, vous êtes un peu chez lui.
"Se moquer de la Haute-Marne, c'est facile mais ça fonctionne toujours"
Alors pourquoi a-t-on rencontré l'apprenti scientifique dans un café rempli de félins ? La réponse est très simple : le compte Instagram meme_champagne_ardennes, qu'il a créé, nous fait bien marrer. Tous les jours à 17h30, le jeune homme publie ce qu'on appelle des memes, "une image détournée à caractère humoristique", nous expliquait l'un des maîtres du genre, le co-créateur de memes décentralisés, André Da Silva, en octobre 2020.
André Da Silva et Noah Remy ont la même particularité : les deux "memeurs" rient des particularismes régionaux. Mais quand Da Silva s'amuse de tous les Français (avec une petite affection pour les Aubois), Remy, lui, se concentre sur les Champardennais. Bon, il l'avoue, il se joue plus souvent des Hauts-Marnais et des Ardennais que des autres, parce qu'au fond, il les aime bien. Et puis, on va pas se mentir : "Se moquer de la Haute-Marne, c'est facile mais ça fonctionne toujours", abonde Da Silva.
Octobre 2020, c'est aussi la date à laquelle Noah a créé memes_champagne_ardennes. En seulement 11 mois, il a rameuté plus de 4.300 abonnés. Spoiler (ou divulgâcheur en bon vieux français) : ils sont jeunes (58,4% ont entre 18 et 24 ans), la parité est presque respectée et la majorité habite Reims, puis Troyes, Charleville et en quatrième position seulement Paris (sûrement la diaspora champardennaise expatriée à la capitale).
Des abonnés jeunes et originaires de la région
Et ne croyez pas que faire des blagues sur la Champagne et les Ardennes soit si facile. Noah Remy consacre au moins une heure par jour à son passe-temps. "Entre la confection du meme, sa publication et son suivi, cela peut aller d'une demi-heure à deux heures", détaille-t-il. Et ce n'est suffisant ! En bon élève, il a même créé un tableur Excel pour suivre attentivement son nombre d'abonnés, "uniquement en progression", en fonction de chaque publication. Un bon meme demande de la méthode. "Une actu/un meme", résume Noah Remy.
Et comment différencie-t-on un bon meme d'un mauvais meme ? La réponse n'a rien à voir avec le célèbre sketch des Inconnus. Il faut une bonne dose d'auto dérision et un bon rapport texte image, selon Noah. "C'est un équilibre de plusieurs choses : il faut qu'il soit à la fois compréhensible par plusieurs personnes et en même temps assez technique, précis. Il faut que la personne se demande : 'Mais comment il a pensé à ça?', précise André. Il faut aussi savoir doser les fautes d'orthographe (une des spécificités des memes). Certaines sont très bien faites."
Le tout sans tomber dans la facilité évidemment. "Par exemple, certains memes régionaux jouent sur l'opposition face aux grands "ennemis" : les Parisiens. C'est classique. Je le faisais un peu avant, mais j'essaie de ne plus tomber dans cette facilité, explique Noah. On pourrait faire les Parisiens qui prennent Reims pour une toute petite ville de province, les Axonnais qui viennent travailler à Reims tout en restant campagnards… mais j'essaie de pas trop froisser les gens."
S'inspirer de la vie courante
Evidemment, l'inspiration est fluctuante. Pour Noah, elle vient avant-tout de sa vie courante et d'un suivi assidu de l'actualité. "L'inspiration, je la trouve dans le quotidien. La dernière fois, je me balade dans le centre-ville de Troyes et trois idées de memes me viennent. La ruelle des chats c'est super étroit, il faut que je fasse un meme là-dessus !", raconte-t-il. On a compté, au fil de l'entretien qui a duré plus d'une heure, il a eu au moins cinq idées de memes.
Ce qu'on aime bien avec Noah, c'est qu'il parvient à faire rire avec une identité régionale qui galvanise moins les foules que la Bretonne ou l'Alsacienne, pour ne citer qu'elles. "Il y a des régions où il y a plus de chauvinisme que d'autres, reconnaît André Da Silva. Il est vrai qu'en Champagne-Ardenne, on va pas sortir de drapeau en plein concert". Non, il ne vise personne (coucou les Bretons). Et pourtant, André et Noah le jurent (et le prouvent), la région est un puits d'inspirations : "Les doudounes sans manches des viticulteurs, qui ont tous le même style, le nom de la bouteille de champagne, qui a toujours le nom de leur femmes ou de leur fille..., énumère André. Il y a tellement de sujets en Champagne-Ardenne."
Avec bientôt 5.000 abonnés, le Champardennais (on a juré, on ne vous en dira pas plus, car il ne veut pas qu'on le soupçonne de favoritisme), pense à organiser un concours au moment où ce palier sera atteint. "Les plus beaux châteaux ? Paysages ?" Il ne sait pas encore. Mais ce dont il est sûr, c'est que ça ne sera pas celui de la plus belle cathédrale. "C'est trop facile. C'est comme pour les spécialités culinaires, sans surprise, c'est le champagne qui a gagné face aux chaource."