La page Facebook "Memes décentralisés" publie des images détournées mettant à l'honneur les régions (tout ce qui est hors de Paris) entre moqueries et souvenirs. Elle a eu les honneurs du Monde dans un article du mercredi 7 octobre. André Da Silva, son co-gérant originaire de l'Aube, nous raconte.
"Prudence est maire de Sûreté." Non, il n'y a pas de faute. Vous venez juste de lire un jeu de mots publié sur la page Facebook Memes décentralisés, suivie par près de 129.000 personnes et qui dispose de sa propre page Wikipédia. Si ça vous a fait rire, tant mieux : c'est généralement l'objectif d'un mème. Qui s'écrit d'ailleurs meme, mais allez savoir pourquoi, les journalistes ne savent pas l'écrire sans accent grave.C'est quoi un mème, vous vous demandez ? Pourquoi y-en-a-t-il des centaines sur cette page Facebook, mise à l'honneur dans un article du Monde le mercredi 7 octobre 2020 ? Il n'y a rien d'autre de plus utile à faire dans la vie ? Le co-administrateur de la page, André Da Silva, qui est originaire de Vendeuvre-sur-Barse (Aube), a tout expliqué à France 3 Champagne-Ardenne.
"Un meme, c'est une image détournée à caractère humoristique. J'ai un exemple très parlant pour toutes les générations." Comprendre : les mèmes, c'est pas que pour les jeunes. "Il y a une célèbre photo où Laurent Blanc embrasse le crâne de Barthez. J'écris qu'on touche, sent son melon pour le choisir au marché. L'alliance entre ce texte et cette image qui n'ont rien à voir offre un ressort comique."
Il est vrai que c'est rigolo et inattendu. Et que souvent, ça devient très partagé sans raison vraiment explicable : dernièrement, c'est le cas d'une photographie de Patrick Bruel jouant au poker. "Sur Facebook, il y a énormément de groupes de memes [on les appelle les "neurchis", verlan de "chineurs"; ndlr]. Ils sont consacrés à la nourriture, au football..." Y compris Memes intra-muros pour jeunes Franciliens, dédié aux mèmes ayant cours en Île-de-France. "Mais bon, entre les memes sur le métro et sur les soirées en rooftops, on a très vite fait le tour..." De rien, chère population francilienne : c'était gratuit.
"Alors, j'ai rejoint Gabriel [Kaikati; ndlr] après la création de Memes décentralisés. Une page qui est l'exacte opposée, qui a pour sujet toute la France... sauf Paris. C'est une sorte de contre-attaque. On parle des sujets de campagne, des conflits régionaux; par exemple avec les Bretons, les Corses, ou les Alsaciens." Un réservoir inépuisable de mèmes depuis la création de la page, le 18 juin 2018. Slate y voit la "transition numérique des blagues de PMU".
Puisqu'on parle d'Alsace, citons un conflit régional (pacifique) : le concours de la plus belle cathédrale en 2019. La finale a opposé Reims à Strasbourg, et cette dernière a remporté la victoire. Memes décentralisés a créé une compétition virtuelle 100% bonne humeur et apolitique, parachevée par un apéro géant bien réel réunissant la communauté à Strasbourg (du temps béni où le coronavirus n'existait pas). Pas comme celle de 2020 lancée par une page Facebook proche de la droite nationaliste, avait révélé Rue89 Strasbourg. "Il n'y a aucun appel à la haine sur Memes décentralisés. C'est bon enfant et on pratique l'autodérision. On joue sur les conflits, mais ça reste gentil."
Et dans ces mèmes foisonnant d'identité régionale, on ne peut pas rater la Champagne-Ardenne. Les cépages à l'origine du célèbre vin pétillant ne se trouvent pas tous autour de Reims : il y a aussi ceux de la côte des Bar. Voilà qui donne un mème qui peut faire rire tout le pays, et qui ne provient pas d'une grande ville. De quoi rappeler ce qu'on doit à nos campagnes, trop souvent oubliées. Et privilégier un humour non-jacobin, qui fait appel aux identités et cultures régionales, régulièrement gommées. Ces mèmes sont utiles.
Développeur informatique de 24 ans (il donne aussi parfois des cours à l'IUT de Troyes), André Da Silva ne vit pas de ses mèmes. Il est loin d'être un Youtubeur, comme Mastu, originaire de Saint-Dizier en Haute-Marne (nos régions ont du talent). "On rapporte beaucoup d'argent à Facebook grâce à notre contenu, mais on ne reçoit rien. Sinon, on a une boutique où on vend de beaux sweats..." Mais les revenus sont plutôt faibles. "On aimerait bien vivre de notre page, mais on n'a pas envie de faire des marques ou du placement de produits. Ce n'est pas l'esprit de Memes décentralisés."
Si les mèmes sont souvent drôles, ils peuvent parfois susciter la tristesse, défendre une cause... ou faire appel à la nostalgie. "J'ai grandi à Vendeuvre-sur-Barse, un village de 2.000 habitants. Il y avait l'école primaire près de la rivière, et on avait tendance à envoyer le ballon de foot dans la rivière. Il fallait alors désigner quelqu'un pour aller le chercher dans l'eau. Ce souvenir a un sacré côté nostalgique qui parlera à beaucoup. Ça apporte du positif. C'est une madeleine de Proust." Et hop, un nouveau mème créé grâce (à cause ?) de France 3 Champagne-Ardenne. Ce ne sera pas le dernier.
Les régions et leurs petites villes suscitent de la nostalgie, André Da Silva l'a dit. Et il évoque un schéma cyclique assez classique : "On grandit dans une petite ville. Ensuite, on la quitte pour partir étudier et travailler dans une métropole. Puis ça nous manque, et on finit par revenir s'installer à la campagne avec ses enfants." Ces innocents petits mèmes ne servent donc pas qu'à amuser la galerie. Derrière eux, il y a plus de psychologie et de réflexion qu'on pourrait croire.
Memes décentralisés, ça se passe aussi sur Twitter et Instagram. Avec toujours plus de succès.