Rentrée des classes : lutter contre le harcèlement scolaire et le "préjudice de l'effet de groupe"

Pour la rentrée des classes 2024, le célèbre footballeur Antoine Griezmann a relayé un petit message au sujet du harcèlement scolaire, rappelant qu'il fallait ne pas rester passif face à un cas de harcèlement sur un élève. Précisions avec Nora Tirane-Fraisse, fondatrice et directrice de l'association Marion, la main tenue qui a lancé un podcast le mardi 10 septembre.

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En 2013, la jeune Marion, élève de quatrième, mettait fin à ses jours. Elle était harcelée au collège. Onze ans plus tard, les choses ont un peu évolué, mais le harcèlement scolaire reste trop présent. 

L'année suivante, la fondation de l'association Marion, la main tendue a permis, in fine et après dix ans d'efforts, de faire avancer un peu les choses au sommet du ministère comme dans les écoles. Une structure d'enjeu national, et d'utilité publique.

Hélas, à chaque rentrée des classes, le harcèlement scolaire continue à faire parler de lui. Cette fois-ci par l'entremise d'Antoine Griezmann, l'incontournable attaquant de l'Équipe de France de football : il appelle, "si vous voyez [...] quelqu'un qui se fait harceler [...] dites-lui bonjour ou au moins, souriez" lui (voir le tweet ci-dessous).

Nora Tirane-Fraisse, maman de Marion et directrice de l'association Marion, la main tendue, explique à France 3 Champagne-Ardenne "[se] battre pour que plus jamais aucun enfant ne mette fin à ses jours. Quand Marion est décédée en 2013, c'était ce que vous, les journalistes, appelez un fait divers. C'est devenu un fait de société; on est même sur un fléau national." 

Pour le contrer, "on a aidé à la mise en place des politiques publiques." Sans oublier la publication d'une quantité d'ouvrages, une bande-dessinée... et depuis ce lundi 10 septembre 2024, un podcast intitulé La Tête et les épaules, pour "sensibiliser le grand public". Il faut faire preuve de pédagogie : le message est important, et le médium aussi.

Le préjudice de l'effet de groupe

Toute initiative, comme celle du célèbre footballeur, est bonne à prendre pour parler du harcèlement à l'école et tenter de le juguler. Nora Tirane-Fraisse, l'association a travaillé sur le sujet dans plusieurs établissements de Champagne-Ardenne, redonne sa définition. "Ce sont des violences répétées, parfois qualifiées de micro-violences. Elles sont exercées par une meute : il y a une dynamique de groupe contre une personne. Elles sont en tout lieu : école, en dehors, périscolaire, sport à l'extérieur."

Elles sont exercées par une meute : il y a une dynamique de groupe contre une personne.

Nora Tirane-Fraisse, fondatrice et directrice générale de l'association Marion, la main tendue

Et elles sont permises par un fameux triangle. "On a les auteurs : harceleurs et harceleuses, on a la personne-cible : la victime, et on a les témoins. Et dans cette relation triangulaire, il y a les enfants, et les adultes." La responsable confirme le message, en ce qu'il invite à "ne pas laisser l'enfant seul, il faut s'approcher de lui, porter secours".  

Elle cite sa propre bande-dessinée, Camélia face à la meute, au titre éloquent. Comme témoins, "on y voit tous professeurs, mais aussi les autres élèves. Il y en a :

  • qui ont peur que ça leur arrive, donc ils n'osent pas bouger,
  • qui participent car ils trouvent ça jouissif,
  • qui le font pour que ça ne soit pas eux qui en soient victime à la place...

Sans oublier des professeurs qui sont désarmés et qui ne savent même pas de quoi il s'agit. Encore aujourd'hui, on a des adultes qui minimisent et ne se mettent pas à la hauteur des enfants, affirmant que ce ne sont que des chamailleries et que personne n'en est mort." Hélas si, beaucoup en sont morts... "C'est du harcèlement. La personne en souffre, elle est isolée. Cela touche sa santé mentale, sa scolarité."

Les adultes ont leur part de responsabilité

Toutefois, même si le message s'adresse aux enfants, il ne doit pas s'adresser qu'à ces derniers. "Ce n'est pas facile. Et personnellement, je ne veux pas faire porter la responsabilité de la résolution de ce sujet par les enfants. Mais plutôt pour les adultes, qui devraient former une communauté protectrice et bienveillante vis-à-vis de tous ces élèves, et notamment les témoins."

Un exemple bien parlant est celui d'être témoin d'une agression sur une tierce personne dans le métro. "Ou de violences conjugales, intra-familiales : les témoins sont des victimes aussi. Vous êtes sidéré, choqué; vous ne savez pas si vous devez porter secours. Alors imaginez quand c'est répété : c'est encore pire." 

C'est le fameux effet témoin : une seule personne agit, et le reste suit. "C'est pour ça qu'on fait des ateliers pour les élèves, dès l'âge de 5 ans, pour développer les capacités psychosociales : empathie, assertivité." Les adultes sont concernés aussi. Combien de fois des élèves ont témoigné qu'on leur avait dit que ce qu'ils avaient signalé n'était pas grave ? "Entre adultes, ce serait grave. Pourquoi ça ne le serait pas entre enfants ? Il faut mettre fin à cette dissymétrie."  

La généralisation du programme pHARe vise à y remédier. "Les familles sont aussi concernées. Il faut mettre fin à un tabou en leur disant que oui, leur enfant peut être un harceleur, et qu'il ne doit pas rabaisser, humilier, se moquer à répétition." Car celui qui harcèle perd aussi au change. Des "élèves ambassadeurs" ont aussi été désignés, et formés pour recueillir la parole des autres élèves ("car il est plus facile d'en parler avec ses pairs"). Et la transmettre auprès de "l'équipe ressource : au moins cinq adultes formés par établissement". Dans toutes les écoles, mais maintenant aussi les collèges et lycées. 

Des signes qui doivent alerte

Qu'on soit élève, membre de l'équipe éducative ou parent, il est important de pouvoir repérer les signes qui peuvent indiquer qu'un enfant subit du harcèlement. "Il pourra être seul à la récré ou à la cantine. C'est de l'isolement, pas de la solitude : c'est différent. On peut être seul pour lire un livre. Mais ne jamais être dans une dynamique de groupe positive, ne jamais être invité aux anniversaires, c'est être isolé. Et ça n'est pas normal, car l'école est un lieu de socialisation."

Être isolé, ça n'est pas normal, car l'école est un lieu de socialisation.

Nora Tirane-Fraisse, fondatrice et directrice générale de l'association Marion, la main tendue

Le décrochage scolaire (quand les notes auparavant correctes chutent brusquement) est un autre signe. "Le harcèlement créé de l'anxiété. Quand vous avez peur, vous ne pouvez pas vous concentrer." L'inverse est aussi véridique : le surinvestissement scolaire, "dont on parle assez peu", comme souscrire à une option ou vouloir être scolarisé dans un autre établissement doté d'un internat. "Ça peut vouloir dire qu'il ne se sent pas bien là où il est." 

Un désintérêt soudain pour ce qui était une passion jusqu'ici doit alerter. Des troubles du sommeil peuvent aussi apparaître. Un bon dormeur dort beaucoup moins, ou une dépression peut faire dormir beaucoup quelqu'un qui avait jusqu'ici un sommeil assez troublé. Même le fait d'arrêter de prendre les transports en commun pour aller à l'école à pied doit paraître suspect, n'importe quel changement brutal qui ne paraîtrait pas justifié.

Les parents ont un rôle à jouer. "Demandez avec qui il a mangé à la cantine, plutôt que ce qu'il a mangé [comme plat]." L'adulte doit pouvoir se montrer protecteur, et faire savoir à l'enfant qu'il peut tout lui dire, qu'il n'y a pas de tabou. 

La violence subie en cas de harcèlement peut être physique. "Un enfant qui a beaucoup de bleus pourra prétendre qu'il est tombé." Même à répétition. Et c'est aussi moral, par exemple le cas d'un élève qui prétend perdre son matériel plus que de raison. "C'est peut-être plutôt du vol ou du racket." 

Du progrès, mais peut mieux faire

Du temps a passé, depuis le lancement d'une pétition par Nora Tirane-Fraisse sur Change.org pour demander la création d'un numéro d'urgence (3020) pour la prise en charge des élèves harcelés. Désormais, il figure dans les carnets de correspondance remis aux élèves à la rentrée. La pétition demandait aussi des formations spécifiques, et la mise en place d'une journée nationale thématique. Près de 80 000 personnes l'avaient signée.

"Il y a eu des choses positives. Aujourd'hui, tout le monde connaît à peu près la définition du harcèlement et peut l'identifier. Il n'y a plus de déni, il y a eu des lois, des formations, on a expérimenté un programme. Cela a été long, mais on a eu la volonté : maintenant, il faut des moyens."

Mais il reste du chemin à parcourir. "Malheureusement, on a toujours un million d'enfants qui en sont victimes. Il y a toujours des suicides. Notre plate-forme reçoit des appels de familles concernées toute la journée." Ce qu'on appelle des maisons Marion ont été créées pour aider les victimes et accueillir des groupes de parole. 

L'association donne le chiffre de cinq élèves harcelés par classe en moyenne. Ce qui implique qu'il y a forcément beaucoup de témoins dans le fameux triangle où se trouvent la personne harcelée et ses bourreaux. "Ce n'est pas facile de dire à un enfant que même s'il y a une peur d'être mis à l'écart, il a le choix de pouvoir porter secours à un élève. En s'asseyant à côté d'elle, ou en allant voir un élève ambassadeur, ou un adulte." 

Les formations de ces adultes concernent des effectifs élevés. "Les communes nous demandent énormément d'intervenir pour former leurs agents en périscolaire." Il faut aussi former le personnel de la cantine, quand bien même il ne s'agit pas de professeurs. "C'est toute la communauté éducative qui est concernée, pas que la communauté pédagogique." Cours, couloirs, cantine, bus scolaire (et même colonie de vacances) : c'est là où se produit l'essentiel des cas de harcèlement. Qui restent trop nombreux, envers et contre tout.

L'association Marion, la main tendue propose une plate-forme d'écoute gratuite, de nombreuses ressources en ligne, et une application nommée Kolibri App pour enfants et parents. Sans oublier, on l'a dit, son nouveau podcast

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