Depuis le début de l'année, l'association "SOS Amitié" reçoit 20 % d'appels en plus. Une hausse en lien avec la Covid-19. Au téléphone, ces voix attentives écoutent des maux de l'esprit, directement liés à l'épidémie.
Dans un petit bureau à la décoration neutre, un téléphone fixe trône au milieu d'une large table en bois. Le visage baissé vers le combiné, Marie* engage la discussion : "SOS Amitié, j'écoute." Au bout du fil, des voix hommes ou de femmes résonnent tour à tour dans la pièce. L'échange peut durer quelques minutes comme trois quart d'heure. Il n'y a pas de règle. Cet après-midi là par exemple, Marie a longuement écouté une femme en détresse, une veuve qui ne parvient pas à faire le deuil de son mari. Les années passent mais l'absence reste, les souvenirs avec.
J'accueille la souffrance de l’autre.
Ces maux du coeur et de l'esprit, Marie les écoute environ vingt heures par mois. Aujourd'hui retraitée, cette bénévole "accueille la souffrance de l'autre" depuis quatre ans à Reims. Des voix sans nom, sans identité. Dans l'association, c'est la règle : les appels restent anonymes. "En aucun cas nous ne sommes des guérisseurs." me répète Marie, "Nous accompagnons et écoutons des personnes vulnérables. Ils appellent car ils savent qu'ils ne seront pas jugés."
20 % d'appels en plus
Depuis plusieurs mois, le téléphone sonne davantage. Cette année 2020, l'association reçoit environ 20 % d'appel en plus. Un chiffre qui fait sens en cette période particulièrement anxiogène. Jean-Marc*, bénévole chevronné, en sait quelque chose. Autour d'une table, il se remémore deux appels qui l'ont marqué, il y a tout juste quinze jours. "Il s'agissait de deux étudiants. Ils n'étaient pas bien du tout. Ils avaient décroché des cours et n'avaient pas passé les partiels. Ça m'avait troublé car c'est rare."
Il y a plus d'abattement avec la Covid-19
Dans les échanges, le mot Covid revient souvent. Peur de la mort, de l'isolement, de la perte du travail, le virus nourrit les angoisses à tous les étages. "Les appelants en parlent comme d'un problème supplémentaire.", reprend Jean-Marc, "Ces deux dernières semaines, j'ai entendu de l'inquiétude et de la tristesse par rapport aux fêtes de fin d'année. Ce sont des personnes âgées qui savent qu'elles ne feront pas Noël en famille. On entendait pas ça les années d'avant." Pour d'autres, l'épidémie déclenche de nouveaux maux, comme la dépression et les crises d'angoisses : "Il y a plus d'abattement avec la covid-19." assure Jean-Marc.
Dans certains appels, parfois, des théories du complot s'immiscent, "une minorité" nuance Marie. À la cellule d'écoute de Troyes, une bénévole nous confie par exemple un échange : "un appelant m'a dit : je connais une infirmière qui m'a dit qu'il n'y avait personne en réanimation (...) A chaque fois que je lui disais ce que je pensais, j'étais contredite. Ça activait l'aggressivité de l'appelant."
Une écoute bienveillante et empathique
Face à cette détresse quotidienne, comment réagir ? Dans l'association, l'écoute des bénévoles est basée sur la bienveillance et l'emphatie. "Nous donnons de la place à l'autre. Il faut que la personne sente qu'on est bien là, qu'on l'écoute." explique Marie. Les bénévoles partent tous du même principe : ne donner aucun conseil.
En amont, chaque semaine, les bénévoles se regroupent avec un psychanalyste pour échanger sur les appels. A Troyes, Béatrice Braun est l'une de ces professionnels. « En cette période, il y a une espèce de décharge agressive, des angoisses, des désirs de suicides. Tout ça, c’est une charge émotionnelle extrêmement forte chez les écoutants. », explique la médecin. Etre à l'écoute des autres signifie aussi connaître ses limites, comme le dit Jean-Marc, "On est un petit peu comme une éponge."
* Les prénoms ont été modifiés.