Habitué des prétoires en France, le cas du polémiste Dieudonné s'invite pour la première fois mardi devant la justice europénne à Strasbourg, la CEDH devant se prononcer sur l'amende qui lui a été infligée en 2009 pour avoir fait monter sur scène un négationniste.
Le polémiste avait été condamné pour son spectacle du 26 décembre 2008 au Zénith de Paris. Ce soir-là, il avait convié sur scène le négationniste Robert Faurisson, l'avait fait applaudir par le public et lui avait fait remettre un "prix de l'infréquentabilité" par un comparse déguisé en déporté juif.
Devant les tribunaux, Dieudonné s'était défendu en expliquant que "c'était très drôle" et que les spectateurs avaient ri. Mais la justice n'avait pas adhéré à
cette analyse. L'intéressé "a très largement excédé les limites admises du droit à l'humour", avait ainsi souligné le tribunal de grande instance de Paris en octobre 2009. "Le droit à l'humour connaît des limites, et spécialement le respect de la dignité de la personne humaine", avait renchéri la cour d'appel, en confirmant la peine en mars 2011.
Pour son avocat, Me Jacques Verdier, ce dossier et son traitement judiciaire en France relèvent "d'une forme de paranoïa anti-Dieudonné". On a voulu "jeter l'opprobre sur lui, faire un coup médiatique", dénonce-t-il à l'AFP. En saisissant la CEDH, Dieudonné conteste la base légale de la procédure à son encontre: il affirme avoir été condamné pour une "mise en scène", ce que ne prévoit pas explicitement la loi de 1881 sur la liberté de la presse, en vertu de laquelle il a été poursuivi. Surtout, le polémiste soutient que sa condamnation a porté atteinte à sa liberté d'expression.
D'autres requêtes pendantes
Pour Pierre Mairat, avocat et président honoraire du Mrap - Mouvement contre le racisme et pour l'amitié entre les peuples, qui s'était porté partie civile dans la procédure française parmi d'autres associations anti-racistes -, "la question est de savoir si, dans une société démocratique, on a le droit de poser des limites à la liberté d'expression, dans des cas où il y a atteinte à la dignité humaine". En l'occurrence, "je suis convaincu que la CEDH va rejeter la demande" de Dieudonné, a poursuivi Me Mairat. "Je serais consterné, ébahi, abasourdi" si cela ne devait pas être le cas, a-t-il ajouté.Selon le juriste français Nicolas Hervieu, spécialiste de la CEDH, la jurisprudence de la cour de Strasbourg est "très stricte" en ce qui concerne la négation de l'Holocauste. La CEDH "tolère que les Etats puissent punir les proposantisémites ou niant la Shoah", explique-t-il. Très récemment, le 15 octobre, la Cour a d'ailleurs précisé cette jurisprudence, à l'occasion d'un arrêt concernant un Turc qui avait nié la réalité du génocide arménien. Pénaliser la négation de l'Holocauste "se justifie", car une telle attitude "passe invariablement pour la traduction d'une idéologie antidémocratique et antisémite", ont argumenté les juges européens.
Si la requête de Dieudonné était rejetée mardi, il aurait la possibilité de demander un nouvel examen de son dossier devant l'instance suprême de la CEDH, la Grande chambre - ce que la Cour n'est toutefois pas tenue de lui accorder. Dans les mois à venir, la CEDH aura d'autres occasions de se pencher sur le cas Dieudonné: le polémiste a déposé des requêtes - toujours pendantes à Strasbourg - contre l'interdiction par les autorités de trois de ses spectacles en janvier 2014, à Nantes, Orléans et Tours.