Près de Droyes, en Haute-Marne, se tient la ferme des parents d'Hubert Charuel, réalisateur de Petit paysan. Il est temps pour son père de partir à la retraite. Il faut trouver une solution pour les vaches. "Les vaches n'auront plus de nom", à voir le lundi 2 mars à 23h30 sur France 3 Grand Est.
L'heure de la retraite a sonné pour Jean-Paul Charuel. Mais son épouse Sylvaine doit encore travailler trois ans. Seule pour s'occuper des 30 vaches allaitantes, c'est impossible. Alors petit à petit, ils vont laisser partir leurs vaches dans une ferme voisine. Leur fils Hubert, réalisateur du film Petit paysan, récompensé par trois Césars, filme avec tendresse ses parents dans cette période transitoire.
Voici trois bonnes raisons pour regarder Les vaches n'auront plus de nom.
1- L'histoire d'une vie de labeur
Jean-Paul est plutôt taiseux. Exploitant agricole avec son épouse Sylvaine, il a travaillé dur pour tenir sa ferme de 100 hectares et d'une trentaine de vaches allaitantes "à haut potentiel". Désormais, il aspire à prendre sa retraite, pour profiter du calme et du silence de la campagne haut-marnaise, à quelques encablures du lac du Der-Chantecoq.Sylvaine doit travailler encore trois ans avant de prétendre également à la retraite. Elle va aller travailler dans une ferme voisine, où petit à petit ses vaches vont la rejoindre, pour augmenter le cheptel d'un patron paysan. Elle dirige tambour battant, la vie de sa ferme, de ses 30 vaches, ses chevaux, ses chiens et de son chat.
Leur fils Hubert Charuel, jeune réalisateur, ne reprendra pas la ferme, au grand dam de sa mère, qui aurait bien aimé qu'il continue à s'occuper de ses vaches. Il a choisi la voie du cinéma tout en déclarant son admiration pour le métier de ses parents : le thème de son tout premier film Petit Paysan, illustre les pires craintes des jeunes repreneurs agriculteurs.Mon père n'en peut plus des vaches. La passion des vaches, c'est celle de ma mère.
- Hubert Charuel, réalisateur
Trop de soucis, trop de travail, trop de dévouement et trop de risques pour si peu de reconnaissance. Sa vision sur la vie de labeur de ses parents. Une vie rythmée par la traite, les travaux agricoles, les petits-déjeuners, les déjeuners et les soirées où Sylvaine et Jean-Paul, épuisés s'endorment sur leurs magazines et devant la télé.
Pourtant Sylvaine aurait souhaité que son fils reprenne l'exploitation et ne peut pas cacher son dépit de devoir laisser partir ses animaux. Elle lâche, de biais à la caméra:
Quelque part, c'est quand même triste de n'avoir personne derrière...
- Sylvaine Charuel, agricultrice
Tiens pan! Dans les dents de son fils qui se tient pourtant derrière... la caméra. Car c'est bien elle qui est la plus effrayée par la situation. Elle le coeur gros de voir partir ses vaches. Elle en veut un peu à son mari qui part avant elle, un peu à son fils, qui n'a pas choisi de les suivre, mais cette femme au regard franc, n'affiche pourtant aucune colère, juste de la désillusion, avec beaucoup de pudeur. Dans un souffle rapide, elle finit par dire :
Ça s'appelle "chronique d'une mort annoncée". Moi, le départ de mes vaches d'ici, ça me terrifie.
- Sylvaine Charuel
2 - Donner des petits noms, écouter des petits bruits
Sylvaine parle à ses vaches, comme on parle à son chien ou à son chat. Elle les carresse, les gratouille ; elle les soigne et les nourrit. Dans leur nouvel environnement, elle les chouchoute en les plaçant sous la grosse brosse automatique. Les normes l'obligent à leur donner des numéros, mais elle leur attribue aussi des petits noms. Avec malice, elle nous explique: Elle s'appelle Dimanche, parce qu'elle est née un dimanche et que c'était l'année des "D" ; cette année elle m'a fait une femelle que j'ai appelée Jeudi, car elle est née un jeudi et c'est l'année des "J".
- Sylvaine Charuel
Mais elle ajoute avec regret:
Celle-là, ce ne sera plus Falbala, ce sera numéro 53 parce que là-bas, ils s'en fichent des prénoms. Maintenant, mes vaches seront des numéros.
- Sylvaine Charuel
Jean-Paul, quant à lui, reste pragmatique face à l'appréhension de son épouse et il la remet en place gentiment :
Et le pire, c'est que tu ne vas pas leur manquer !
- Jean-Paul Charuel, agriculteur
Ce qu'elle ne dit pas Sylvaine, c'est que tous les petits bruits qui font son quotidien vont lui manquer. Les "toc-pshit-toc-pschit" de la trayeuse électrique. Les "meuh" qu'elle décrypte parfaitement. Tout cet univers qui fait de son quotidien une zone de confort. Tous ces petits riens qui, au contraire, usent Jean-Paul.
3 - Jamais sans ma vache
Une fois certaines vaches parties pour la grande ferme voisine, elles se sont assimilées au reste du troupeau. Et si les premiers temps, Sylvaine s'occupait de préférence de ses vaches, elle a dû se rendre à l'évidence, son amour n'était pas réciproque.Au gré de l'ingratitude de Dimanche, de Jeudi ou de Falbala, Sylvaine va peu à peu accepter la séparation. C'est avec le regard amusé qu'elle lit dans son horoscope : "Vous espérez des manifestations d'affection, vous en serez pour vos frais !.... Pensez à vous économiser!"Ben tu sais pas ? Les autres, celles qui sont déjà là-bas, eh bien, elles n'ont plus rien à foutre de ma gueule. Je les traite d'ingrates...
- Sylvaine Charuel
Et lorsqu'enfin le dernier groupe de vaches part pour l'autre ferme, Sylvaine interroge son mari et son fils, les yeux au bord des larmes, pour attirer l'attention sur les émotions des autres :
- Ça vous fait quoi de voir partir les vaches?
- Je pensais que ça me ferait plus drôle que ça. C'est la première fois qui m'a fait drôle, quand les cinq premières sont parties, répond son mari.
Elle enchaîne sur une pirouette pour sourire. Rire pour ne pas pleurer.
Mais l'émotion la rattrape et une fois le tracteur parti avec ses dernières vaches, Sylvaine craque et crie son désespoir: "Je ne veux pas qu'on me filme" lance-t-elle en lâchant enfin sa colère. Alors que Jean-Paul, impuissant à l'aider, la regarde s'éloigner, les deux toutous se flanqueront dans le sillage de leur maîtresse.
Trois ans plus tard, à l'heure de la retraite de sa maman, Hubert est retourné filmer ses parents. On les retrouve côte à côte, complices, penchés sur l'écran d'ordinateur en train de choisir la destination de leurs prochaines vacances. Chacun vaque ensuite à ses "occu-passions" : astiquer patiemment sa moto flambant neuve pour Jean-Paul, tandis que... (Attention, ne lisez pas la suite si vous ne voulez pas être spoilé !)
En juillet 2019, une équipe de France 3 Champagne-Ardenne avait rencontré le réalisateur et ses parents. Sylvaine et Jean-Paul ont depuis ouvert un gîte pour garder un revenu (le gîte du petit paysan). Sylvaine Charuel confiait : "je pense que les vaches ne me quitteront jamais."