Le lundi 16 mars, l'Allemagne fermait ses frontières avec la France et donc avec l'Alsace. Elles n'ont rouvert que trois mois plus tard le lundi 15 juin. Cette situation inédite a entraîné du ressentiment de part et d'autre, des blessures se sont ouvertes qui vont mettre du temps à cicatriser.
C'est le premier village allemand après la ville de Wissembourg. Schweigen-Rechtenbach est une commune viticole de la Südlische Weinstrasse, la route du vin du Sud du Palatinat. A l'entrée du village, 50 mètres après le poste frontière occupé pendant trois mois par des douaniers allemands, se trouve un grand panneau portant cette inscription: "Nous souhaitons affirmer notre pleine solidarité envers nos voisins et amis alsaciens". A quoi s'ajoute : "Wir stehen zusammen, wir sind eine Region", "nous sommes solidaires, nous sommes une seule région". Cette affiche a été réalisée par les deux propriétaires du bureau de tabac allemand situé juste après la frontière. Andreas Lindner et son compagnon Dirk Bergstraesser n'étaient pas en Allemagne quand les frontières se sont fermées. Ils étaient en vacances au Mexique avec leurs meilleurs amis alsaciens. C'est une employée qui les a prévenus du bouclage de la frontière le 15 mars dernier. Ils n'y ont tout d'abord pas cru mais, très vite, via les réseaux sociaux et les informations, ils ont eu confirmation de ce qui leur semblait impossible.
De retour en Allemagne quelques jours plus tard, ils n'ont pu que constater les dégâts: leur magasin était pour ainsi dire vide. 80% de leur clientèle est alsacienne, ces Alsaciens interdits de séjour en Allemagne. "Au départ, les règles n'ont pas arrêté de changer. Les frontaliers avaient encore le droit de faire leurs courses ici, puis plus sous peine d'amende, nous raconte Andreas Lindner. Nos salariés alsaciens étaient embêtés par les douaniers allemands. On leur demandait des laisser-passer, leurs papiers, on leur posait d'interminables questions. Nous aussi nous avons été embêtés par de jeunes douaniers venus des quatre coins d'Allemagne et qui n'avaient aucune idée de ce qu'était cette zone frontalière. D'autres étaient très bien".
Andreas et son compagon sont allemands, travaillent en Allemagne mais vivent depuis 17 ans, de l'autre côté, en Alsace, par choix et pour la qualité de vie "à la française". Pour eux, la frontière n'existait plus. "J'ai connu l'Allemagne divisée en deux, la RDA et la RFA. Je n'aurais jamais imaginé vivre à nouveau avec une frontière devant ma porte", témoigne Dirk Bergstraesser. Très vite, des témoignages d'amis et de clients leur parviennent: des Alsaciens à qui on raye la voiture sur le parking d'un supermarché allemand ou qui se font insulter "rentrez dans votre coronaland"! "Il y a des idiots partout!", conclue Andreas Lindner.
A l'Université populaire transfrontalière Pamina, Annette Striebig-Weissenburger a lancé un appel à témoignage. Elle souhaite collecter toutes ces histoires vécues par les habitants de la zone frotalière, qu'ils soient alsaciens ou allemands, pour les garder aux archives municipales de Wissembourg. Pour l'heure, elle a rassemblé 40 témoignages. Tous ont un point commun: le choc ressenti au moment de la fermeture de la frontière, l'incrédulité. "Les gens qui nous ont écrit se demandent où est l'Europe. Ne s'agit-il qu'une parodie d'Europe?", synthétise Annette Striebig-Weissenburger. Et de se demander: "que va-t-il se passer maintenant?"
Pour elle la réponse est toute trouvée: continuer, continuer à tisser du lien entre les voisins alsaciens et allemands notamment au travers de son institution financée en partie par des fonds européens. "Notre programme d'enseignement des langues a été suspendu au début du confinement. Nous ne pourrons reprendre les cours de français et d'allemand qu'après l'été". Mais le programme des visites organisées par l'instituion se poursuit une partie de l'été. La sortie du samedi 18 juillet par exemple s'appelle "Voler sans frontières". Elle permettra aux participants de survoler le secteur de Wissembourg à bord d'un planeur à moteur depuis l'aérodrome allemand de Schweighofen. Une façon de prendre de la hauteur et de survoler la frontière, sans aucune barrière.