Jean-Marie Villemin fait entendre sa voix quarante ans après la mort de son garçon, dans un roman graphique publié aux éditions Les Arènes. Intitulée "Grégory", la BD qui sortira le 3 octobre prochain raconte le point de vue du père du petit Grégory. La procédure judiciaire de cette affaire hors-norme est toujours en cours.
La BD déjà disponible en précommande sur plusieurs sites pourrait vite devenir un best-seller. Sobrement intitulé "Grégory", le roman graphique signé Pat Perna et Christophe Gaultier, ne revient pas seulement sur l'une des affaires irrésolues les plus marquantes de notre histoire judiciaire, mais elle donne surtout à entendre la voix du père du petit Grégory.
J'avais du chagrin dans les veines comme d'autres ont de l'alcool
Jean-Marie Villemin lors de son procès en novembre 1993
Une voix si rare qui préface la BD et qui a inspiré le récit. Jean-Marie Villemin ne s'exprime jamais publiquement. Les exceptions sont rares : une interview dans l'émission La Marche du siècle dix ans après les faits, une interview donnée à La Croix en 2006 et enfin, la postface du livre de son avocat et ami Thierry Moser en 2021.
L'éditeur de "Grégory" a déjà prévenu que Jean-Marie Villemin ne parlerait pas dans les médias. Le couple qui vit loin de Lépanges-sur-Vologne (Vosges), lieu du drame, a toujours voulu préserver son anonymat après les multiples rebondissements de l'affaire.
Thierry Moser, l'avocat historique du couple connaissait l'existence de ce projet :
"Il y a des BD très sérieuses qui ont raconté des procès, je pense notamment au procès d'Yvan Colonna en 2007. C'est un moyen nouveau pour s'exprimer. J'ai eu confiance en ce projet à cause du choix de la maison d'édition (Les Arènes) et parce que Jean-Marie est loin d'être un écervelé. Il m'a dit que j'en recevrais un exemplaire en avant-première, je sais qu'il est question du procès au départ et qu'il y a ensuite un flash-back sur les évènements tellement douloureux qu'ont vécu Christine et Jean-Marie".
De l'encre a déjà coulé sur "L'affaire", de très nombreux ouvrages y ont été consacrés. Comment ne pas citer "Le bûcher des innocents" de Laurence Lacour qui fait référence et qui a inspiré une première série télévisuelle. Un ouvrage déjà publié aux éditions Les Arènes.
Véritable phénomène de société, l'affaire Grégory a pris une dimension internationale avec l'incroyable série documentaire "Grégory", diffusée sur Netflix en 2019, avec des archives inédites, qui a transformé les millions d'abonnés de la plateforme en enquêteurs amateurs.
Le point de vue du père
Quarante ans après l'assassinat du petit Grégory, quatre ans, retrouvé pieds et poings liés dans la Vologne, c'est donc le père qui occupe une place centrale dans la BD.
Outre la préface signée Jean-Marie Villemin dont on ne sait rien pour l'instant, c'est le récit de son vécu qui a inspiré les auteurs Patrice Perna au scénario et Christophe Gaultier au dessin avec en particulier son passage en cour d'assises en novembre 1993. C'est lors de ce procès qu'il prononcera cette phrase mémorable reprise dans la BD :
"J'avais du chagrin dans les veines comme d'autres ont de l'alcool"
Persuadé que son cousin Bernard Laroche était l'assassin de son fils, Jean-Marie Villemin abattait ce dernier d'un coup de fusil en 1985. Principal suspect dans l'affaire Grégory, Bernard Laroche avait été écroué quelques semaines après le meurtre de l'enfant sur la base des déclarations de sa belle-sœur Murielle Bolle, laquelle s'était finalement rétractée. Pour ce meurtre, le père de Grégory sera condamné en 1993 à cinq ans de prison, dont un avec sursis. Une peine déjà effectuée en détention préventive.
Une affaire toujours en cours
Quarante ans après les faits, l'affaire est toujours en cours d'instruction. En 2017, Marcel et Jacqueline Jacob, grand-oncle et grand-tante de Grégory ainsi que sa tante Ginette Vuillemin sont mis en examen pour "enlèvement et séquestration suivis de mort". Ces mises en examen seront finalement annulées pour vices de forme en 2018.
Quarante ans après les faits et à l'occasion de la sortie de la BD quelqu'un finira peut-être par parler
Thierry Moser, avocat des époux Villemin
La belle-sœur de Bernard Laroche, Murielle Bolle, qui d'après l'accusation joue un rôle clé dans l'enlèvement de Gregory, est, elle aussi, mise en examen et incarcérée en 2017. Elle sera finalement remise en liberté deux mois plus tard faute de preuves. Une désillusion pour les époux Vuillemin toujours en quête de vérité sur la mort de leur enfant.
En janvier 2021, de nouvelles expertises génétiques sont demandées par le couple. L'ADN de parentèle est utilisé, en particulier sur les lettres du corbeau. Une personne sera bien identifiée, mais il s'agira d'une fausse piste. Dernier épisode en date, une demande pour des expertises complémentaires d'ADN et de reconnaissance vocale sur les enregistrements du corbeau.
"J'ai la naïveté de croire que quarante ans après les faits et à l'occasion de la sortie de la BD quelqu'un finira peut-être par parler, car des gens savent et se taisent depuis trop longtemps. Et il n'est pas impossible que les expertises finissent par donner des résultats" affirme Thierry Moser. "Dans d'autres cold case (affaire irrésolue) comme l'affaire Heaulme, des témoins ont parlé des années après les faits. Certaines personnes ont peur de parler, de faire la une des journaux mais certains ont peut-être une conscience" assène l'avocat.
Après avoir longtemps pensé que le crime de l'enfant était l'affaire d'un seul homme, les époux Villemin et leurs avocats penchent pour l'hypothèse du crime collectif. "Il n'est pas exclu que les personnes mises en examen en 2017 puissent l'être de nouveau à l'avenir" conclut Thierry Moser.