Affaire Grégory : ces internautes qui enquêtent eux-mêmes sur le meurtre non élucidé

La vérité viendra-t-elle des enquêteurs amateurs ? Sur les réseaux sociaux, et plus particulièrement sur Facebook, les groupes de discussion et d’enquête sur l’affaire Grégory pullulent et des milliers d’internautes s'improvisent détectives. Quels sont les risques liés à cette pratique ?

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Quatre décennies après l’assassinat de Grégory Villemin, un garçonnet de quatre ans, le 16 octobre 1984, ce fait divers non élucidé continue de fasciner. Le meurtre non résolu, les lettres et appels anonymes des "corbeaux", les secrets et rivalités familiales, ou encore le fiasco judiciaire et médiatique, constituent une source inépuisable pour ces enquêteurs 2.0, qui passent parfois un temps fou à tenter de résoudre eux-mêmes l’enquête. Cette pratique amateur, appelée aussi "web sleuthing" (de "sleuth", détective en anglais), permet parfois de résoudre des affaires criminelles grâce au web. Quelles en sont les limites ? 

Des dizaines de groupes Facebook mènent l’enquête

Les groupes d’enquête liés à l'affaire Grégory prolifèrent sur Facebook."Ceci est un groupe pour toutes personnes qui désirent connaître réellement la vérité sur l'affaire Grégory", peut-on lire en description de l'un d'entre eux, qui ne regroupe pas moins de 3900 membres. Pour y accéder, il faut répondre par oui ou par non à ces deux questions : "avez-vous espoir qu’on connaîtra la vérité un jour ?" et "que pensez-vous de l’affaire Grégory ?". Une fois accepté sur le groupe, on peut lire cet avertissement : "C'est un groupe neutre qui n'est ni pro-Laroche, ni pro-Villemin, on ne prend parti pour personne en particulier. On émet juste des hypothèses qui pourraient peut-être nous éclairer un peu plus".

J’ai découvert avec stupeur des horreurs à n’en plus finir sur Christine Villemin qui, je le rappelle, a bénéficié d’un non-lieu

Jérémy Pannetier, administrateur du groupe Facebook "Christine Villemin est innocente"

Régulièrement, l’affaire Grégory revient sur le devant de la scène et relance l’engouement des internautes pour ce fait divers : série Netflix, ouvrages, rebondissements judiciaires, prises de parole ou décès de l’un des protagonistes…  Jérémy Pannetier est l'administrateur de l'un des nombreux groupes Facebook dédiés à ce fait divers, "Affaire Grégory : Christine Villemin est innocente", 3 400 membres. "Il y a quelques années, j’ai visité certains des groupes Facebook consacrés à l’enquête. J’ai découvert avec stupeur des horreurs à n’en plus finir sur Christine Villemin (la mère de Grégory Villemin) qui, je le rappelle, a bénéficié d’un non-lieu le 03 février 1993 par la chambre d’accusation de la cour d’appel de Dijon pour absence de charges, traduisant qu’en l’état il n’y a absolument plus aucun doute à avoir sur l’innocence de cette dame. Par révolte, j’ai décidé d’ouvrir ce groupe pro-Christine Villemin", explique l’internaute.

Quand les réseaux sociaux révèlent des informations

Parfois, les internautes peuvent permettre de faire progresser les investigations. Parmi le flot d’avis et d’hypothèses, parfois un peu tirées par les cheveux, d’internautes qui enquêtent eux-mêmes sur des cold case (affaires non élucidées), des informations utiles peuvent parfois être révélées. "Parmi ces milliers d’enquêteurs amateurs, une poignée d’entre eux peut parfois apporter des informations utiles à l’enquête. Cela s’est déjà vu, je pense notamment à l’affaire Xavier Dupont de Ligonnès. Des internautes ont permis d’exhumer certains des messages du principal suspect et ceux d’Agnès, sa femme, qui se plaignait de son couple sur des forums", rappelle Me Sadry Porlon, avocat au barreau de Paris, intervenant sur des questions de droit de la presse appliquées à internet.

Si les réseaux sociaux peuvent avoir un effet bénéfique, par exemple en amenant certaines personnes qui ont des informations à parler, il y a aussi des travers

Me Romain Stark, avocat pénaliste au barreau de Nancy

La série documentaire Netflix "Don't F**k With Cats" (2019) met ainsi en lumière un petit groupe d’enquêteurs amateurs qui a passé au peigne fin la vie de Luka Rocco Magnotta, un criminel canadien surnommé "le dépeceur de Montréal", et permis notamment de rassembler ses différentes fausses identités. "Si les réseaux sociaux peuvent avoir un effet bénéfique, par exemple en amenant certaines personnes qui ont des informations à parler, il y a aussi des travers. Concernant l'affaire Grégory, mieux vaut laisser faire la justice et le pôle judiciaire "cold case" (crimes non élucidés) qui continue son travail d’enquête, et se garder de donner son avis alors que l’on n’a accès qu’à des bribes du dossier. Les internautes n’ont pas accès à l’instruction, forcément, on peut réinventer toute l’histoire quand on n’a que des informations partielles", résume Me Romain Stark, avocat pénaliste au barreau de Nancy.

Selon moi, l’affaire Grégory ne se résoudra jamais sur les réseaux sociaux

Jérémy Pannetier, administrateur du groupe Facebook "Christine Villemin est innocente"

Jérémy Pannetier, pourtant lui-même administrateur d’un groupe Facebook consacré à l’affaire Grégory, n'adhère pas à la thèse de l’enquête résolue grâce aux réseaux sociaux. "Il est normal de souhaiter connaître la vérité, la plupart des gens sont touchés et attristés par ce drame. Mais, selon moi, l’affaire Grégory ne se résoudra jamais sur les réseaux sociaux. Les internautes n’ont, pour la plupart, aucun moyen juridique et scientifique de résoudre cette enquête, qu'ils soient pro-Villemin ou pro-Laroche. J’espère néanmoins, surtout pour les parents de Grégory, que l’identité du coupable sera un jour dévoilée, grâce aux progrès scientifiques et aux analyses ADN", conclut le trentenaire.

Le risque de diffamation

Sur l’un des groupes publics Facebook dédiés à l'affaire Grégroy, qui réunit plus de 6500 membres, on peut lire la description suivante : "justice, médias : vous n'êtes pas crédibles parce que la vérité, n'importe qui est capable de la trouver devant son ordinateur, sans quitter son fauteuil". Au sein de cet espace de discussion, chaque internaute y va de sa théorie et différents protagonistes de l’affaire sont accusés ou innocentés à tour de rôle du meurtre de Grégory Villemin. "Attention à ne pas tomber dans l'injure ou la diffamation, c'est-à-dire affirmer un fait qui porte atteinte à l'honneur ou à la considération d'une personne. Souvent, les internautes ne citent pas leurs sources, ne s’expriment pas au conditionnel, ils ne prennent pas les mêmes précautions que les journalistes, par exemple", précise Me Sadry Porlon, avocat au barreau de Paris, intervenant sur des questions de droit de la presse appliquées à internet.

Cela n’est pas anodin d’accuser quelqu’un à tort, cette affaire n’est toujours pas élucidée

Me Romain Stark, avocat pénaliste au barreau de Nancy

"Cela n’est pas anodin d’accuser quelqu’un à tort, cette affaire n’est toujours pas élucidée", insiste Me Romain Stark, avocat pénaliste au barreau de Nancy. "Il y a une tolérance, mais attention à ne pas franchir certaines limites. La victime de la diffamation peut porter plainte contre l’auteur des propos diffamatoires dans un délai de trois mois. Celui-ci risque jusqu’à 12.000 euros d’amende si la diffamation est publique, 45.000 euros si elle est aggravée (motif raciste ou discriminatoire). Dans le cas de propos diffamatoires sur les réseaux sociaux, et plus particulièrement dans certains groupes "privés" Facebook dans lesquels des milliers de personnes peuvent pourtant lire ces déclarations, il s’agit bien de diffamation publique. Les propos tenus sont lus par des personnes étrangères au dossier, ces groupes n’ont donc plus rien de privé au sens du texte", explique l’avocat.

Tout le monde a le droit de penser ce qu’il veut sur cette enquête, mais je ne peux pas tolérer les commentaires accusatoires sur Christine Villemin, notamment

Jérémy Pannetier, administrateur du groupe Facebook "Christine Villemin est innocente"

En tant qu’administrateur de l’un des groupes Facebook consacrés à l’affaire Grégory, Jérémy Pannetier est parfois amené à modérer certains commentaires d’internautes. "Si je constate un commentaire très déplaisant à l’encontre de Christine Villemin, par exemple, je le supprime dès que j’en ai connaissance et son auteur se voit banni du groupe. Tout le monde a le droit de penser ce qu’il veut sur cette enquête, mais je ne peux pas tolérer les commentaires accusatoires sur Christine Villemin, notamment, ce serait encore laisser libre cours à une fausse information, il y en a déjà eu bien assez dans cette enquête", justifie le jeune homme.

Quatre décennies après la mort de Grégory Villemin, retrouvé ligoté dans les eaux de la Vologne, la justice enquête toujours.

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