Dans un contexte de crise mondiale, accentuée par la guerre en Ukraine, la question des énergies renouvelables est plus que jamais d’actualité. En Lorraine des collectifs citoyens sont déjà mobilisés pour produire de l’énergie verte et de nombreux projets existent, c’est le cas à Valleroy-le-Sec, un petit village des Vosges. Rencontres dans le cadre de l'opération Ma France 2022.
Juste avant l'arrivée dans le petit village de Valleroy-le-Sec dans les Vosges, de grandes éoliennes font une apparition inattendue dans la lumière douce de ce lundi matin de fin d’hiver. Elles n’ont rien à voir avec le projet du collectif citoyen que je m’apprête à rencontrer mais elles donnent le ton : sur ce territoire de la plaine vosgienne, les énergies renouvelables sont bien là.
Rendez-vous a été pris au GAEC des Co’pains, celui de trois associés qui produisent céréales, farine, pâtes et pain. Ici, on fabrique en bio et on a des valeurs, comme celles de produire et manger local. Pas étonnant que ce soit là, que les panneaux photovoltaïques du collectif Horizon de Mains aient été installés.
Sur place, je retrouve quatre des précurseurs du collectif citoyen de production d’énergie renouvelable : André Lassausse le président de la SCIC (Société coopérative d’intérêt collectif ) Horizon de Mains ; Mylène Lambert, la trésorière ; Bernard Defer, un sociétaire et Fabrice l’un des associés du GAEC. En 2016, ce sont eux, accompagnés de quelques autres qui se lancent un défi : celui de produire de l’électricité verte.
Pour André, c’est une phrase qui a fait tilt "la transition elle se fera si vous la faites" prononcée lors d’une journée de formation sur la transition écologique.
Pour Bernard Defer, militant anti-nucléaire depuis les années 80, c’est la conviction qu’il faut sortir de l’atome qui l’anime et il n’est pas peu fier d’y participer à son niveau.
La transition elle se fera si vous la faites
André Lassausse, président d'Horizon de Mains
Pour Mylène, locataire, c’est "une belle occasion pour ceux qui se sont pas propriétaires de pouvoir participer à cette transition en plus de faire partie d’un collectif".
Fabrice Felten, un des trois associés du GAEC, a lui aussi été motivé dès le départ : "on savait que le bâtiment pouvait être une source d’énergie alternative et l’aventure citoyenne correspondait bien à nos valeurs et à notre quête de sens".
La production annuelle en électricité de 30 personnes
Au départ de l’aventure, en 2017, 46.000 euros sont investis dans le projet d’énergie solaire Horizon de Mains. Les fonds proviennent de particuliers et le collectif bénéficie également d'une subvention de 13.000 euros de la région Grand Est via le dispositif Climaxion.
C’est sur une toiture du GAEC, d’une surface de 250 M2, que sont installés les panneaux photovoltaïques, garantis 25 ans, par la société Edodenn'ergie de Golbey.
La première année de fonctionnement, l’électricité a été revendue à EDF, et l’année dernière en 2021 à Enercoop. Le tarif est le même, 12 centimes d’euros du kW. Cela permet aux sociétaires de dégager en moyenne 5.000 euros de bénéfices par an. Pour l’instant, une partie du gain sert à rembourser les prêts et une autre à investir dans de nouveaux projets. En 2021, la production a augmenté de 10%.
Consommer et produire local
Cette production d’électricité, c’est une source de fierté pour les 70 sociétaires qui composent désormais la SCIC. "On consomme l’électricité au plus près. Ça n’est pas de l’autoconsommation mais l’électricité part dans le réseau qui alimente au plus près" explique Fabrice. "On a fait notre part, on est prêt à aider d’autres personnes à se lancer" se réjouit Bernard. La part sociale des sociétaires s'élève aujourd'hui à 101 euros, chaque détenteur d'une part est copropriétaire du projet.
Si on faisait trois installations comme ça dans le village, cela correspondrait aux besoins en électricité de la commune
Fabrice Felten, agriculteur
Pourtant, cette affaire n’était pas gagnée d’avance, elle a même failli capoter dès le départ pour une histoire de raccordement au réseau. Et puis, il y a eu les difficultés administratives. "A un moment, on a failli laisser tomber confie Fabrice, il fallait être très motivé dès le départ car il nous a fallu deux ans avant que le projet ne démarre". Ce que les militants du départ décrivent aussi, c'est un manque d’engouement autour de ce projet dans le village.
"Seules trois familles de Valleroy-le-Sec sont partie prenante dans le collectif, c’est difficile de faire accepter un projet différent", confirme André, désolé de ce conformisme ambiant. "Pourtant, si on faisait trois installations comme ça dans le village, cela correspondrait aux besoins en électricité de la commune" renchérit Fabrice.
Aujourd’hui, le profil des sociétaires est divers : on y trouve des particuliers, des associations, des collectivités et des entreprises comme le GAEC de Fabrice. Il y a encore peu de jeunes mais les sociétaires sont optimistes pour l’avenir.
Donner l’exemple
La SCIC Horizon de Mains voudrait aujourd’hui financer d’autres projets photovoltaïques mais la crise sanitaire a ralenti ce processus. L’idée d’accueillir des scolaires pour des visites fait également son chemin car il y a depuis le départ un aspect pédagogique à ce projet.
L’idée n’est pas de remplacer une énergie par une autre et produire toujours plus
André Lassausse président d'Horizon de Mains
Y compris sur la sobriété énergétique. "L’idée n’est pas de remplacer une énergie par une autre et produire toujours plus" insiste André. Et puis ces producteurs d’électricité verte veulent donner des idées à d’autres pour essaimer, avec toujours en ligne de mire, l'idée de garder la maîtrise de leur projet.
Des collectifs plus nombreux
Dans les Vosges, on dénombre trois projets collectifs citoyens autour de l’énergie solaire : à Valleroy-le-sec; tout près à Bains-les-Bains avec une installation photovoltaïque plus importante qui génère une production de 100 MWh par an soit l’équivalent d’une consommation électrique de 85 personnes; et un projet à Eloyes. Deux centrales hydroélectriques l’une à Epinal et l’autre à Raon-l’Etape sont également en fonctionnement.
Plus globalement, en Lorraine, on compte dix collectifs autour de l’énergie solaire : trois dans les Vosges, cinq en Meurthe-et-Moselle, un en Moselle et un en Meuse.
L’avenir à l’autoconsommation ?
De plus en plus de français ne veulent pas seulement revendre leur énergie verte. Pour plus de cohérence, ils veulent l’autoconsommer. En clair : ils veulent consommer ce qu’ils produisent via leur panneau solaire ou leur éolienne (c’est plus rare) sans avoir à revendre leur électricité verte à un fournisseur d’énergie comme le fait notre collectif de Vosgiens.
C’est possible et le dispositif est fortement encouragé depuis la loi de transition énergétique de 2015. Cette loi a en effet fixé pour 2030 un objectif de consommation renouvelable de 32% et l’autoconsommation est un moyen d’y arriver. La notion d’autoconsommation collective apparait également à la faveur de cette loi.
Pour en savoir plus, je quitte la plaine vosgienne pour me rendre à une conférence sur le sujet organisée par l’association Lorraine Energies Renouvelables à Badonviller en Meurthe-et-Moselle. Sur place,on trouve justement une installation photovoltaïque de la centrale villageoise Vezouze-en-Piémont.
Une centrale villageoise, c’est une société locale à gouvernance citoyenne qui porte des projets en faveur de la transition énergétique. Il s’agit d’un autre modèle que la SCIC de nos militants vosgiens, avec une structure nationale. On compte trois centrales villageoises en Lorraine actuellement. A Badonviller ce jour-là, parmi la quarantaine de personnes présentes, il y a justement des porteurs de projets de centrales villageoises qui veulent faire de l’autoconsommation collective.
Avec le coût de l’électricité qui augmente, tout ce qui peut être produit et consommé localement va faire baisser la facture énergétique
Jean-Marc Manouvrier, adjoint au directeur territorial, Enedis 54
Sur place, le président de Lorraine Energies Renouvelables, Alain Poirot donne le ton : "pour notre indépendance énergétique, l’avenir est à l’autoconsommation collective". Evidemment la crise énergétique mondiale est dans toutes les têtes depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine.
Invité sur place, Jean-Marc Manouvrier, adjoint au directeur territorial de Meurthe-et-Moselle chez Enedis, accepte de répondre à quelques questions. Aujourd'hui 95% des raccordements d'installations électriques en France sont réalisés par Enedis.
"Oui, ces projets d’autoconsommation collective ont le vent en poupe mais plutôt au niveau des collectivités locales. On compte 77 opérations en service en France, une seule en Lorraine à Dun-sur-Meuse basée sur une centrale hydraulique. Mais il y a aussi huit opérations en phase de conception, trois d’entre elle devraient être signées d’ici la fin de l’année. Je ne sais pas si on va dans le bon sens pour l’indépendance énergétique mais quand on voit le coût de l’électricité qui augmente, tout ce qui peut être produit et consommé localement va faire baisser la facture énergétique".
Autoconsommer pour faire baisser la facture
Toutes les personnes que j’ai pu interroger s’accordent à dire que l’autoconsommation fait baisser la facture. Selon le président de LER c’est environ 30% de moins pour l’autoconsommation individuelle via l'énergie solaire, qui concerne aujourd’hui 4.348 personnes en Lorraine. C’est ce qui intéresse aussi les collectivités locales et les entreprises qui se lancent dans ces nouveaux projets d’autoconsommation collective.
Avec l'autoconsommation collective, les entreprises subiront moins les hausses d’électricité
Loïc Vautrin, chargé de développement énergies renouvelables
C’est le cas de Loïc Vautrin, chargé de développement énergies renouvelables à Pays Terre de Lorraine qui regroupe quatre communautés de communes du sud de la Meurthe-et-Moselle. Il est chargé de l’accompagnement des entreprises et il est présent à Badonviller ce jour-là pour présenter un projet en passe d’aboutir. Lui aussi accepte de répondre à mes questions de néophyte.
"Là où le projet va se faire, avec l'autoconsommation collective, les entreprises subiront moins les hausses d’électricité, on saura prévoir les prix à 20 ans et on se sera pas dépendant de l’étranger. C’est le modèle qui va s’imposer demain parce que c’est le plus rentable. D’ici 2 à 3 ans, ces projets seront même viables sans subventions".
L'opération présentée par Loïc concerne six entreprises sur la zone d'activité En Prave du côté de Colombey-les-Belles en Meurthe-et-Moselle. Trois d’entre elles : un supermarché, un atelier de production de cosmétique bio et un laboratoire de boulangerie vont être productrices et consommatrices, c’est-à-dire qu’elles vont être équipées de panneaux photovoltaïques.
Le projet d’un coût de 600.000 euros va permettre de produire 600 MWh d’électricité verte, l'équivalent des besoins de 187 foyers par an. "30 à 40% de l’électricité sera consommée sur la zone à un tarif maitrisé sur 20 ans. Pour le laboratoire de boulangerie, on sait déjà qu’il va faire une économie globale de 3.000 euros dés la première année" explique Loïc. Son objectif, dupliquer ces projets collectifs sur des zones d'activité en impliquant les entreprises.
Cette démarche s’inscrit dans le dispositif Tepos : Territoires à énergie positive. L’objectif, c’est de faire baisser la consommation d’énergie d’ici 2050 et d'alimenter le territoire identifié avec 100% d’énergies renouvelables, un projet très ambitieux ! Mais pour cela, il faut en passer par la sobriété en divisant par deux l’énergie consommée sur le territoire.
La crise énergétique, un facteur d'accélération ?
Pour mes interlocuteurs, la crise mondiale des énergies va sans doute accélérer la transition énergétique. Loïc Vautrin reçoit de plus en plus d’appels d’industriels dans ce sens : "ce sont des demandes très spécifiques, mon contrat d'électricité se termine, les prix annoncés font fois 2, fois 3, ça met en danger mon entreprise, que faire pour que ma facture n’explose pas ? C'est très difficile de répondre à court terme, ces projets ne se montent pas en un jour et il y a une vraie lourdeur administrative malgré la pertinence économique".
Pour les vosgiens de Valleroy-le-sec, la crise énergétique ne fait que conforter leurs convictions. "C’est dommage qu’il faille une guerre pour qu'on parle d'indépendance énergétique, il y a aura peut-être un engouement sur les énergies renouvelables mais est-ce qu’il va durer ?" conclue Fabrice, l’agriculteur du GAEC des Co'pains.
En France fin 2021, Enedis dénombrait 530.195 installations photovoltaïques avec une accélération des demandes sur le troisième trimestre, en particulier pour des projets de centrale de forte puissance. On en compte 18.316 en Lorraine et 35.632 pour l'ensemble du Grand Est.