EPISODE 16 - C'était il y a 80 ans. Alors que les troupes allemandes étaient sur le point de barrer la route aux Britanniques dans leur repli vers Dunkerque, Adolf Hitler ordonnait à ses blindés de stopper leur avancée. Un tournant de l'histoire de la Seconde Guerre Mondiale.
A Arras, vers 2h du matin, les Britanniques quittent la ville. Ils se dirigent vers Douai mais à hauteur de Saint-Laurent-Blangy, l’artillerie allemande bloque leur progression.
Le lieutenant Christopher Furness des Welsh Guards part à l’assaut des canons allemands avec quelques blindés. Il est tué au cours de cette attaque mais la route est débloquée.
La bataille d'Arras est terminée. A l'arrivée des Allemands, la ville est vide et dévastée. Seuls des réfugiés et les derniers habitants se terrent dans les caves.
En Belgique, près de Courtrai, quatre divisions belges sont bousculées puis débordées par huit divisions allemandes, mais l’armée belge parvient à colmater les brèches grâce à des renforts. Les combats sont très violents, notamment à Kuurne.
Calais et Boulogne résistent encore
A Calais, les canons côtiers français et ceux de la marine britannique repoussent les assauts allemands.
Les pertes sont très élevées et les Stukas bombardent abondamment les défenses pour les faire céder.
A Boulogne-sur-mer, les Allemands sont sur les quais du port mais à quelques centaines de mètres de là, la Haute-ville résiste encore. Des canons bombardent la ville depuis le Mont Lambert.
A midi, l’assaut des murailles médiévales commence, la porte de Calais est attaquée à 18 heures.
L’assaut est repoussé, celui de 20h également. Deux navires de la marine nationale bombardent les Allemands depuis le large. Pierre Paillon est cuisinier et mitrailleur sur le contre-torpilleur Léopard. Depuis la veille, son navire croise au large de Boulogne-sur-mer.
L’artillerie du Léopard a bombardé la route de Wimereux et le fort de la Crèche occupé par les Allemands. Malgré l’intervention des aviations françaises et britanniques, les Stukas s’acharnent sur les navires et endommagent gravement Le Frondeur qui doit retourner à Cherbourg.
D’autres navires abandonnent la bataille, après 2 jours de bombardements, ils n’ont plus d’obus. Les canons du Léopard prennent la relève et arrosent la côte pour empêcher la progression des Allemands.
Les mitrailleurs, eux, tentent de repousser les avions allemands. Pierre Paillon assiste à l’exploit d’un chalutier, le Denis Papin. Arrivé à 5h30 de Cherbourg avec des vivres, ce navire parvient à entrer dans le port à quelques centaines de mètres des chars allemands. L’équipage débarque sa cargaison pour les derniers défenseurs et reprend la mer avec une centaine de blessés à bord.
Le Chacal, un contre-torpilleur français, est touché par 4 bombes de stukas. Depuis le fort d’Alprech, les Allemands tirent sur le bateau endommagé et sur ceux qui tentent de lui venir en aide.
Pierre Paillon assiste impuissant à la noyade de marins blessés projetés à la mer par les explosions. 167 matelots sont sauvés par un chalutier, 27 marins encore à bord réussissent à mettre une chaloupe à la mer et parviennent au cap Gris-Nez où des habitants les recueillent.
Dans la nuit, Le Chacal s’échoue 6 kilomètres au nord de Boulogne, 93 marins sont morts à bord. Après avoir bombardé une dernière fois les Allemands dans Outreau, le Léopard prend la direction de Dunkerque.
L'erreur fatale d'Hitler
Mais ce 24 mai restera dans l’histoire comme le jour où Hitler a commis l’erreur qui lui vaudra de perdre la guerre, 5 ans plus tard. A 12h45, le dictateur informe ses officiers que "la ligne générale Lens/Bethune/Aire-sur-la-Lys/Saint-Omer/Gravelines ne doit pas être franchie… Il appartient au contraire de laisser recoller toutes les forces mobiles" (cité par l'historien allemand Karl-Heinz Frieser dans Le Mythe de la guerre éclair).
Le soir du 24 mai, les Allemands sont à 15 kilomètres à peine de Dunkerque et pourtant Hitler immobilise ses divisions Panzer alors qu’elles ont la possibilité de couper aux Britanniques la route vers la cité portuaire. D’Arras à Gravelines, les blindés allemands regarderont passer les divisions alliées sans pouvoir agir.
Les officiers ressemblent à une meute de chiens de chasse que l’on arrête en pleine course juste devant le gibier et qui voit sa proie lui échapper.
Le colonel Rudolf Schmundt, aide de camp d'Adolf Hitler.
Le chef des aides de camp d’Hitler, le colonel Schmundt décrit la réaction des officiers allemands : "Ils ressemblent à une meute de chiens de chasse que l’on arrête en pleine course juste devant le gibier et qui voit sa proie lui échapper".
C’est le maréchal von Rundstedt qui dirige les opérations militaires en France et en Belgique. Avec Hitler, il estime que les divisions Panzer sont trop diminuées. Certaines ont perdu la moitié de leurs chars et il faut les préserver pour la conquête du sud de la France, une fois que les forces alliées coincées dans le Nord Pas-de-Calais auront été détruites.
Hitler et von Rundstedt veulent donc que l’infanterie et l’aviation se chargent de finir le travail. Ce choix permettra aux alliés de rapatrier de nombreuses troupes vers Dunkerque et d’établir de solides défenses le long des canaux comme l’Aa.
Désormais la Guerre-éclair est terminée. En à peine 14 jours de combats, les Allemands ont parcouru près de 400 kilomètres grâce à la rapidité de leurs blindés et à l’intrépidité de leurs généraux. Ils mettront 10 jours pour conquérir ces 15 derniers kilomètres.
Le martyre de Dunkerque commence
En attendant, l’aviation allemande s’acharne sur Dunkerque. Ce 24 mai, 2000 bombes incendiaires tombent sur Malo-les-Bains et le centre-ville. Les bassins du port sont mitraillés et le bastion 32, le quartier général des forces alliées à Dunkerque est bombardé par des Stukas.
Le sous-lieutenant Maurice Sansen, 27 ans, dirige à Dunkerque le service d'incendie de la Chambre de Commerce, située près des bassins du port. "Les bombes incendiaires, lorsqu'elles traversaient une toiture, mettaient le feu dans les combles et le contenu des combles", racontera-t-il dans un documentaire diffusé sur FR3 en 1978.
"C'était des engins en aluminium d'une longueur d'environ 30 à 40cm et qui pesaient 1 kilo", décrira le sapeur-pompier. "Elles étaient très légères et permettaient à l'aviation ennemie d'en transporter quelques milliers en même temps. Et d'asperger tout un quartier entier de la ville de Dunkerque".
L’abbé Lecointe, vicaire de l'église Saint-Martin, témoigne de ces bombardements quotidiens : "On faisait la queue pour attendre son tour de pain, cette queue lamentable fut souvent atteinte par les bombes. C’est là que de jeunes gens furent tués. Je me souviens de ce gamin de 15 ans qui, après avoir attendu 2 heures pour un pain, eut la colonne vertébrale complétement brisée par un éclat, et qui hurlait pour appeler sa mère. Je me souviens de ce soldat anonyme qui voyant arriver les bombardiers saisit un garçon de 12 ans qui se trouvait à côté de lui, le mit contre le mur, et se mit devant en disant : "Gamin, ne t’en fait pas, je suis là, s’il arrive quelque chose, c’est plus normal que ce soit moi qui prenne, je suis soldat !". Une bombe éclata, il fut tué, le gamin n’eut rien. Les scènes se succédaient et partout des gens anonymes firent preuve d’un courage sans pareil" (cité par l'historien Dominique Lormier dans Les vérités cachées de la défaite de 1940).
Sous les bombes, le général français Falgade est chargé de mettre en place la défense du port de Dunkerque et un camp permettant de recevoir et de réorganiser les troupes françaises qui se réfugient de plus en plus nombreuses sur le littoral. La première zone choisie pour ce camp de transit est la zone de dunes frontalière à Bray-Dunes, là où de nos jours s’étend le camping du Perroquet, bien connu des Nordistes.
Maintenant qu’ils savent que les Britanniques veulent quitter le continent, les Français voudraient faire de Dunkerque un camp retranché pour résister le plus longtemps possible aux Allemands et les empêcher de se retourner vers le sud pour envahir le reste de la France.
Les Britanniques, eux, veulent sauver leurs troupes et les mettre à l’abri en Angleterre, ils ne se laissent pas convaincre par le plan français de camp-retranché ou d’ultime contre-attaque vers le sud malgré des négociations au plus haut niveau entre les deux pays.
Le gouverneur de Lille rapporte que les soldats britanniques qui traversent la ville crient : "War finished !" ("guerre terminée").
► La suite de notre série demain avec la journée du 25 mai 1940. Vous pouvez relire les épisodes précédents dans le récapitulatif ci-dessous :