Mercredi, un reportage de "Cash Investigation" sur France 2 accusait le VAFC d'avoir contourné le fisc en organisant le départ de Carlos Sanchez dans un club chilien puis son retour sous forme de prêt. En Argentine, un juge mène l'enquête sur ces pratiques douteuses de "triangulation"
"Cash Investigation", consacrée au "foot business", a semé le trouble à Valenciennes : l'émission, diffusée mercredi soir sur France 2, accuse le VAFC d'avoir organisé à l'été 2012 le départ de son ancien joueur colombien, Carlos Sanchez, pour un obscur club chilien, les Rangers de Talca, puis son retour dans le Nord sous forme de prêt, afin de contourner le fisc. Le milieu de terrain est en effet revenu à Valenciennes avec un salaire brut déclaré diminué de 80% (le club chilien lui versant un complément de rémunération via une indemnité de 400 000 euros versée par le VAFC). Selon le journaliste qui a mené l'enquête, le club hennuyer aurait, par ce tour de passe-passe, économisé 41% de charges sociales, soit la somme de 456 000 euros.Du coup, nous avons contacté par téléphone, vendredi après-midi, le président valenciennois pour obtenir quelques précisions sur les zones d'ombre de ce dossier Sanchez. Mais il n'a pas souhaité nous répondre. "Affaire classée" selon lui. Mais peut-être pas pour tout le monde...
Un juge argentin mène l'enquête
En Argentine, un juge fédéral de Buenos Aires, Norberto Oyarbide, dirige depuis deux ans une vaste enquête sur des centaines de transferts de joueurs sud-américains, soupçonnant derrière ces transactions des opérations de fraude fiscale et de blanchiment.
Bien qu'ayant signé à l'été 2012 un contrat de 5 ans avec l'équipe chilienne (jusqu'au 30 juin 2017 indique le contrat de prêt), le Colombien a été prêté pour une saison à Valenciennes puis transféré, il y a un mois, à Elche, un club espagnol promu cette année en Liga. D'ailleurs, dès l'annonce du retour de Sanchez à Valenciennes en août 2012, plusieurs journaux chiliens, comme Diario El Centro, n'étaient pas dupes : ce tour de passe-passe constituait ce qu'ils appellent une "triangulacion".
Triangulations
Qu'est-ce qu'une triangulation ? Il s'agit visiblement d'une opération très courante dans le football sud-américain. En clair, deux clubs de foot se mettent d'accord pour le transfert d'un joueur mais le font d'abord transiter par un autre club, où il jouera peu voire jamais, afin d'alléger le coût de la transaction et surtout de contourner le fisc. Selon CIPER, le Chili est un pays où les taxes sur les salaires et les transferts des joueurs sont moins élevées que celles imposées en Argentine. Du coup, certains clubs argentins cèdent d'abord leurs joueurs à des clubs chilien, uruguayens ou suisses, avant de les reexpédier dans la foulée dans le véritable club acheteur.
Les exemples ne manquent pas. En 2006, l'attaquant argentin de River Plate, Gonzalo Higuain, a d'abord été vendu au FC Locarno, petit club suisse de deuxième division, avant de signer dans la foulée pour le prestigieux Real Madrid.
Les Rangers de Talca - le fameux club chilien de Carlos Sanchez - ont joué le même rôle que Locarno lors du transfert de Cristian Chavez de San Lorenzo vers Naples en août 2011. Et ce sont encore ces mêmes Rangers qui ont prêté Santiago Gentiletti au Stade Brestois lors de la saison 2011-2012. Comme Carlos Sanchez, ni Chavez, ni Gentiletti n'ont joué le moindre match avec ce club.
En 2010, les Argentins de San Lorenzo, visiblement coutumiers de ce genre de pratique, ont utilisé une autre équipe chilienne, San Felipe, pour transférer leur défenseur Renato Civelli vers l'OGC Nice. Selon CIPER, Civelli apparaissait dans la masse salariale de San Felipe entre 2010 et 2011, alors qu'il évoluait au même moment sur la Côte d'Azur. Bien entendu, l'Argentin, aujourd'hui en Turquie, n'a jamais joué pour ce club chilien.
L'OM et l'affaire Tuzzio
On l'a vu, Valenciennes n'est pas le seul club français à avoir eu recours aux "services" d'un club chilien ces dernières années. Mais l'affaire de "triangulation" la plus marquante dans notre pays reste le cas Eduardo Tuzzio qui s'est d'ailleurs conclu devant les tribunaux. En enquêtant sur les comptes de l'OM, la police marseillaise s'était rendue compte qu'avant de signer pour le club phocéen en 2001, ce défenseur argentin avait transité par la Suisse et le Servette de Genève. A l'époque pourtant, le joueur était arrivé en fin de contrat avec San Lorenzo (encore eux !) et pouvait théoriquement signer à Marseille sans que l'OM n'ait à verser la moindre indemnité de transfert.
Que s'est-il passé ? En fait, toute l'opération a été orchestrée par Pierre Dubiton, directeur financier du club, deux agents de joueurs - Hector Bargas et Gilbert Sau - et le président du Servette, Christian Hervé. L'enquête menée par la police marseillaise montrera que le Servette n'a finalement encaissé qu'un million de dollars sur ce transfert. Le reste a été reversé au joueur, aux deux agents, ainsi qu'à... Franck Leboeuf, joueur vedette de l'OM à l'époque, qui touchera environ 390 000 dollars "au noir" sur un compte luxembourgeois. A l'issue du procès en appel en 2008, l'agent de joueur Gilbert Sau, écope de 9 mois de prison ferme, Hector Bargas, l'agent argentin, de 18 mois avec sursis. Eduardo Tuzzio, Pierre Dubiton et Christian Hervé sont condamnés à 12 mois de prison avec sursis. Pour Franck Leboeuf, renvoyé devant le tribunal correctionnel, c'est la relaxe.
Aux frontières de la légalité ?
L'affaire Sanchez diffère bien entendu du cas Tuzzio. Valenciennes n'a pas surfacturé les services d'un joueur mais plutôt réduit son coût salarial. A l'été 2012, Carlos Sanchez était arrivé au terme de son contrat avec le VAFC et pouvait donc s'engager avec n'importe quel club, y compris une modeste équipe de première division chilienne. Par ailleurs, rien dans les règlements n'interdit qu'un joueur puisse être prêté par son club quelques jours à peine après y avoir signé.
Jean-Raymond Legrand a peut-être raison quand il affirme que "tout est légal" dans ce drôle de tour de passe-passe. Et c'est peut-être bien là le problème soulevé mercredi par le reportage de "Cash Investigation" où l'on voit des joueurs considérés par les clubs et les agents comme des chevaux de course ou un fonds spéculatif, dont on peut acheter une part, un pourcentage en attendant de réaliser un jour une énorme plus-value. Le tout avec la complaisance, voire la bienveillance, des autorités du football.
Dans le prêt de Sanchez, on peut s'interroger toutefois sur cette indemnité de 400 000 euros versée par Valenciennes aux Rangers de Talca "à titre de compensation du préjudice subi (...) pour la perte de la possibilité de transférer" le joueur, comme il est écrit dans la convention du mutation temporaire signée par les deux clubs en août 2012.Car en restant une saison supplémentaire en France, l'international colombien a pu obtenir la nationalité française ce qui a augmenté sa valeur marchande, le nombre de joueurs étrangers "communautaires" n'étant plus limité dans les effectifs des clubs européens depuis le célèbre arrêt Bosman. Le "préjudice" subi par les Rangers de Talca en prêtant Sanchez au VAFC paraît du coup très discutable. Selon le reportage de "Cash Investigation", ces 400 000 euros auraient en fait été reversés à Carlos Sanchez sous forme de salaire au Chili. On comprend du coup pourquoi le joueur a consenti à une baisse aussi drastique de sa rémunération officielle en France. Autre élément troublant concernant ce prêt, la convention signée par Valenciennes et le club chilien indique que Sanchez est "lié par contrat avec le club Rangers de Talca jusqu'au 30 juin 2017". Or, l'été dernier, selon la presse espagnole, Carlos Sanchez s'est engagé avec le club d'Elche en "agent libre", c'est-à-dire libre de tout contrat, pour un salaire annuel estimé entre 500 000 et 600 000 euros... cela signifierait donc que les Rangers de Talca ont accepté d'exonérer le joueur des quatre années de contrat qu'il lui restait à honorer théoriquement au Chili. Curieuse concession pour un club qui exigeait un an plus tôt une indemnité de 400 000 euros de la part de Valenciennes "à titre de compensation du préjudice subi (...) pour la perte de la possibilité de transférer" Carlos Sanchez...