C'est un pari un peu fou, que des passionnés de viticulture semblent prêts à réussir avec les premières vendanges des vignes du terril 2B, en plein coeur du bassin minier à Haillicourt (Pas-de-Calais), en attendant les premières bouteilles en 2014.
Henri Jammet en a déjà fini avec ses propres terres depuis trois semaines. Mais au milieu du terril d'Haillicourt, ce vigneron expérimenté de Charente a du mal à cacher son enthousiasme. Une dizaine de personnes s'apprêtent à couper pour la première fois les grappes du vignoble du terril, un terrain unique en son genre planté en mars 2011."J'ai bien vu que le climat n'était pas favorable, mais que le sol pouvait l'être."
"C'est jouissif d'arriver à ce résultat, parce que ça rigolait dans le sérail", confie Henri Jammet. Il y a cinq ans, son ami et voisin Olivier Pucek, également vigneron, originaire du nord, vient lui parler des terrils qui ont bercé son enfance, à quelques encablures de sa ville natale."J'ai bien vu que le climat n'était pas favorable, mais que le sol pouvait l'être. Ça me plaisait de tenter ça", se rappelle Henri Jammet.
Regard énamouré sur les lignes de vignes dont le ton vert jaune tranche avec la terre noire et rouge du terril, Olivier Pucek sourit: "On va faire naître un nouveau cru". Situés sur le versant sud, les pieds ont pris mieux que prévu sur un terril qui, il est vrai, montrait une certaine disposition avec sa végétation abondante. "Ce qui nous a étonnés, c'est la qualité sanitaire des vignes. Il n'y a pas de maladies", rapporte Henri Jammet.
Au lancement du projet, Olivier Pucek rameute ses copains d'enfance et trouve un soutien enthousiaste auprès de Gérard Foucault, maire d'Haillicourt et ancien paysagiste, tout heureux de pouvoir offrir une renaissance au terril créé en 1904 dont l'exploitation s'était arrêtée 52 plus tard.
Un raisin récolté 'au-dessus des nuages'
"J'ai reçu M. Jammet et M. Pucek. L'idée était extraordinaire et en plus ça conserve le patrimoine minier", se félicite M. Foucault. Près de deux heures après le coup d'envoi des vendanges, les plus actifs ont déjà engrangé trois aller-retours entre les vignes à mi-hauteur du terril qui culmine à 336 mètres et le plancher des vaches. Il faudra une demi-journée pour s'occuper des 2.000 pieds de vignes qui occupent une surface de 3.000 mètres carré.Franck, qui connaît Olivier Pucek depuis les bacs à sable, est monté en voisin... et en curieux. "Je vois ça d'en bas depuis deux ans, j'étais impressionné en montant, de voir le travail qu'ils ont fourni. Ca m'encourage: j'ai mis une vigne dans mon jardin et j'ai eu une grappe. C'est bon signe!", rigole-t-il.
"Les vins audacieux"
Les membres de la SARL "Les vins audacieux" tablent sur une production de 200 litres d'un vin blanc biologique, qui sera mis en partie à la vente l'année prochaine, certainement sous le nom de "Charbonnay" pour rappeler les origines industrielles et en clin d'oeil au cépage utilisé.L'autorisation de vente est exceptionnelle dans une région légalement très limitée pour produire du vin. La mairie, qui a droit à un tiers de la production, gardera sa part pour les grandes occasions. Certes, la production ne sera pas abondante, mais c'est la première. Les grains de raisin sont petits, mais "jolis comme tout" et dorés, selon Henri Jammet, qui promet un très bon vin.
"Pourtant on dit qu'il n'y a pas de soleil", taquine le vigneron charentais, de son accent rocailleux de natif de l'Aude. Le murmure de désapprobation est immédiat parmi les Nordistes. "Il y en a toujours, au-dessus des nuages", répondent les vendangeurs volontaires. "Alors ça veut dire qu'on est au-dessus des nuages", sourit Henri Jammet.