Alors que la série policière "Tunnel" débarque sur les écrans français, France 3 Nord Pas-de-Calais se penche cette semaine sur les relations complexes entre le sud-est anglais et le Nord Pas-de-Calais. Séparés par un petit détroit de 33.3 km, ce sont encore deux mondes que tout sépare.
Depuis l'ouverture du Tunnel sous la Manche en juin 1994, les relations entre le Nord Pas-de-Calais et le sud-est de l'Angleterre ont beaucoup évolué. Mais pas forcément dans le sens que l'on pouvait imaginer.
Avant la percée du tunnel, seuls les ferries reliaient les deux rives, séparées par un petit détroit de seulement 33.3 kilomètres. Grâce aux produits détaxés en duty-free (supprimé en 1999) et un cours de la livre sterling favorable, beaucoup d'Anglais - même les plus modestes - aimaient venir se dépayser à peu de frais en prenant le bateau pour Boulogne, Dunkerque et Calais. L'aller-retour se faisait dans la journée, ils ramenaient chez eux des produits typiquement "frenchy" : baguettes, bouteilles de vin et bières bon marché. Un "business" qui a fait, pendant des décennies, le bonheur des commerçants de la Côte d'Opale. En 1981, on estimait à 1.5 million, le nombre d'Anglais venus s'offrir une journée de shopping dans le Pas-de-Calais. Une déferlante immortalisée avec beaucoup d'humour par le photographe britannique Martin Parr, dans sa série "One Day Trip".
Mais aujourd'hui, la donne a changé. "Avec les vols low cost, les Anglais peuvent voyager beaucoup plus loin pour pas cher", explique Thierry Degraeve, responsable d'une société de communication de la Côte d'Opale et fervent militant d'une plus grande coopération entre les deux rives. Le tunnel sous la Manche permet également aux Anglais de franchir plus vite le détroit du Pas-de-Calais, soit par l'Eurostar (le TGV qui relie Londres à Paris, Bruxelles et bientôt Amsterdam), soit par le Shuttle (la navette ferroviaire qui transporte les voitures entre Folkestone et Calais en moins d'une demi-heure). Du coup, pour beaucoup d'Anglais, le Nord Pas-de-Calais n'est plus qu'une simple zone de transit vers d'autres destinations en France et en Europe. Les Britanniques - qui continuent de représenter 50% des clients dans certains hôtels calaisiens - sont devenus essentiellement une clientèle de passage, moins importante en nombre qu'elle ne le fut par le passé.
Vers un métro transmanche ?
Avec son associé Thaddée Ségard, Thierry Degraeve a créé une association, Opale Link, qui appelle au renforcement du lien entre l'Angleterre et le Nord Pas-de-Calais, notamment à la création d'un "métro transmanche", un service ferroviaire qui assurerait des liaisons régulières, du type TER, entre les gares de Fréthun et d'Ashford.
Au mois d'octobre, les deux hommes ont organisé un petit salon à Royal Tunbridge Wells, dans le comté du Kent, conviant professionnels de la gastronomie, du tourisme et de l'immobilier de la Côte d'Opale. Thaddée Ségard en est convaincu : "avec un métro transmanche, on pourrait convaincre davantage d'Anglais de venir habiter sur la Côte d'Opale - où l'immobilier est beaucoup moins cher - tout en leur permettant de continuer à travailler en Angleterre". Le salon a surtout attiré des hommes d'affaires venus enrichir leur carnet d'adresse, mais la journée ouverte au grand public - "Côte d'Opale comes to Kent" - a laissé les participants sur leur faim, signe de l'intérêt tout relatif que portent les Anglais à leurs voisins du Pas-de-Calais.
L'Angleterre, un eldorado ?
Dans l'autre sens, en revanche, la proximité avec l'Angleterre attise les appétits. Notamment pour les entreprises. Depuis l'ouverture du tunnel, un homme d'affaires français, Olivier Cadic, se fait le chantre de la délocalisation outre-Manche, au nom de la "liberté d'entreprendre". Représentant des Français du Royaume-Uni et membre de l'UDI de Jean-Louis Borloo, il a lui même installé le siège social de son entreprise à Ashford, une ville du Kent directement reliée à Londres, Paris, Lille et Bruxelles par l'Eurostar. Le 26 octobre, il a organisé à Paris le "Red Carpet Day" (référence au tapis rouge que promettait de dérouler le Premier Ministre britannique, David Cameron, aux entrepreneurs français fuyant la taxe à 75%). "J’espère vous accueillir nombreux à Ashford", aime-t-il répéter, vantant une fiscalité moins contraignante et un coût horaire du travail plus faible qu'en France. "23 euros, contre 36 en France", affirme Stéphane Rambosson, responsable du cabinet de recrutement Veni Partners. dans le magazine Valeurs Actuelles.
A Boulogne-sur- Mer, une entreprise a choisi elle aussi de s'implanter à Ashford à la fin des années 1990 : SBE, un des leaders européens du service après-vente et de la réparation de téléphones portables. Mais il ne s'agit en aucun cas d'une délocalisation, l'entreprise ayant maintenu ses activités dans le Pas-de-Calais où elle continue d'employer un millier de personnes à travers trois sociétés. "Il y a un avantage fiscal en Angleterre, mais ça n'a pas été notre motivation première", explique David Rosenberg, le jeune patron lillois de SBE Limited, la filiale anglaise implantée à Ashford. "On visait tout simplement le marché anglais". Une vraie réussite puisque cette filiale emploie aujourd'hui près de 1500 personnes et prépare, riche de son expérience anglo-saxonne, une arrivée prochaine en Amérique du Nord. Certains cadres français de l'entreprise font d'ailleurs la navette quotidienne, via le tunnel, entre Ashford et le Pas-de-Calais, où ils continuent de résider avec leur famille.
3% de chômeurs contre 14%
Un exemple à suivre ? Près de Calais, la maire UDI de Fréthun, Catherine Fournier, encourage depuis quatre ans les jeunes actifs à chercher du boulot de l'autre côté de la Manche, en organisant les Rencontres Jobs Transfrontaliers. Il faut dire que le taux de chômage dans le comté du Kent est inférieur à 3% alors qu'il s'élève à près de 14% dans le Pas-de-Calais. Pour autant, la barrière de la langue continue souvent d'être un obstacle, même si de plus en plus de Français vont s'installer en Grande-Bretagne : ils étaient 137 000 à vivre là-bas en 2011 contre seulement 96 000 dix ans plus tôt, selon les chiffres du recensement britannique.
Mais l'adaptation n'est pas toujours simple. "Quand je suis arrivée en Angleterre, j'ai invité mes collègues à dîner à la maison, mais ils ont refusé", nous a raconté Rachel Bigot, une jeune cadre installée depuis 6 ans à Maidstone, dans le Kent, avec son compagnon et ses deux enfants. "Mon ami m'a expliqué qu'ici, si tu invites quelqu'un chez toi, c'est que vous êtes amis depuis 20 ans ou que tu lui fais une proposition indécente. Si tu invites quelqu'un, tu l'invites au pub". Le prix des crèches est également plus élevé pour les familles ("L'équivalent d'un SMIC par enfant chaque mois" selon Rachel) ainsi que les loyers.
Pour les salariés les plus modestes, les emplois sont également plus précaires et souvent mal rémunérés, bien qu'il existe aussi là-bas un salaire minimum fixé à un peu plus de 6£ l'heure (soit un peu plus de 7 euros).
Vendredi 22 novembre, le magazine "Enquêtes de Régions" diffusé à 23h10 sur France 3 Nord Pas-de-Calais sera entièrement consacré aux relations du Nord-est de la France avec ses voisins anglais, belges, allemands, luxembourgeois et suisses.