Reportage à Calais.
Les migrants sont assis, immobiles, par dizaines, au sommet des dunes : ils observent les CRS qui montent la garde en contrebas, prêts à intervenir au cas où ils dévaleraient les pentes pour prendre d'assaut les camions qui ralentissent à l'entrée du port de Calais avant d'embarquer pour la Grande-Bretagne. "Dès que les camions sont à l'arrêt, ils en profitent pour monter, en plein jour", explique Arnaud Dequidt, directeur d'exploitation de la société de transport Carpentier, à Calais. Venus pour la plupart de l'est de l'Afrique, via l'Italie, 1.400 à 1.500 migrants errent désormais à Calais et dans les environs, dormant dans les dunes ou dans des squats, nourris par des bénévoles. De plus en plus nombreux, ils veulent traverser la Manche pour atteindre la Grande-Bretagne, considérée comme un Eldorado."Ils sont de plus en plus violents, virulents, et on sort de plus en plus souvent les gaz lacrymogènes", raconte à l'AFP un policier affecté à la surveillance de la quatre-voies empruntée chaque jour par 3.000 camions en moyenne et qui débouche dans le port de Calais. Sur un parking de station-service, près du port, des routiers grecs fument au soleil. Des Africains rôdent autour des camions, par petits groupes de deux ou trois.
"Il y a un mois, j'en ai trouvé trois, cachés sur les essieux de mon camion", raconte Costas, 53 ans, qui se rend chaque semaine en Angleterre avec sa
cargaison de yaourts. "Trop de migrants", "pas assez de policiers", "pas assez de sécurité"... les collègues de Costas sont unanimes. "Chaque semaine, il y a de plus en plus de problèmes", affirme l'un d'eux. "Ils essaient de monter dans les camions à partir de Reims", assure un autre.
Ils tiennent compagnie à Frank Ravnjak, un routier slovène immobilisé à Calais depuis le 3 septembre, après que les douaniers britanniques aient découvert, dans le port, 16 clandestins cachés dans sa cargaison de 11 tonnes de pâtes. Ce jour-là, pour la première fois, les migrants avaient tenté une intrusion en masse. Plus d'une centaine s'étaient rués sur les voies de débarquement. Les passerelles d'accès aux ferries avaient été relevées.
4.000 migrants découverts en un mois
"Je ne sais pas quand je vais pouvoir rentrer chez moi", se plaint M. Ravnjak. Il dit avoir reçu une amende de 20.000 euros, et ne pas savoir quand il pourra récupérer sa remorque, saisie par les Britanniques. Sa cargaison de 11 tonnes de tortellini a été détruite.Sur tout le mois d'août, 4.000 personnes ont été découvertes cachées dans des camions, à Calais et dans les environs, selon la préfecture du Pas-de-Calais. La moitié se trouvaient dans l'enceinte du port où tous les camions sont systématiquement contrôlés, parfois plusieurs fois, avant d'embarquer.
Lorsqu'une forme humaine est détectée sur un écran de contrôle, les agents de sécurité du port font appel à la police aux frontières (PAF). "Ils les prennent en charge, les conduisent hors du site du port, les déposent au rond-point... et les migrants reviennent plus tard", raconte à l'AFP Gilles Debove, délégué du syndicat policier Unité-SGP-FO pour le Calaisis.
Les sociétés de transport ripostent en cadenassant leurs remorques ou en les protégeant avec un câble en acier scellé passé dans les oeillets des bâches, explique Arnaud Dequidt. Et les parkings sécurisés sont de plus en plus prisés par les routiers. "C'est le même barbelé que celui des prisons", détaille Olivier Carré, responsable d'un parking sécurisé de 210 places, en montrant les rouleaux de fil d'acier hérissés de lames de rasoir, qui garnissent la clôture haute de 2,50 mètres.
Chaque nuit, deux vigiles accompagnés de chiens spécialisés dans la détection d'être humains et deux agents de sécurité patrouillent sur le site, éclairé comme en plein jour. "Ce week-end, un camion est entré avec sept clandestins. On a appelé la police, elle les a fait marcher jusqu'au rond-point au bout de la rue et est repartie", soupire Olivier Carré.
Le port de Calais ne peut plus assurer un "accès sécurisé", selon son gestionnaire
Quatrième port français avec plus de 10 millions de passagers et 1,8 million de poids lourds par an, le port de Calais, confronté à des migrants prêts à tout pour tenter de passer en Grande-Bretagne, "ne peut plus assurer un accès sécurisé aux chauffeurs routiers", met en garde son gestionnaire, le président de la CCI Côte d'Opale, Jean-Marc Puissesseau.Q : Cela fait des années que des migrants tentent d'embarquer sur les ferries. Qu'est-ce qui a changé récemment ?
"Le comportement des migrants est tout à fait différent de celui d'il y a quelques mois. Vis-à-vis des chauffeurs routiers, de notre personnel, c'est de l'agressivité permanente. Avant, il y avait un code de bonne conduite: ils essayaient de monter dans les camions, traversaient ou ne traversaient pas, ils recommençaient le lendemain et nous, on faisait nos contrôles tranquillement. Le port a montré sa vulnérabilité face à une intrusion de 100, 150 personnes (le 3 septembre, ndlr). Aujourd'hui, on est devant une population de migrants peut-être plus désespérée, moins bien guidée, moins bien orientée, et plus en concurrence: il y en a beaucoup et ils essaient absolument tout pour passer".
Q : Quelles en sont les conséquences, pour le port et ses usagers ?
R : "Il y a tellement de migrants et tellement de chauffeurs routiers qui sont assaillis et qui doivent se défendre que forcément un jour, il y aura un problème. J'ai dit aux Britanniques de l'UKBF (United Kingdom Border Force, ndlr): +Un jour, vous allez voir, nous allons avoir un ou deux morts sur la conscience+. Une mauvaise image du port est déployée. Le port de Calais, c'est 10.000 emplois directs, indirects et induits: si le nombre de passagers diminue, les compagnies maritimes seront affectées".
Q : Quelles peuvent être les solutions?
R: "Aujourd'hui, nous devons nous adapter à un nouveau comportement des migrants. On doit revoir les zones de stockage des véhicules disponibles. Et il y a manifestement la possibilité d'augmenter le nombre des aubettes (postes de contrôle, ndlr) de contrôle britanniques pour augmenter le flux aux heures de pointe. Notre but, c'est d'indiquer à nos clients que nous allons faire en sorte de sécuriser à nouveau l'accès au port de Calais. Cela doit être le résultat de discussions avec l'Angleterre, la police aux frontières, nos compagnies maritimes, l'Etat et nos services techniques. J'ai écrit à l'ambassadeur de Grande-Bretagne qui m'a répondu que l'Angleterre est tout à fait prête à examiner les travaux à envisager, à réfléchir avec nous et à participer aux dépenses. J'ai rendez-vous avec M. Cazeneuve (le ministre de l'Intérieur, ndlr) la semaine prochaine. Le port de Calais ne peut rester silencieux, il faut qu'on alerte!"