Lundi 6 octobre, la Journée nationale des aidants était marquée en Picardie par trois animations à Soissons, Carrépuis et Albert. Une journée pour dire "Je t'aide" à ces 8 millions de personnes qui accompagnent des malades au quotidien, avec les risques que cela comporte.
Epuisement, insomnies, isolement, impuissance, désarroi, culpabilité... sont le lot quotidien des quelque 8 millions d'aidants qui soutiennent un proche atteint d'une maladie chronique grave, parfois au risque de mettre leur propre santé en danger. C'est pour eux qu'a été créée, voilà 5 ans, la Journée nationale des aidants. Une journée pour s'informer et sensibiliser, mais donc aussi pour faire hommage et soutenir toutes ces personnes. Leur dire "Je t'aide".
Des dizaines d'activités étaient proposées lundi 6 octobre en France dans le cadre de cette journée. Ainsi en Picardie, une pièce de théâtre sur le thème d'Alzheimer était jouée à Carrépuis, un "forum des aidants" se tenait à Albert (avec l'association Saint-Jean) et des stands d'information étaient installés à Soissons (avec l'Association d’aide et de garde à domicile de l’Aisne).
Enquête : aidant... à en devenir malade
"J'ai ignoré le fait que je n'allais pas bien, que j'étais très fatiguée et très essoufflée, j'ai mis cela sur le compte de mes soucis", raconte Elise, une peintre de 54 ans qui s'occupe à plein temps de sa belle-mère, 74 ans, victime d'un grave accident vasculaire cérébral (AVC) en mars dernier.
Après deux jours d'hésitation et une première visite sans succès aux urgences, elle a fait une syncope et a fini en soins intensifs avec une embolie pulmonaire massive.
"Je ne dors plus que quatre heures par nuit et j'ai le moral dans les chaussettes", explique de son côté Catherine. A 49 ans, elle se bat depuis trois ans aux côtés de son compagnon de 53 ans qui souffre d'un neuro-sida, une démence provoquée par le VIH.
Son compagnon peut encore marcher mais ne peut pas se lever, s'habiller ou manger seul et souffre de troubles cognitifs qui vont en s'aggravant. Mais elle n'envisage pas de le placer dans une institution bien qu'elle ait développé ces derniers temps une hypertension difficilement contrôlable et des signes de dépression.
Stress et dépression
Comme le stress, l'anxiété et l'épuisement physique, les troubles dépressifs sont très répandus parmi les aidants. Selon une étude américaine, entre 40 et 70% des aidants présenteraient des signes cliniques de dépression dont un quart des signes de dépression majeure.
Les plus touchés sont ceux qui prennent en charge des malades souffrant de démences, comme la maladie d'Alzheimer et qui passent en moyenne plus de
six heures par jour à s'occuper d'eux. 26% font état d'un stress émotionnel et plus d'un cinquième d'un épuisement total.
A ces troubles, viennent s'ajouter des insomnies citées par les deux tiers des aidants.
Les femmes (épouses et filles des malades) ont globalement plus de risques de développer des maladies. Et ce sont elles aussi qui forment le gros des troupes des aidants (environ les deux tiers). "Les femmes ont souvent tendance à penser qu'elles peuvent tout assumer, y compris à un âge avancé, elles me disent qu'il n'est pas question que quelqu'un d'autre s'occupe de leur malade, elles ne veulent pas lâcher prise", souligne Florence Leduc, présidente de l'Association française des aidants.
Mais elle reconnait que le phénomène n'est pas uniquement féminin et qu'avec l'augmentation de l'espérance de vie des hommes, un nombre croissant d'époux âgés sont amenés à prendre en charge leur femme atteinte d'Alzheimer. Le Pr Gilles Berrut, chef du pôle de gérontologie clinique au CHU de Nantes, mentionne le cas d'un homme accompagnant régulièrement sa femme à sa consultation et qui "n'avait pas l'air très en forme". "Je lui ai donné un rendez-vous mais il est mort brutalement pendant le weekend".
Signaux d'alerte ignorés
La majorité des études font état d'une surmortalité cardiovasculaire significative chez les aidants qui peut atteindre 60%, selon une enquête américaine citée dans un rapport publié par la Haute Autorité de Santé (HAS). Plus souvent hypertendus que les non aidants, ils présenteraient également des troubles de la coagulation du sang qui sont des facteurs de risques connus pour les infarctus ou les AVC, relève le Pr Berrut.
Le lien est en revanche beaucoup moins évident avec les cancers. "Aucun argument scientifique ne permet de dire qu'un évènement difficile puisse faire apparaître un cancer", note le Dr Sarah Dauchy, chef du département des soins de support à l'Institut Gustave Roussy (Igr), un centre de lutte contre le cancer situé à Villejuif, en banlieue parisienne.
Elle remarque que les proches mettent généralement en cause le stress "alors qu'il s'agit avant tout d'un retard au dépistage". Obnubilés par leur tâche épuisante, les aidants n'écoutent pas les signaux d'alerte et ne vont plus voir régulièrement leur médecin. Le cancer est alors détecté à un stade plus avancé, ce qui diminue les chances de guérison, ajoute-t-elle.
Le Dr Dauchy, tout comme l'association française des aidants, militent pour une meilleure prise en charge médicale des aidants. "Il est important de sensibiliser les médecins traitants et les services d'aide à domicile pour qu'ils repèrent les personnes à risque", déclare Mme Leduc.
Son association a également mis en place 80 "cafés des aidants" à travers la France où les proches peuvent trouver de l'aide et du réconfort et parler de leur propre santé. "Il faut cheminer avec eux pour qu'ils se rendent compte que les normes qu'ils s'imposent les mettent en danger", renchérit le Dr Dauchy. Mais elle reconnaît que c'est très difficile, compte tenu des "sentiments d'impuissance, de désarroi et de culpabilité" qui les animent.
C'est ainsi que loin de soulager l'aidant, l'entrée en institution de son proche peut paradoxalement s'avérer problématique. Le Pr Berrut cite le cas d'un homme qui s'était occupé de sa femme atteinte d'Alzheimer pendant six ans avant d'accepter son placement. "Il a vécu son entrée en maison de retraite comme un échec et est mort avant elle", explique-t-il.
Selon la HAS, un aidant sur deux présenterait un risque de développer une dépression à la suite de l'entrée en institution de son proche.