Partout dans sa maison blanche aux volets bleus, dans un quartier résidentiel de Calais-Est, des multiprises sont branchées, hérissées de chargeurs, jusque dans la salle de bains et sur la terrasse. Ça a commencé en mai, se souvient la bénévole du Secours catholique, mère de quatre enfants âgés de 19 à 41 ans, ancienne patronne de restaurant devenue animatrice en centre commercial. Pourquoi chez elle ? Parce que tous ses voisins ont refusé, répond-elle doucement.
Je ne prends plus beaucoup de temps pour moi...
Depuis six mois, le nombre de migrants venus d'Erythrée et du Soudan avec l'espoir de passer en Grande-Bretagne en montant dans un camion embarquant sur un ferry, a explosé à Calais. Selon la préfecture, ils sont 2.500 à vivre dehors, sans eau, sans électricité pour recharger ces téléphones qui leur permettent de garder le contact avec leurs proches restés au pays ou déjà passés en Angleterre. Ils s'entassent dans des campements de fortune, comme celui installé à un jet de pierre de la maison de Brigitte, dans les dunes, à l'abri des regards.
Les premiers arrivent au portail dès 07H00. Le soir, elle débranche la sonnette de sa maison à 19H00, pour souffler enfin un peu. Sept jours sur sept. "Ma vie tourne autour de ces migrants, je ne prends plus beaucoup de temps pour moi, je me dis : ils ont besoin de moi et, en même temps, je me sens coupable de ne pas faire plus", explique cette catholique pratiquante pour qui "le ciel se gagne sur Terre".
"Elevée dans l'accueil de l'autre"
Alors parfois, elle donne du pain, des gâteaux, des vêtements, ouvre sa salle de bains comme à l'Ascension, pour un Syrien, chirurgien dans son pays, qui ne s'était pas lavé depuis 21 jours. "Je ne l'ai pas revu, il a réussi à passer". Pierre, un "mari exceptionnel", chargé de clientèle dans un garage automobile,"est tout à fait d'accord". Ses deux grandes filles étudiantes, ça dépend... "C'est bien, mais je trouve que c'est trop", dit Rachel, 23 ans.
Aînée d'une famille de sept enfants, Brigitte Lips a grandi à Calais, ses parents étaient marchands de vin et de bière. "On a été élevés dans l'accueil de l'autre", affirme-t-elle avant de raconter ce Noël où ses parents avaient invité trois petites filles "de milieu très défavorisé". "Elles ont eu la même poupée
que mes soeurs et moi", dit-elle.
Depuis quinze ans, elle vient en aide aux migrants qui transitent par Calais, d'abord au centre de Sangatte (Pas-de-Calais), entre 1999 et 2002, puis dans la "jungle", démantelée en 2009. "Ils ont besoin qu'on leur parle, d'un peu de réconfort, ils ont survécu au désert, aux boat-people", murmure-t-elle. "Ils existent, ce ne sont pas des ombres qui passent dans la nuit, ce ne sont pas des chiens, ce sont des humains".
Fitsun, un Erythréen de 27 ans, erre à Calais depuis trois mois, au bout d'un voyage payé 7.000 dollars à un réseau de passeurs. "Rien à manger,
des problèmes ici", dit-il dans un anglais approximatif. Son visage s'illumine soudain : il a retrouvé son portable, un moment égaré dans le garage. Brigitte est soulagée : "Je n'en perds jamais", assure-t-elle avant d'offrir un bonbon et d'embrasser le jeune homme. La nuit, quand il pleut, elle n'arrive pas à dormir. "Je me dis, les migrants, comment ils peuvent tenir comme ça ?".