Richard III : un squelette encombrant pour la famille royale britannique ?

Une analyse ADN a permis aux généticiens d'authentifier le squelette de Richard III retrouvé sous un parking anglais en 2012. Mais en élucidant un mystère de cinq siècles, elle a révélé une infidélité de nature à jeter un doute sur la filiation de certains monarques britanniques.

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"Nous avons découvert une rupture dans la chaîne" génétique, a déclaré mardi lors d'une conférence de presse à Londres Kevin Schurer, vice-Chancelier de l'Université de Leicester, la ville où ont été découverts les ossements de Richard III en 2012. Par "rupture", il faut entendre apparition dans l'arbre généalogique d'un enfant illégitime. "Nous ne savons pas à quel niveau la rupture se situe... et nous ne sommes certainement pas en train de suggérer que sa Majesté (la reine Elizabeth II) ne devrait pas se trouver sur le trône" s'est empressé d'ajouter M. Schurer, en insistant sur "les tours et détours" de l'histoire de la monarchie britannique.


Son propos venait accompagner la parution dans le magazine scientifique Nature d'un rapport certifiant à 99,9% la levée du mystère sur la disparition de la dépouille de Richard III dernier roi anglais de la dynastie des Plantagenêt, mort sans laisser d'héritier à la bataille de Bosworth, en 1485. L'ADN du squelette correspond à celui de deux descendants actuellement en vie de sa soeur, Anne d'York. En revanche, il a été impossible d'établir une filiation à travers la lignée masculine remontant jusqu'à Jean de Gand, 1er duc de Lancastre​, fils du roi Edouard III et frère de l'arrière grand-père paternel de Richard III, Edmond de Langley. D'où le soupçon d'adultère. Les scientifiques se sont basés sur des prélèvements ADN effectués sur cinq descendants du 5e duc de Beaufort, Henry Somerset (1744-1803), héritier direct - par succession masculine - de Jean de Gand. Ces échantillons auraient dû normalement présenter des chromosomes Y (transmis de père en fils) correspondant à ceux de Richard III. Mais ce n'est pas le cas... notons que Richard III était aussi l'arrière-petit-fils de Jean de Gand, mais par sa mère, Cecily Neville, duchesse d'York.


Un nouveau doute sur la légitimité de la dynastie des Tudor


Si cette "rupture" d'ADN est postérieure au XVe siècle et concerne la branche des ducs de Beaufort/Somerset, cela ne change pas grand chose à l'histoire. En revanche, si elle concerne Jean de Gand et/ou son fils Jean Beaufort, 1er comte de Somerset, cela remettrait en question, selon Kevin Schurer, la légitimité des rois Henry IV, Henry V, Henry VI (fils, petit-fils et arrière-petit-fils de Jean de Gand) et de "toute la dynastie des Tudor" à commencer par Henry VII, Henry VIII, Edouard VI, Mary I et Elizabeth I

Pour vous aider à comprendre, voici quelques repères généalogiques :


Les doutes sur la légitimité des Tudor, réveillés aujourd'hui par la génétique, ne sont pas nouveaux outre-Manche. La fin du Moyen-Âge, en Angleterre, a été marquée en effet par un sanglant conflit dynastique opposant deux branches de la famille royale, les York et les Lancastre. C'est ce qu'on a appelé la Guerre des Deux Roses (la rose rouge symbolisant la maison Lancastre, la rose blanche la maison d'York). Au XVe siècle, le royaume anglais a vécu six coups d'état :

  • en 1399, le roi Richard II (petit-fils d'Edouard III et fils du redouté "Prince Noir" Edouard de Woodstock) est destitué par son cousin Henry Bolingbroke, duc de Lancastre et fils de Jean de Gand. Le nouveau souverain prend le nom d'Henry IV. Richard est assassiné en 1400 au château de Pontefract.
  • en 1461, Edouard d'York renverse son cousin Henry VI (petit-fils d'Henry IV), après avoir défait les troupes lancastriennes lors de la bataille de Towton. Il prend le nom d'Edouard IV.
  • en 1470, Edouard IV est chassé du trône par son ancien allié, Richard Neville, comte de Warwick, qui a rejoint les fidèles de la maison Lancastre. Henry VI redevient roi d'Angleterre. Edouard IV et son frère, Richard de Gloucester (le futur Richard III), se réfugient en Belgique sous la protection de leur beau-frère, le duc de Bourgogne, Charles le Téméraire.
  • en 1471, Edouard IV reprend son trône en débarquant avec ses troupes en Angleterre et en remportant la bataille de Barnet, où Warwick est tué. Henry VI est assassiné à la Tour de Londres. Son seul et unique héritier, Edouard de Westminster, prince de Galles, est massacré après la bataille de Tewkesbury, alors qu'il s'est réfugié dans une abbaye.
  • en 1483, après la mort d'Edouard IV, son frère, Richard de Gloucester, s'empare du trône en déclarant illégitime le mariage du défunt monarque et de la reine Elizabeth Woodville. Les deux héritiers d'Edouard IV, Edouard V et Richard de Schrewsbury, âgés respectivement de 12 et 10 ans, sont enfermés à la Tour de Londres où ils sont probablement assassinés. Le nouveau roi prend le nom de Richard III.
  • en 1485, Richard III est défait et tué lors de la bataille de Bosworth, par une coalition menée par Henry Tudor, comte de Richmond, soutenu par la France. Le vainqueur s'empare du trône sous le nom d'Henry VII.   

Le vainqueur final de cette guerre dynastique, Henry VII Tudor, n'était qu'un vague descendant de la maison Lancastre. Son père, Edmond Tudor, était le fils d'un chevalier gallois et de la veuve du roi Henry V, Catherine de Valois. Il était donc le demi-frère d'Henry VI. La mère d'Henry Tudor, Marguerite Beaufort, était, quant à elle, l'arrière-petite fille de Jean de Gand. Mais les Beaufort n'étaient pas reconnus comme une branche légitime, Jean Beaufort - le grand-père - ayant été "conçu" avant le mariage de Jean de Gand et de sa 3e épouse Katherine Swynford (ça va, vous nous suivez toujours ?). 

Après sa victoire contre Richard III, Henry VII Tudor épousa Elizabeth d'York, fille d'Edouard IV, pour asseoir sa légitimité et celle de ses successeurs. La rose des Tudor, symbole de la nouvelle dynastie, mêlait d'ailleurs le rouge des Lancastre et le blanc des York comme pour marquer la fin des hostilités. Malgré cela, le nouveau souverain dut combattre plusieurs frondes menées par les derniers irréductibles yorkistes. La plus dangereuse fut sans doute celle conduite en 1495 par un certain Perkin Warbeck qui prétendait être l'un des fils d'Edouard IV, Richard de Shrewsbury, censé avoir été assassiné sur ordre de Richard III à la Tour de Londres, 12 ans plus tôt. D'après les témoins de l'époque, ce Warbeck était le portrait craché d'Edouard IV. Plus troublant encore, il avait reçu l'appui de la régente du duché de Bourgogne, Marguerite d'York, la propre soeur d'Edouard IV et de Richard III, qui l'avait reconnu en tant que Richard IV d'Angleterre. Le prétendant au trône tenta deux débarquements avec ses troupes mais il fut stoppé à Taunton en 1497 et emprisonné. Henry VII enferma "l'usurpateur" à la Tour de Londres et le fit pendre deux ans plus tard, après une tentative d'évasion. 


La fragile légitimité des Tudor conduisit par la suite Henry VII puis son fils, le paranoïaque Henry VIII, à éliminer physiquement tout potentiel prétendant à la couronne d'Angleterre. Edouard Plantagenêt, Marguerite Pole et Henry Pole, respectivement neveu, nièce et petit-neveu d'Edouard IV et Richard III, furent tour à tour exécutés. Henry VIII fit également décapiter Edouard Stafford, 3e duc de Buckingham, qui, comme lui, descendait de Jean de Gand par la branche des Beaufort.  

La famille royale britannique doit-elle s'inquiéter ?


L'actuelle souveraine britannique, Elizabeth II, est elle-même une descendante du roi Henry VII et de sa fille Maguerite Tudor qui fut mariée au roi d'Ecosse, Jacques IV Stuart (les Stuart ont succédé aux Tudor sur le trône d'Angleterre, après la mort de la reine Elizabeth I en 1603). Du coup, si la science et les analyses ADN réveillent les doutes sur la légitimité des Lancastre et des Tudor, la légitimité de la reine peut-elle, par ricochet, être remise en cause ? 

A priori​, non, car Elizabeth II descend aussi d'Elizabeth d'York, la fille du roi Edouard IV  qui a épousé Henry VII.


Mais les historiens ne manqueront de relever que lors du coup d'état de Richard III en 1483, la légitimité d'Edouard IV avait été sérieusement remise en cause elle aussi. En 1934, un universitaire anglais, Charles Armstrong, a retrouvé dans les archives municipales de Lille un manuscrit jusqu'alors inconnu, intitulé De Occupatione Regni Anglie per Riccardum Tercium (De l'usurpation du trône d'Angleterre par Richard III), rédigé en latin par un certain Domenico Mancini. Cet ecclésiaste italien - qui agissait comme espion pour le compte de la France - était à Londres lorsque Richard III s'est emparé de la couronne. Il s'agit donc d'un des rares témoignages directs de ce qui s'y est déroulé. Or Mancini explique dans son récit que la duchesse Cecily d'York, mère d'Edouard IV et Richard III, avait publiquement reconnu que le premier des deux était un "bâtard". Cette accusation - qui servait bien entendu les intérêts de Richard III dans sa prise de pouvoir - avait reçu un certain écho à l'époque. La rumeur avait déjà été largement répandue par les ennemis d'Edouard IV de son vivant. Il faut dire que ce bel homme de très grande taille (1m93, autant dire un géant au XVe siècle !) ne ressemblait pas du tout physiquement à son père, le duc Richard d'York, plutôt petit et trapu comme son autre fils, Richard III.

Edouard IV était né à Rouen, en France, en 1442, à une époque où la Normandie appartenait encore à l'Angleterre. Mais d'après un document retrouvé en 2003 dans les archives de la cathédrale par l'historien britannique Michael Jones​, il apparaît que son père, Richard d'York, était absent au moment de sa supposée conception. Une messe avait été donnée en effet en son honneur alors qu'il menait le siège de Pontoise, 100 kilomètres plus loin. Un siège qui dura 5 semaines... cette histoire a fait l'objet d'un documentaire diffusé par Channel 4.


Aujourd'hui, après la découverte du squelette de Richard III, un autre historien anglais, Dan Jones, appelle à analyser et étudier d'autres ossements royaux, conservés notamment à l'Abbaye de Westminster à Londres. "Ne pourrait-on pas jeter un oeil notamment à l'intérieur de cette urne qui contient les restes supposés des deux Princes de la Tour ?", s'interroge-t-il sur le site du magazine d'histoire de la BBC. Les "Princes de la Tour" c'est le surnom d'Edouard V et Richard de Shrewsbury, les deux fils d'Edouard IV, que leur oncle, Richard III, aurait fait assassiner à la Tour de Londres en 1483. Des ossements - découverts en 1674 au pied d'un escalier pendant des travaux - leur ont été attribués et ont été placés dans une urne dans l'Abbaye de Westminster. Leur mort constitue l'un des plus grands mystères - et l'un des épisodes les plus controversés - de l'histoire anglaise. Depuis des années, des chercheurs réclament de pouvoir effectuer des analyses ADN. Mais l'Eglise d'Angleterre (dont le gouverneur suprême n'est autre que... la reine Elizabeth II) s'y est toujours opposée. "La découverte récente de Richard III ne change en rien notre position", avait déclaré un porte-parole de l'Abbaye de Westminster en 2013. "Nous pensons que les restes de deux jeunes enfants, considérés comme ceux des Princes de la Tour depuis le XVIIe siècle, ne doivent pas être dérangés".


Le squelette de Richard III, lui, a pu être totalement analysé par les équipes de l'université de Leicester. Cette étude a permis de confirmer de nombreux éléments décrits dans les chroniques des XVe et XVIe siècles : sa scoliose qui lui a valu, bien plus tard, d'être décrit comme un vilain bossu par un certain William Shakespeare ; sa mort brutale sur le champ de bataille d'un coup de hallebarde à l'arrière du crâne ; son inhumation précipitée, en catimini, dans un monastère de Leicester... En mars prochain, l'ancien monarque aura enfin une sépulture officielle et reconnue : ses restes seront inhumés dans la cathédrale de Leicester, tout près du lieu où il a été retrouvé.

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