Richard III, "réenterré" ce jeudi en Angleterre, est accusé d'avoir fait exécuter, lors de son coup d'état en 1483, ses neveux, le roi Edouard V et son frère Richard, âgés de 12 et 10 ans. Mais cinq siècles plus tard, des doutes subsistent. Un portrait, conservé à Arras, entretient le mystère.
Le portrait dont il est question figure dans Le Recueil d'Arras, conservé dans les archives de la Bibliothèque municipale de la cité atrébate. Il s'agit d'une compilation de 289 dessins, peints à la pointe graphite ou à la sanguine, attribués à l'artiste valenciennois Jacques Le Boucq (1520-1573). On y trouve des portraits de nombreuses personnalités des XIVe, XVe et XVIe siècles, inspirés d'oeuvres originales - peintures ou sculptures - dont beaucoup ont aujourd'hui disparu. Parmi ces portraits, celui d'un élégant jeune homme aux cheveux longs. Son identité est indiquée en bas du dessin, dans une petite note manuscrite : "Pierre Warbeck, natif de Tournai, supposé pour Richard, duc d'York, second fils du roi d'Angleterre Edouard IV, l'an 1492. Fut pendu à Londres à la fin de l'an 1499".
Il s'agit du seul portrait connu de celui que les historiens anglais appellent Perkin Warbeck. Un homme qui revendiqua à la fin du XVe siècle le trône d'Angleterre, affirmant qu'il était Richard de Shrewsbury, duc d'York, fils cadet du roi Edouard IV (mort en 1483). Sur le portrait conservé à Arras, la ressemblance avec le monarque est, il est vrai, extrêmement frappante, comme on peut le voir ci-dessous.
Prince de sang ou imposteur ?
Seul souci - et de taille - Richard de Shrewsbury est censé avoir été tué quelques mois seulement après la mort de son père. Il aurait été exécuté en 1483 à la Tour de Londres, avec son frère aîné, le jeune prince héritier Edouard V, sur ordre de leur oncle, le duc de Gloucester, qui s'empara du trône sous le nom de Richard III. Le sort véritable "des princes de la Tour" reste encore aujourd'hui l'un des plus grands mystères de l'histoire anglaise. Dans un manuscrit conservé à la Bibliothèque municipale de Lille, l'ecclésiaste italien Dominique Mancini - présent à Londres lors du coup d'état de Richard III - semble convaincu qu'Edouard V a bel et bien été assassiné. C'est ce que semble lui avoir indiqué John Argentine, médecin personnel du jeune prince. En revanche, si Mancini évoque bel et bien la capture de Richard de Shrewsbury et son emprisonnement à la Tour de Londres, il reste très évasif sur son sort. L'enfant est-il parvenu à s'échapper ? A-t-il été échangé avec un autre ? Richard III lui a-t-il finalement laissé la vie sauve une fois installé sur le trône ? Ces questions hantent encore aujourd'hui les historiens du royaume. Selon ce mystérieux jeune homme, les assassins d'Edouard V auraient simplement eu pitié de lui et l'auraient épargné avant de le cacher et d'organiser sa fuite.
Reçu dans les plus grandes cours d'Europe
Ce qui est sûr, c'est que ce soit-disant Richard fait son apparition vers 1490, en Irlande. On le retrouve ensuite en France puis en Belgique, à la cour de Marguerite d'York, duchesse douairière de Bourgogne. Cette femme, riche et puissante, est la veuve de Charles le Téméraire. Elle est surtout la soeur des défunts rois Edouard IV et Richard III. Ce dernier est mort lors de la bataille de Bosworth, le 22 août 1485, et un certain Henry Tudor l'a remplacé sur le trône d'Angleterre sous le nom d'Henry VII. Mais la légitimité du nouveau souverain est contestée. En 1486, une rébellion, menée par les derniers fidèles de Richard III, a déjà tenté de le destituer. Mais elle a échoué et ses leaders ont été éliminés lors de la bataille de Stoke en 1487.Marguerite d'York a soutenu cette rébellion, menée notamment par l'un de ses neveux, John de la Pole, que Richard III, sans descendance depuis la mort de son fils unique, avait désigné comme héritier. Elle considère Henry VII comme un "usurpateur". Il faut dire que le nouveau roi a eu l'outrecuidance de s'approprier outre-Manche des terres qui lui appartiennent. En octobre 1492, elle décide donc de reconnaître publiquement le supposé Richard de Shrewsbury comme seul et légitime roi d'Angleterre. "Madame la Grande n'a pas hésité à reconnaître son neveu dans ce bel éphèbe qui a quelques traits des York. Elle lui a fait rendre les honneurs dus à son rang", raconte l'historien belge Luc Hommel, dans la biographie qu'il a consacré à la duchesse (Marguerite d'York, ou la duchesse Junon, Le Cri Histoire). Le jeune homme est admis aux cérémonies officielles sous le nom de Richard d'Angleterre, voire de Richard IV. Il est reçu en personne par le roi de France, Charles VIII, et en 1493, il assiste également, en tant qu'héritier de la couronne d'Angleterre, aux funérailles de l'Empereur allemand Frédéric III. Il reçoit le soutien de son successeur, Maximilien de Habsbourg, puis du roi d'Ecosse, Jacques IV, dont il épousera l'une de ses cousines, Lady Catherine Gordon. Leur mariage sera célébré en grandes pompes à Edimbourg, la capitale écossaise, en 1497.
Trois offensives échouent
Henry VII prend très au sérieux la menace de ce prétendant au trône. En représailles, il rompt les relations commerciales avec la Bourgogne, notamment les villes flamandes de Bruges, Gand et Anvers. Il fait aussi exécuter en Angleterre plusieurs barons soutenant le jeune homme, parmi lesquels son propre chambellan, l'opportuniste William Stanley, qui avait déjà trahi Richard III lors de la bataille de Bosworth. Le 3 juillet 1495, la menace se concrétise pour Henry VII : le supposé Richard tente un débarquement à Deal, près de Douvres, avec une petite armée. Mais l'opération échoue. Le prétendant met alors le cap sur l'Irlande puis l'Ecosse pour trouver de nouveaux soutiens. En septembre 1496, il tente une nouvelle offensive, cette fois dans le nord de l'Angleterre, en compagnie du roi d'Ecosse, Jacques IV. Mais les troupes écossaises, en sous-nombre face à leurs avdersaires anglais, préfèrent rebrousser chemin après une brève incursion en territoire ennemi.Le prétendu Richard tente un dernier débarquement en septembre 1497, en Cornouailles, au sud-ouest du royaume. Une terre hostile à Henry VII - et à sa politique fiscale. Il parvient à fédérer 6 000 hommes derrière lui. Mais son armée de bric et de broc, composée de paysans cornouans mal équipés, échoue à prendre la ville d'Exeter et se disperse rapidement par peur de représailles. Le prétendant est capturé alors qu'il tente d'embarquer vers la France. Henry VII l'exhibe tel un trophée, paradant à ses côtés dans les rues londoniennes. Emprisonné à la Tour de Londres, il est traité avec beaucoup d'égard. Henry VII a-t-il eu des doutes sur l'identité de son prisonnier ? A-t-il cherché à apaiser ses opposants qui soutenaient la Maison d'York, la branche royale à laquelle appartenait sa propre épouse, Elizabeth d'York, fille d'Edouard IV, nièce de Richard III et soeur du supposé Richard ? La clémence du roi d'Angleterre ne sera en fait que de courte durée. Deux ans après sa capture, Henry VII déjoue un complot visant à faire évader le prétendant. Il obtient cette fois l'exécution de son rival : il sera pendu le 23 novembre 1499 et sa tête finira au bout d'une pique placée sur le London Bridge.
Un mystère, vieux de cinq siècles
Qui était vraiment cet homme qui a reçu le soutien d'aussi puissantes personnalités et fait trembler la monarchie anglaise ? Officiellement, il s'agissait d'un imposteur et n'était pas Richard de Shrewsbury. C'est en tout cas ce qu'il a confessé, lors de sa captivité, dans une longue lettre citée dans La Grande Chronique de Londres . "Vous devez d'abord savoir que je suis né dans la ville de Tournai, dans les Flandres, et que le nom de mon père était Jean Olbeck", a-t-il écrit. Dans sa confession, celui qui se nomme Pierre (ou Pierrequin / Perkin) Warbeck détaille tout son arbre généalogique, confirmé par les archives municipales de la cité belge. Mais comment expliquer qu'il ait pu se retrouver ensuite dans quelques unes des plus grandes cours d'Europe et qu'il maîtrisât aussi bien l'anglais ? Dans son récit, il dit avoir travaillé dans sa jeunesse avec un marchand anglais de Middelbourg. C'est dans cette ville de Zélande (Pays-Bas) qu'il fit ensuite la connaissance d'un certain Edouard Brampton, un agent financier qui a bien connu Edouard IV puis Richard III. Il l'aurait suivi au Portugal puis serait parti ensuite en Irlande, avec un marchand breton, dans la ville de Cork. Des seigneurs locaux, frappés par son élégance, son port altier et sa ressemblance avec Edouard IV, lui demandèrent alors de se faire passer pour son fils, le jeune duc d'York, Richard de Shrewsbury.
Les aveux de Perkin Warbeck ont-ils été spontanés ou dictés par Henry VII et son entourage ? Le question se pose tant ce récit paraît encore aujourd'hui stupéfiant. En 1501, deux ans après l'exécution de Perkin Warbeck, Henry VII obtint d'autres confessions, celles d'un chevalier anglais du nom de James Tyrrell : celui-ci reconnut, sous la torture, avoir étouffé sous un matelas, Edouard V et son frère Richard de Schrewsbury, à la Tour de Londres, en 1483. Bien plus tard, en 1674, des ouvriers retrouvèrent effectivement sur les lieux des ossements appartenant à de jeunes individus. Le roi de l'époque, Charles II, descendant d'Henry VII, les fit transférer dans une urne, placée à l'abbaye de Westminster où reposent bon nombre de souverains anglais. Ces ossements sont officiellement ceux des deux jeune princes, "étouffés par un oreiller sur ordre de leur perfide oncle Richard l'Usurpateur", comme on peut lire sur leur monument funéraire. Pour autant, ils n'ont jamais été authentifiés avec certitude, l'Eglise d'Angleterre et la reine Elizabeth II (descendante d'Henry VII) ayant encore refusé il y a deux ans que des prélèvements ADN soient effectués.
Peu d'historiens en Angleterre pensent que Perkin Warbeck était réellement Richard de Shrewsbury. En 1486, les lords qui s'étaient rebellés contre Henry VII avaient déjà sorti de leur chapeau un enfant pour soutenir leur cause : un jeune Irlandais, Lambert Simnel, qui était d'après eux Edouard de Warwick, neveu d'Edouard IV et Richard III, lui aussi prétendant au trône. Mais le véritable Edouard de Warwick était retenu à la Tour de Londres au même moment et Henry VII n'eut aucune difficulté à prouver l'imposture. Les opposants au souverain ont-ils tenté la même manoeuvre avec Perkin Warbeck ? Pour certains, comme le philosophe et historien Francis Bacon (1561-1626), il se peut que le jeune homme ait été en fait l'un des "nombreux bâtards" d'Edouard IV, décrit de son vivant comme un insatiable homme à femmes. Mais l'énigme reste entière. S'il était démontré un jour que Perkin Warbeck était bien celui qu'il prétendait être, cela remettrait en cause toute la lignée royale anglaise et britannique de ces cinq derniers siècles....