Richard III réenterré : un manuscrit de 1483, conservé à Lille, raconte son coup d'état

Richard III, souverain anglais du XVe siècle, sera "réenterré" jeudi à Leicester 530 ans après sa mort sur un champ de bataille. La médiathèque municipale de Lille conserve un précieux manuscrit rédigé en 1483 par l'ecclésiaste Dominique Mancini qui a assisté à sa prise de pouvoir controversée.  

Le document est conservé à la Médiathèque municipale Jean Lévy de Lille​, dans des archives connues sous le nom de "Fonds Godefroy". Il s'agit d'un rapport manuscrit de 40 pages rédigé en latin et daté au 1er décembre 1483. Il s'intitule De occupatione regni Anglie per Riccardum tercium, ad Angelum Catonem, presulem Viennensium, libellus incipit  : le Récit de l'occupation du trône d'Angleterre par Richard III, dédié à Angelo Cato, archevêque de Vienne.

Un témoignage précieux pour les historiens anglais

Son auteur s'appelle Dominique Mancini​. C'était un ecclésiaste italien (probablement un moine dominicain) qui fut envoyé en Angleterre vers la fin de l'année 1482 par l'archevêque de Vienne, Angelo Cato, un proche conseiller du roi de France, Louis XI. Il en revint l'été suivant, après avoir assisté à Londres à un coup d'état : celui mené par le duc de Gloucester monté sur le trône d'Angleterre sous le nom de Richard III. Le fameux roi dont les ossements ont été retrouvés en 2012 sous le parking d'un centre social de Leicester et qui sera "réenterré" en grandes pompes jeudi en la cathédrale Saint-Martin au terme d'une semaine d'hommages et de festivités.  


Le récit de Dominique Mancini est longtemps resté dans l'oubli, jusqu'à ce qu'un historien britannique, C.A.J. Armstrong, ne le redécouvre, en 1934, dans les archives de la Bibliothèque Municipale de Lille. Un lieu que ce professeur de l'Université d'Oxford, grand spécialiste de l'histoire du duché de Bourgogne, fréquentait régulièrement. Pour les historiens anglais, ce document est extrêmement précieux car il s'agit d'un des seuls témoignages directs et contemporains de la prise de pouvoir de Richard III en 1483. Un épisode très controversé outre-Manche, point d'orgue d'un sanglant conflit dynastique qu'on a surnommé "la Guerre des Deux Roses", opposant deux branches rivales de la famille royale : la Maison d'York (symbolisée par une rose blanche) et la Maison Lancastre (symbolisée par une rose rouge). 

Fin de règne et rivalités

Quand Dominique Mancini débarque en Angleterre fin 1482, ce n'est pas Richard III qui est assis sur le trône, mais son frère aîné, Edouard IV, âgé de 40 ans. Ils appartiennent tous les deux à la Maison d'York. Edouard s'est emparé de la couronne en 1461 après avoir renversé son cousin, le roi Henry VI, héritier de la Maison Lancastre. Lorsque Mancini le rencontre, il n'est plus que l'ombre adipeuse du flamboyant et charismatique guerrier qu'il avait été. "Pour la nourriture et de la boisson, il était sans modération", raconte l'ecclésiaste dans son rapport. "J’ai appris qu’il avait pour habitude de prendre un émétique (vomitif NDR) pour le simple plaisir de pouvoir de nouveau se gaver l’estomac ensuite. C’est pour cette raison qu’il est devenu très gras des hanches, alors qu’auparavant il était grand (1m93, autant dire un géant pour l'époque NDR), plutôt mince et séduisant." Dominique Mancini s'amuse également des moeurs dissolues du monarque, très porté sur la gent féminine. "Il était licencieux à l’extrême : on disait qu’il s’était montré très insolent envers de nombreuses femmes qu’il avait séduites et qu’une fois lassé de badiner, il abandonnait ces dames, contre leur volonté, à certains de ses courtisans. Il pourchassait sans discrimination les femmes mariées et non mariées, de la plus haute noblesse à la plus basse extraction. Mais il n’en prenait aucune par la force cependant. Il leur faisait miroiter de l’argent et des promesses, et une fois qu’il les avait conquises, il les congédiait. Il avait de nombreux soutiens et compagnons dans ses vices, mais les plus importants étaient trois proches parents de la reine : ses deux fils (issus d'un premier mariage NDR) et l’un de ses frères".


Ces trois compagnons de débauche sont Thomas Grey (dit "le Marquis" du Dorset), Richard Grey et Edouard Woodville, (dit Lord Scales). Trois personnages ambitieux et intrigants. Un véritable clan que bon nombre de lords dans le royaume détestent par dessus tout. Selon Mancini, la reine Elizabeth Woodville et sa famille sont soupçonnées d'avoir poussé Edouard IV à exécuter en 1478 son propre frère cadet George, duc de Clarence : accusé de complot, il aurait été plongé vivant dans un tonneau de vin et noyé. Ce que le futur Richard III, plus jeune frère du roi, n'aurait jamais pardonné. "A cette époque, Richard, duc de Gloucester, était tellement accablé, qu’il avait beaucoup de mal à le dissimuler. On disait de lui qu’il vengerait un jour la mort de son frère". Âgé d'à peine 30 ans, Richard est décrit par Mancini comme un homme "loyal envers son frère Edouard, dans son royaume comme à l’étranger, en période de paix comme en période de guerre". L'ecclésiaste italien ne l'aurait toutefois jamais rencontré directement.

Deux camps s'opposent 

Le 9 avril 1483, Edouard IV meurt soudainement, sans doute de ses nombreux excès. Son héritier sur le trône, Edouard V, n'est qu'un enfant de 12 ans. Il vit à l'écart de la cour, au château de Ludlow, au Pays de Galles, aux côtés de son oncle - un autre frère de la reine Elizabeth - Anthony Woodville, alias Lord Rivers. Dans le royaume, de nombreux lords s'inquiètent du pouvoir de nuisance de la famille de la reine qui pourrait profiter de la minorité du jeune souverain pour l'influencer, gouverner à sa place, voire faire main basse sur le trésor royal. Richard de Gloucester apparaît alors comme un recours pour contrer les ambitions dévorantes du clan Woodville. Le duc, qui s'était prudemment replié sur ses terres du nord de l'Angleterre, a été désigné "lord protecteur du royaume" par son frère Edouard IV, juste avant sa mort. La tension est donc immédiatement très vive entre les deux camps, raconte Mancini :" "Le Marquis" (Thomas Grey NDR) aurait dit : "Nous sommes si importants que même sans l’oncle du roi, nous pourrons prendre et appliquer nos décisions" ".
        

Selon l'ecclésiaste, deux personnages clés vont encourager Richard à passer à l'action : Lord William Hastings, chambellan et ami très proche d'Edouard IV, et le duc de Buckingham, Henry Stafford. "A l’évocation du nom de la reine, le duc de Buckingham, qui éprouvait de la répugnance pour sa race, répondit que gouverner le royaume n’était pas l’affaire des femmes mais des hommes", écrit Dominique Mancini. "Hastings ajouta qu’il était isolé dans la capitale, ce qui lui faisait courir un grand danger, et qu’il ne pourrait guère échapper aux pièges tendus par ses ennemis d’autant que leur haine était décuplée par son amitié envers le duc de Gloucester".

Un engrenage sanglant 

Richard de Gloucester décide alors de sortir de sa tanière pour s'emparer non seulement de ses ennemis, mais aussi de la couronne, au détriment de son jeune neveu. "Il semble qu’en revendiquant le trône, Richard n'était pas motivé seulement par l’ambition et la soif de pouvoir, mais aussi par le harcèlement qu’il disait subir de la part de l’ignoble famille de la reine et les affronts de la belle-famille du roi Edouard", analyse Mancini. Le duc agit vite et avec détermination. Il parvient à intercepter Edouard V, en route pour son couronnement à Londres. Il emprisonne son oncle et tuteur Lord Rivers ainsi que Richard Grey​, le demi-frère du jeune roi. Les deux hommes seront tous deux décapités au château de Pontefract.


Dans le clan Woodville, c'est la panique. La reine Elizabeth demande asile à l'abbaye de Westminster, avec le deuxième fils d'Edouard IV, Richard de Shrewsbury, jeune duc d'York âgé de 10 ans, et ses filles (Elizabeth, Cécile, Anne, Catherine et Brigitte). Thomas Grey, "le Marquis", part se terrer, tandis qu'Edouard Woodville (Lord Scales) réussit à mettre les voiles, avec une partie de la flotte anglaise, pour rejoindre les côtes bretonnes. "Maintenant que les bateaux avaient pris la fuite, le duc de Gloucester fut pris d’une grande appréhension et se prépara à affronter d’autres entreprises encore plus audacieuses", explique Dominique Mancini. "Il se résolut ainsi à prendre sous sa coupe le duc d’York qui s’était réfugié avec sa mère. (...) Quand la reine vit qu’elle était assiégée et pour éviter toute violence, elle rendit son fils, se fiant aux paroles du cardinal de Canterbury, selon lequel le garçon serait rendu après le couronnement".

Trahison et infanticide

En juin 1483, tout semble sous contrôle pour Richard, le "lord protecteur". Selon Mancini, 6 000 de ses hommes en armes tiennent Londres, la capitale. Mais il lui reste encore quelques obstacles à lever pour s'emparer du trône. L'un d'eux s'appelle William Hastings. Un ami loyal, fidèle parmi les fidèles de la Maison d'York. Mais Richard sait qu'il n'acceptera jamais la destitution du jeune Edouard V. Il va donc l'éliminer en le convoquant avec d'autres à la Tour de Londres. Le récit qu'en fait Mancini est glaçant. "(Richard) considéra que les perspectives n’étaient pas encore assez sûres, sans la mise à l’écart ou l’emprisonnement des amis les plus proches de son frère, dont on pouvait attendre qu’ils se montrent également loyaux envers sa descendance (...) Lorsqu'ils eurent été admis dans les quartiers les plus discrets (de la Tour de Londres), le protecteur, comme convenu, cria qu’une embuscade avait été organisée contre lui et qu’ils étaient venus avec des armes dissimulées et qu’ils pouvaient être les premiers à  passer à l’offensive. Alors les soldats, qui avaient été positionnés par leur maître, accoururent avec le duc de Buckingham, et abattirent Hastings sous le faux prétexte de trahison. (...) Ainsi tomba Hastings. Il ne fut pas tué par un de ces ennemis qu’il avait toujours craints, mais par un ami dont il n’avait jamais douté."


Le sort du jeune Edouard V et de son petit frère Richard de Shrewsbury, tous deux enfermés à la Tour de Londres, semble scellé. "Une fois Hastings éliminé, tout le personnel qui était au service du roi eut l’interdiction de le voir", explique Dominique Mancini. "Lui et son frère s’étaient retirés dans les appartements les plus reculés de la Tour, et jour après jour, on les vit de moins en moins derrière les fenêtres et les barreaux, jusqu’à ce qu’on ne les vit plus. Le médecin Argentine, l’une des dernières personnes dont le roi appréciait les services, rapporta que le jeune roi, telle une victime prête au sacrifice, rechercha l’expiation de ses pêchés par des confessions quotidiennes et la pénitence, parce qu’il croyait que la mort le regardait en face. J’ai vu beaucoup d’hommes éclater en sanglots et en lamentations à l’évocation de son nom après sa mise à l’écart. Il y avait des soupçons qu’il avait été éliminé. Toutefois s’il a bien été éliminé, je n’ai pas encore découvert de quelle façon il l’a été". L'ecclésiaste italien est en revanche plus évasif sur le sort de son jeune frère, Richard de Shrewsbury. Aujourd'hui encore, on ignore avec certitude ce qui est arrivé aux deux "Princes de la Tour". En 1502, un chevalier anglais du nom de James Tyrrell, fidèle lieutenant de Richard III, confessa les avoir étouffés sous des matelas. Mais ses aveux, obtenus sous la torture, sont sujets à caution pour les historiens. En 1674, des ouvriers qui effectuaient des travaux à la Tour de Londres découvrirent des ossements qui furent attribués aux deux princes et placés dans une urne à l'abbaye de Westminster. Mais là encore, des doutes planent, d'autant que l'Eglise d'Angleterre refuse encore aujourd'hui les analyses ADN.

Une chute tout aussi brutale

Le 6 juillet 1483, Richard, duc de Gloucester, est couronné roi d'Angleterre sous le nom de Richard III. Dominique Mancini, lui, regagne la France après cette succession incroyable d'événements. Son récit s'arrête là. Bien entendu, il n'a pas été témoin direct de tout ce qu'il évoque. Il s'appuie en grande partie sur les "on dit" de l'époque mais aussi sur certains témoins, comme John Argentine, le médecin personnel du jeune Edouard V, qui parlait comme lui l'italien.


Richard III, lui, ne connaîtra pas d'état de grâce. Son règne sera bref. Très vite, ses opposants parviendront à s'organiser derrière la bannière d'un certain Henry Tudor, comte de Richmond, vague descendant de la vieille maison rivale des Lancastre, réfugié en Bretagne. Soutenu par la France, il parviendra à lever une armée pour débarquer au Pays de Galles en 1485. Le 22 août, les deux camps s'affronteront lors de la bataille de Bosworth. Trahi à son tour par certains de ses lieutenants, Richard III se battra jusqu'à son dernier souffle, avant d'être encerclé et massacré par ses adversaires. Son corps meurtri et dénudé sera enterré à la va-vite dans la petite église d'un monastère de Leicester, qui sera détruit au XVIe siècle. Ses ossements ne seront retrouvés que 527 ans après...
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