Lors de chaque scrutin, les mairies doivent mettre à disposition de chacune des listes candidates un espace d'affichage. Mais pour les élections européennes de 2024, avec 38 listes, un record, difficile pour les petites communes de trouver la place et le matériel pour respecter le code électoral à la lettre.
"Les temps ne sont pas sûrs !! Donc il faut se prémunir !! C’est le mur antibruit contre les camions de la Nationale !!" S'il fait de l'humour, Yann Painvin n'en est pas moins dépité : sa mairie de Lugny dans l'Aisne est depuis quelques jours comme barricadée par les panneaux électoraux que la petite commune de 150 habitants est obligée de mettre à disposition des candidats.
La main à la pâte et à la poche
Si en général la situation est gérable, ça n'est pas du tout le cas en temps d'élections européennes. 34 listes en 2019. 38 cette année. Un record. Et autant d'espaces d'affichage à fournir. Mais la commune manque de place, de panneaux et d'un employé municipal. C'est donc à Mr le maire, à l'un des salariés de son entreprise et à l'un des adjoints qu'incombe la fastidieuse tâche d'installer les planches de bois qui feront office de panneaux électoraux. Une tâche accomplie sur leur temps libre et avec leur matériel personnel. "Dans les grandes villes, ils ont du personnel et des moyens. Mais dans les petites communes....On avait quatre panneaux. On est allés en acheter six autres pour en avoir dix. Des panneaux à 28 euros...Ça fait encore de l'argent...Mais bon, on fait ça pour la démocratie et pour la République. Mais je ne suis même pas sûr qu'on aura un merci...", avoue-t-il, un peu amer.
Les 38 espaces d'affichage électoral doivent être disponibles avant le dimanche 26 mai minuit. Plus facile à dire qu'à faire : la façade de la mairie n'est pas assez longue pour tous.
Un système difficile à respecter
"On va être obligés d'en mettre dans la descente du chemin. Mais ils n'auront pas la même visibilité, prévient Bernard Canonne, premier adjoint au maire. Mais on n'a pas d'autre choix. Tout en sachant qu'il y a des listes qui ne mettront aucune affiche ni même de bulletins de vote. C'est un peu agaçant parce que nous, on passe notre temps là-dessus."
À quelques kilomètres plus loin, dans la commune d'Aubenton, 650 habitants, Sylvain Allonsius, troisième adjoint au maire, et Fabrice, l'employé municipal, mettent également en place les panneaux électoraux, au pied de l'église fortifiée. 12 panneaux de trois emplacements chacun soit la place pour 36 affiches. Là aussi, le compte n'y est pas. Tant pis pour Bernard Gréhand, le maire du village : "On ne va pas rajouter de panneaux supplémentaires parce que là, on sombre dans le ridicule. Ce qui est complètement aberrant, c’est que les campagnes d’affichage, ça n’existe plus depuis longtemps. Les gens ne se déterminent pas sur des affiches électorales ou des panneaux électoraux. On sait très bien que sur les 36 emplacements qui seront mis à disposition, il n’y aura peut-être même pas une dizaine qui sera utilisée. C’est ce qui s’est passé les autres années. C’est absurde. Le ras-le-bol est général chez les maires des communes voisines. À côté, il y a une commune avec 60 habitants ! Il va y avoir presque autant de panneaux que d’habitants !"
Limiter le nombre de listes
Face à cette situation ubuesque propre aux élections européennes, le sénateur de l'Aisne Pierre-Jean Verzelen a déposé le 3 mai dernier une proposition de loi visant à limiter le nombre de listes aux élections européennes. Et l'ancien maire de Crécy-sur-Serre, 1500 habitants, sait de quoi il parle : "je me souviens du bordel que ça avait été, lors du scrutin de 2019, quand j’étais maire, explique-t-il. Et il n'y avait que 34 listes. Moi, je ne suis pas dans la police de la pensée pour dire qui a le droit ou pas de se présenter. (...) Concrètement, je propose qu'une liste, pour pouvoir se présenter aux élections européennes, réunisse 10 000 parrainages dans au moins 50 départements. L'idée étant de mettre en place un filtre comme d'ailleurs ça se fait dans d'autres pays européens."
Selon Mr Verzelen, sa proposition a reçu un écho favorable des parlementaires de tous bords. Si elle est votée, la réforme ne sera pas effective avant le scrutin européen de 2029.
Quand aux communes qui ne proposeront pas le nombre exact de panneaux électoraux, les maires n'ont rien à craindre : le gouvernement a demandé de la souplesse aux préfets.
Avec Gontran Giraudeau