Auditions des commissaires européens : "le cordon sanitaire face à l'extrême droite est en train de voler en éclats", regrette cet eurodéputé LFI

L'audition des commissaires européens désignés, devant le Parlement européen, a débuté le lundi 4 novembre 2024. Plusieurs profils interpellent Anthony Smith, inspecteur du travail à Reims (Marne) et eurodéputé (LFI), pour leur manque de sincérité, d'expérience, ou leur appartenance à l'extrême droite.

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Anthony Smith était connu pour être sorti victorieux de l'affaire éponyme : celle d'un inspecteur du travail sanctionné par sa hiérarchie lors de la crise du covid, quand il manquait tant de masques. Désormais, il est eurodéputé et entend défendre les travailleurs et travailleuses sur les bancs du Parlement européen.

Élu sur la liste de La France insoumise (LFI), il siège au sein du groupe de Gauche unitaire européenne (GUE/NGL, septième et avant-dernière force de l'hémicycle avec 46 eurodéputé(e)s sur 720). Son élection remonte au 9 juillet 2024, et il y fait son entrée solennelle le 16 juillet suivant. "Tous ces voyages et déplacements", confie-t-il à France 3 Champagne-Ardenne, "c'est assez étrange". Il n'en avait jamais vécu autant en si peu de temps, mais c'est le propre du partage en deux lieux du siège de l'institution, bien que son siège véritable, d'après les traités, soit Strasbourg (Bas-Rhin).

"Le rythme va s'accélérer, c'est passionnant." Il s'amuse à préciser qu'il arrive à ne pas se perdre dans les couloirs de l'institution. Et ajoute, plus sérieux que "je suis là pour porter la voix des millions d'électeurs qui se sont portés sur la liste de La France insoumise, autour d'un programme très clair de rupture écologique et sociale". Malgré le petit nombre de ses partenaires politiques.

"J'essaye d'intervenir. J'ai réussi à le faire sur la santé mentale au travail récemment. Je suis intervenu sur la question de la Kanaky - Nouvelle-Calédonie - en allant voir Christian Tein, dirigeant du FLNKS emprisonné à Mulhouse [Haut-Rhin; NDLR]. J'essaye d'être sur le front de toutes les luttes sociales", avec à la clé une visite chez Duralex, sauvée et régénérée au sein d'une coopérative, mais aussi, plus proche de l'actualité, chez le sous-traitant automobile Walor dans les Ardennes, menacé de disparition.

Europe cherche commissaires

La coupure estivale s'est achevée le 2 septembre, permettant à Anthony Smith de travailler à défendre les travailleurs et travailleuses (comme ici où il a pris la parole). Mais l'exécutif de l'Union européenne, à savoir la Commission européenne, n'a pas encore été confirmé et empêche le travail parlementaire de vraiment se mettre en branle. En attendant, l'UE tourne donc au ralenti. "L'Union européenne est une énorme machine", confirme l'eurodéputé. "Ce sont 27 membres, des temps longs, ce que je ne défends pas : c'est assez sidérant."

Ce n'est que le lundi 4 novembre que les auditions ont commencé devant le Parlement européen. Devant Anthony Smith et ses collègues (il a tweeté comment ça allait se passer, voir ci-dessous).

"Ce sont les commissaires désignés par Ursula Von der Leyen." Il s'agit de la présidente de la Commission européenne, l'un des postes les plus importants de l'UE, assorti de larges pouvoirs, ce qui en fait une sorte de Premier ministre européen (quant au président du Conseil européen, sa fonction est plus représentative et moins politique). 

"La présentation des lettres de mission fait suite à la désignation : c'est la deuxième étape. Ils introduisent les sujets sur lesquels ils sont mandatés par Ursula Von der Leyen. Elle est venue devant le Parlement européen à Strasbourg, au mois de septembre, pour présenter son plan." L'eurodéputé se fait l'écho d'un regret, celui d'un plan synonyme "d'austérité, de régulation, de déréglementation. Ce sont ce que disent ses commissaires", selon lui. 

L'heure des compromis

C'est aux parlementaires de confirmer ces commissaires suite à leur désignation. Ils ne sont pas encore entrés en fonction, leur mandat durant cinq ans. Cette confirmation constitue la troisième étape.

"Chaque commissaire passe devant chaque commission du Parlement pour laquelle il est compétent. Afin que les parlementaires, les seuls à être élus [au suffrage universel; NDLR] je le rappelle, puissent les confirmer. Mais la place de ces parlementaires est somme toute assez virtuelle." Il évoque une "démocratie de papier". Les noms proposés ne sortent toutefois pas de nulle part : ils n'ont forcément été élus, mais sont proposés par des dirigeants qui l'ont été, que ce soit à l'échelle européenne ou dans leur représentation nationale.

Euronews rappelle que les deux tiers des membres de la commission concernée doivent approuver la nomination, ce qui nécessite donc qu'une majorité des forces politiques qui y sont représentées s'accordent, et sans doute des compromis pour pouvoir satisfaire cette majorité. Depuis les élections de cet été, le Parlement européen penche majoritairement à droite (de celle dite classique à celle souverainiste, sans oublier les nationalistes et l'extrême droite).

Réponses évasives... quand il y a des réponses

L'eurodéputé évoque la commission JURI "qui vérifie l'absence de conflits d'intérêts. Les candidats déclarent leurs conflits d'intérêts ou pas. C'est sur cette base que doit se prononcer la commission : il n'y a pas de pouvoir d'investigation."

"Le lundi 4 novembre, ma camarade Manon Aubry, qui est la présidente de notre groupe, a interpellé à plusieurs reprises un commissaire pour lequel il y a des soupçons de conflit d'intérêts avec de grandes entreprises pétrolières, et il n'a jamais répondu à la question. D'autres députés ont repris la question de Manon Aubry", sans plus de succès. "Ce pouvoir est donc assez virtuel", regrette-t-il. "Ces gens répondent s'ils ont envie de répondre..." (voir un extrait vidéo dans le tweet ci-dessous).

"C'est représentatif du fonctionnement de l'Union. Oui, on vérifie que les commissaires sont aptes, avant de faire l'objet d'un vote global, normalement lors de la session du Parlement européen à Strasbourg lors de la session de novembre." Mais il grince des dents.

L'extrême droite (bien) représentée

Anthony Smith a "l'impression que les grands groupes politiques s'entendent pour que l'ensemble de la Commission Von der Leyen passe en bloc, même si certains sont d'extrême droite, comme le commissaire Fitto." Il s'agit de Raffaele Fitto, du parti italien d'extrême droite Fratelli d'Italia, souvent présenté comme "post-fasciste" et représenté au gouvernement de Giorgia Meloni, la Première ministre d'extrême droite italienne. Libération souligne les conflits d'intérêts du commissaire désigné et ses casseroles judiciaires (malgré ses acquittements au pénal). 

L'eurodéputé poursuit. "Il y a certainement des discussions pour obtenir un accord majoritaire entre le PPE, le SND, et l'ECR, lors de la session de novembre du Parlement européen." L'eurodéputé désigne respectivement le Parti populaire européen (droite libérale et conservatrice), les Socialistes et démocrates (centre gauche), et les Conservateurs et réformistes européens (droite conservatrice et une partie des eurosceptiques). Le Monde a déjà montré les prémices d'une telle alliance, et ses conséquences notamment pour le climat.

Le parlementaire européen poursuit quant aux accointances du groupe majoritaire avec l'extrême droite. "La situation est assez dramatique au sein du Parlement. Vous avez un groupe de fascistes [un terme qui fait réagir; NDLR], un groupe de très fascistes, et un groupe de très très très fascistes. On y retrouve Monsieur Bardella [qu'on accuse régulièrement de briller par son absence; NDLR] dans un groupe, Madame Knaffo, qui a été élue sur la liste de Monsieur Zemmour, dans un autre." Mais aussi, dans un troisième, Marion Maréchal-Le Pen (élue sur la même liste que Sarah Knaffo avant de quitter le navire en ayant "vidé la caisse" du parti zemmouriste si l'on en croit le Canard enchaîné). Ces groupes soulignent l'augmentation de ces forces dans l'hémicycle, mais aussi leur division.

  1. Jordan Bardella siège au sein du groupe PFE (Patriotes pour l'Europe), qu'il préside par ailleurs. Il représente le Rassemblement national (RN, ex FN) en compagnie des parlementaires de la Ligue italienne, du Vox espagnol, du Vlaams belge, du FPO autrichien, du Fidesz hongrois (le parti de Viktor Orban qui siégeait autrefois au PPE), du Parti de la liberté néerlandais : tous des partis classés à l'extrême droite. Le groupe est le troisième de l'hémicycle, fort d'environ 80 membres.
  2. Marion Maréchal-Le Pen (officiellement indépendante) siège au sein du groupe ECR cité ci-dessus. On y retrouve notamment les partis Droit et justice polonais ou Frères d'Italie, cités précédemment, eux aussi classés à l'extrême droite. C'est la quatrième force du Parlement européen, avec environ 70 membres.
  3. Sarah Knafo siège au sein du groupe ENS (Europe des nations souveraines). Il comprend les gens de l'AFD allemand, notamment, et affiche un total d'une vingtaine de parlementaires positionnés à l'extrême droite. C'est le huitième et dernier groupe politique du Parlement européen.

Ces groupes d'extrême-droite, aujourd'hui, polarisent de plus en plus le débat.

Anthony Smith, eurodéputé (LFI pour le groupe GUE/NGL)

Anthony Smith rapporte que "ces groupes d'extrême droite, aujourd'hui, polarisent de plus en plus le débat. Ce qui était appelé dans l'Union européenne le cordon sanitaire face à l'extrême droite est en train de voler en éclats. On voit les partis, PPE en tête, nouer des alliances avec par exemple l'ECR. Vous avez une nouvelle réalité : l'Europe qui se radicalise, à l'extrême droite, à une droite toujours plus radicale et violente. Notamment vis-à-vis des migrants, des étrangers. C'est assez terrible." 

Par ailleurs, le nom du commissaire désigné à l'Immigration, Magnus Brunner (OVP, parti de droite conservatrice au sein du PPE), a pu surprendre car l'Autriche n'est pas réputée pour l'ouverture de sa politique migratoire. Il a toutefois reçu le soutien de la droite, associée au centre et aux sociaux-démocrates (l'extrême droite lui était hostile... tout comme la gauche d'Anthony Smith). 

L'eurodéputé cite un discours polémique donné en octobre devant le Parlement européen à Strasbourg par Viktor Orban, le Premier ministre hongrois (pays qui assure la présidence tournante du Conseil de l'Union européenne), "où il expliquait que les migrants violaient nos femmes en Europe [en référence sans doute aux faits survenus au Nouvel An 2016 à Cologne; NDLR]. Il n'a pas dit que ça... mais il l'a dit".

Preuve que les étiquettes politiques ont leur importance, le processus de désignation est actuellement grippé. Des eurodéputé(e)s de gauche ne veulent pas qu'une des six vice-présidences soit confiée à Raffaele Fitto, cité précédemment. Et la coprésidente du groupe écologiste (Verts/ALE, sixième force europarlementaire avec une cinquantaine de membres), Terry Reintke, qualifie d'"irresponsable" le PPE, qui "s'aligne avec l'extrême droite"

Le cas Séjourné

Anthony Smith prévoyait, le mardi 12 novembre, alors qu'il siège au sein de la commission ITRE (industrie, technologie, recherche, énergie), d'interroger le commissaire français désigné Stéphane Séjourné, attendu de pied ferme. Jusqu'ici, l'eurodéputé n'avait pu que suivre des auditions sans prendre la parole.

Le Curriculum Vitae (CV) du candidat attire l'œil (député européen pendant quatre ans et président du groupe europarlementaire Renew (ex-ADLE centriste), député français et ministre français des Affaires étrangères pendant moins d'un an, mais surtout secrétaire général durant deux ans du parti d'Emmanuel Macron). Mais ce sont surtout l'étendue de son portefeuille et son manque d'expérience qui divisent ses auditeurs et font peser des incertitudes sur sa candidature (voir la question posée par Anthony Smith dans la vidéo du tweet ci-dessous). 

Qu'il s'agisse de Stéphane Séjourné ou de candidats plus sulfureux, il est toujours possible que le Parlement européen ne donne pas son aval. Lors de la précédente Législature, "plusieurs commissaires avaient été déjugés par les commissions". À savoir Rova Plumb (Roumanie, social-démocrate) et Laszlo Trocsanyi (Hongrie, proche du Fidesz) pour conflits d'intérêts. Et, cocorico, Sylvie Goulard (Modem), pour l'affaire des emplois fictifs dans lequel est empêtré son parti. 

L'Europe a son mot à dire, mais on l'écoute peu

Anthony Smith n'a pas l'impression, et le regrette, que les médias s'emparent du sujet et lui donnent toute la visibilité qu'elle mérite. L'un des rares à l'avoir fait avant que le train de l'actualité ne se mette enfin en marche après les résultats des élections américaines, c'est le Projet Arcadie, observatoire parlementaire (à la fois national et européen) financé par des dons de particuliers. Ce média qui gagne à être connu a mis en ligne un fichier volumineux, sous forme d'un trombinoscope très détaillé, pour tout connaître des personnes candidates : pays et parti représentés, commission référente, etc. Sans oublier de citer quelques casseroles (ou batteries de cuisine), parfois liées aux candidats issus de partis d'extrême droite.

"Poser cette question, c'est un peu en connaître déjà la réponse. Le début des auditions était concomitant avec la fin des élections américaines : je pense que ce qui est principalement ressorti dans sur les réseaux ou dans les journaux, ce n'est pas l'audition des commissaires, quand bien même elle est rediffusée sur les réseaux du Parlement."

Il n'y a pas d'appropriation citoyenne de la question européenne.

Anthony Smith, eurodéputé (LFI pour le groupe GUE/NGL)

"Il n'y a pas d'appropriation citoyenne de la question européenne. Soyons clairs : tout est fait pour qu'il n'y en ait pas." Il compare le Parlement européen basé à Strasbourg (selon les traités) et à Bruxelles (dans les faits) à "une bulle particulièrement opaque"

Alors que pourtant, les nombreux dossiers sur lesquels l'UE a une compétence impactent directement le quotidien de centaines de millions d'Européennes et d'Européens. Anthony Smith donne l'exemple "de Monsieur Draghi, qui est venu présenter un rapport sur la compétitive en septembre devant le Parlement européen à Strasbourg. Ce sont 800 milliards d'euros qui vont être injectés."

"Et nous avons des propositions à faire sur les conditions d'octroi de ces aides, sur les risques sociaux et environnementaux. La politique européenne peut apporter de vraies solutions à la crise industrielle, celle du secteur automobile par exemple." Cas emblématique : la situation est particulièrement préoccupante en Allemagne, où la célèbre firme Volkswagen va fermer des usines sur le sol du territoire national pour la première fois de son histoire.

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