Mars-avril 2020, Anthony Smith, inspecteur du travail à Reims, prend la défense des aides à domicile d'une association rémoise. La première vague de Covid frappe la France et ces salariées dénoncent le manque de matériel de protection. Quelques semaines plus tard, Anthony Smith est mis à pied et sanctionné. A travers ce livre, il raconte ses 918 jours de combat pour obtenir réparation et réhabilitation. Sortie prévue le 7 septembre prochain.
"J'ai beaucoup réfléchi avant de me lancer, dit Anthony Smith, représentant syndical au Ministère du Travail. J'avais envie que cette histoire ne soit pas effacée ou réécrite". Que les traces de ce combat, les stigmates violents et émouvants laissés par cette affaire, ne soient pas vains. Et même si ce combat est victorieux. Même si Anthony Smith est totalement blanchi, il devait raconter à nouveau. Tout dire.
"Cette histoire, elle valait la peine d'être racontée, pas que sous l'angle Anthony Smith, mais sous celui d'une bataille collective. En plein Covid, il y a eu des dizaines de rassemblements dans la Marne, nationalement, partout. J'ai retrouvé des documents lors de l'écriture de ce livre : la Confédération européenne des syndicats, la commission nationale consultative des droits de l'homme étaient là. Il y a eu une mobilisation, qui a parlé collectif tout de suite. Elle est belle dans ce qu'elle dit de cette capacité, lorsque l'on est attaqué, d'être défendu, soutenu. Le mouvement syndical, le mouvement politique, le mouvement social, le mouvement citoyen. Je voulais rendre hommage, à travers ce livre, à tous ceux qui ont participé. Dire que l'on porte cette force. Face aux puissants, il n'y a que, lorsque l'on porte cette force collective que l'on arrive à exister".
Sanctionné en plein confinement
La première vague de Covid attaque la France et le confinement est décrété. Des salariés continuent à travailler et notamment les aides à domiciles. Des représentants du personnel d'une association rémoise dénoncent, très rapidement en mars 2020, le manque de matériel de protection et saisissent l'inspection du travail. Anthony Smith s'empare du dossier et tente de travailler avec la direction pour éviter la mise en danger des salariées et des personnes fragiles dont elles s'occupent. Face au manque de réponses, il rédige un référé et saisi le juge du tribunal judiciaire de Reims. Le 15 avril 2020, l'inspecteur du travail est mis à pied, puis pendant l’été suivant, suspendu de ses fonctions et muté en région parisienne. En septembre 2020, Elisabeth Borne, ministre du Travail, le réintègre dans sa région et dans son métier d'inspecteur mais maintient la sanction d'éloignement de Reims. Le 2 octobre 2020, Anthony Smith est affecté d'office dans la Meuse.
Il faut affronter ses craintes et ça a été une période extrêmement difficile. J'essaye d'être le plus serein possible.
Anthony Smith, représentant syndical au Ministère du Travail
Si l'Etat reconnaît à demi-mot son erreur, Anthony Smith ne compte pas en rester là. Il dépose un recours au tribunal administratif de Nancy pour tenter de faire annuler toute sanction. Le 28 septembre 2022, lors de l'audience, il comprend que le juge est en sa faveur. En octobre, il est définitivement blanchi et réintègre quelques semaines plus tard son poste à l'inspection du travail de Reims.
Plus qu'un livre, un plaidoyer
"Avant de m'engager dans ce projet, j'ai effectivement beaucoup réfléchi, précise à nouveau Anthony Smith, représentant syndical au Ministère du Travail. J'espère que le Ministère n'engagera aucune vendetta par rapport à ça. D'abord je raconte cette histoire comme dirigeant syndical, comme militant politique et pas comme inspecteur du travail. Je suis aussi un dirigeant national du syndicat CGT au Ministère du Travail. Encore une fois, ce n'est pas un geste professionnel, je raconte une histoire, simplement factuelle".
Anthony Smith a aussi beaucoup réfléchi, en 2020, avant de s'exprimer publiquement. Il a décidé de ne pas se taire, sûr de son bon droit. Sûr d'avoir agi comme il devait. Il a souvent précisé, ensuite, que si c'était à refaire, il le referait de la même façon. Deux ans et demi de combat contre l'Etat, c'est beaucoup de souffrances, de violence. Aujourd'hui, "il faut affronter ses craintes et ça a été une période extrêmement difficile. J'essaye d'être le plus serein possible".
Un fonctionnaire est au service de l'intérêt général mais il n'est pas servile. Et moi, j'ai juste dit non.
Anthony Smith, représentant syndical au Ministère du Travail
"918 jours" est le récit, dans les moindres détails, de l'affaire Anthony Smith, comme l'ont appelé les médias. "C'est la moitié du bouquin. Je raconte, par le menu, tout ce qui s'est passé, explique encore l'auteur. Il y a des choses que je n'avais pas encore racontées complètement". Fonctionnaire de l'Etat, il a désobéi, mais n'a pas failli. Une situation importante précisée dans le livre.
"J'ai gagné. Ce que dit le juge fondamentalement c'est : on doit obéir quand on est fonctionnaire, mais pas à des ordres qui sont illégaux. Un fonctionnaire est au service de l'intérêt général mais il n'est pas servile. Et moi, j'ai juste dit non. Je savais que ce que je faisais était légal et je me suis pris l'Etat en pleine face avec toute sa force et sa violence. Et ce que je veux dire dans ce livre c'est, qu'on a le droit de désobéir à un ordre illégal. Il a fallu deux et demi de bataille. Et puis en même temps, je suis syndicaliste au Ministère du Travail, depuis 2020 j'ai été invité dans des conférences, des colloques, des meetings où j'ai pris la parole sur la question du code et du droit du travail. Aujourd'hui je voulais aussi livrer une sorte de plaidoyer. À travers le livre, je fais des propositions sur ce qu'il faudrait face aux attaques telles que la loi El Khomri, les ordonnances Macron. Tout ce qui s'est décliné dans la destruction du Code du travail. C'est tout l'inverse qu'il faudrait faire. On a besoin de protections, d'un code qui soit tourné vers la protection des salariés. Aujourd'hui, on voit bien que ce n'est pas la tendance et qu'il faut faire des propositions".
Au-delà de l'histoire
Marie-Pierre Vieu, journaliste, éditrice et ancienne femme politique de gauche, signe ce livre aux côtés d'Anthony Smith. C'est même elle qui l'amène à la réflexion. Écrire pour raconter. Écrire pour amener la réflexion. Ces deux-là se connaissent depuis longtemps. Tous les deux, engagés à l'UNEF, syndicats d'étudiants, elle en est la présidente nationale de 1994 à 1997, lui est militant à Reims. Ils se perdent de vue puis se retrouvent aux conclusions de l'affaire en 2022. La journaliste interroge alors celui qui vient de gagner son procès. "Je lui ai dit : il faut écrire un livre et je t'ouvre les portes de ma maison d'édition. Tu réfléchis et tu me rappelles".
C'est vraiment un témoignage de vie mais aussi celui d'un citoyen qui va au bout des questions qu'il s'est posées et qui essaye de les faire fructifier. Je pense que cela va nourrir de jolis débats.
Marie-Pierre Vieu, coautrice de 918 jours
Ce que fit Anthony Smith. "Début novembre, il a pris sa décision, reprend Marie-Pierre, puis en décembre nous nous sommes rencontrés et Anthony avait déjà chapitré et segmenté son histoire. Il m'en a donné toute la chronologie. On a ensuite effectué des entretiens pendant plusieurs mois, puis je les ai retravaillés, je les ai décryptés et je les ai mis en forme. Anthony, les a ensuite mis à sa main jusqu'à ce que cela devienne intégralement sa propriété, sur le fond et la forme. J'ai servi aussi à le pousser, à la fois dans sa réflexion, mais aussi à poser des questions et en essayant de sortir tout ce qu'il pouvait. C'est un livre qui est vraiment bâti sur le récit de sa lutte. Il était extrêmement précis quand il en parlait. Il sortait des documents. Il se rappelait même des phrases. Il tenait, aussi, à livrer deux trois réflexions. Il y en a une qui est sur le métier d'inspecteur du travail. Qu'est-ce que l'on fait de cette profession-là ? Et comment des fonctionnaires peuvent rester citoyen, c'est-à-dire, garder leur indépendance ? Il a aussi une réflexion sur l'évolution du syndicalisme et, comme c'est un homme de gauche, ses attentes par rapport à la gauche. Le livre est bâti comme ça. C'est vraiment un témoignage de vie mais aussi d'un citoyen qui va au bout des questions qu'il s'est posées et qui essaye de les faire fructifier. Je pense que cela va nourrir de jolis débats."
Des espoirs à gauche
Homme de gauche, proche de la Nupes. Représentant syndical, candidat aux dernières législatives. Anthony Smith est un citoyen engagé pour les autres depuis de nombreuses années. Dans ce livre, il ose aussi questionner la gauche syndicale et politique. Il ose leur soumettre quelques idées, quitte peut-être à les troubler.
Je suis parti de mon histoire pour en tirer des enseignements. J'ai vu comment c'était beau un mouvement uni et solidaire. Il donne une force énorme.
Anthony Smith, coauteur de "918 jours"
"Je dis dans le bouquin que je suis rempli d'idéal émancipateur, précise encore Anthony Smith coauteur de "918 jours." On ne peut pas construire un monde où chaque jour, on nous explique une nouvelle régression sociale. Comme syndicaliste, le mouvement des retraites à montrer ce qu'apportait l'unité. Et je la défends et même plus, si on peut. C'est aussi, dans la période, ce qui pourrait permettre de peser plus. Je pose ce débat-là et je l'exprime depuis très longtemps. Je le porte. On l'a fait au Ministère du Travail lors des dernières élections professionnelles.
Je pense aussi que le mouvement syndical français, alors, certes, ce n'est pas son histoire, ce n'est pas sa culture, pas sa tradition. C'est le refus du politique, l'autonomie à travers la charte d'Amiens de 1906. Je ne pense pas que le syndicalisme doit faire à allégeance mais que les partis et les organisations syndicales doivent faire une sorte de grand accord, quelque chose d'historique. Oui les syndicats ont un intérêt à ce qu'un candidat de gauche uni l'emporte. Le mouvement des salariés a intérêt, aussi, à cela. La gauche a une responsabilité historique. On ne peut pas se permettre de montrer la désunion. Nous ne gagnerons que si nous sommes unis et dès maintenant. Qu'il y ait un espoir qui naisse.
Je suis parti de mon histoire pour en tirer des enseignements. J'ai vu comment c'était beau un mouvement uni et solidaire. Il donne une force énorme. Toute la gauche politique m'a soutenu, une grande partie de la gauche syndicale. C'est tout cela, à ma petite place, celle d'un militant politique et d'un syndicaliste qui a vécu une histoire extraordinaire, que je veux essayer de raconter".
"918 jours" sort le 7 septembre prochain aux éditions Arcane 17.