Trois députés RN réélus, un député RN nouvellement élu sur des terres de gauche et un ballotage favorable : le parti d'extrême droite réaffirme sa présence dans l'Aisne à l'issue du premier tour des élections législatives. Les élus réagissent.
L'Aisne a voté. Alors qu'en 2022, c'est l'abstention qui arrivait en tête avec des taux oscillant entre 53% et 57,7% de non-votants, deux ans plus tard, 64% des électeurs se sont rendus aux urnes dès le premier tour.
C'est le Rassemblement national qui a bénéficié de cet afflux de bulletins, quatre des cinq circonscriptions de l'Aisne lui sont déjà acquises à l'issue de ce premier scrutin. Et dans la deuxième circonscription, la seule où il y aura un deuxième tour, le député LR sortant Julien Dive doit rattraper un retard important s'il veut l'emporter sur le candidat RN Philippe Torre.
Objectif affiché du RN dans l'Aisne : le grand chelem, c'est-à-dire l'obtention de l'intégralité des circonscriptions du département. "Nous sommes en capacité de le faire (...), je ne vois pas ce qui pourrait nous en empêcher compte tenu de nos scores dans ce département", affirmait Nicolas Dragon, député réélu de la première circonscription, à nos confrères du Courrier Picard le 11 juin dernier. Il faut croire que cette confiance était justifiée, le concerné ayant été réélu dans sa première circonscription de l'Aisne avec 54,5% des suffrages, dès le premier tour.
"Maintenant, c'est nous qui ferons l'ordre du jour" : trois députés RN conservent leur fauteuil
En plus de Nicolas Dragon pour la première circonscription, José Beaurain et Jocelyn Dessigny conservent respectivement leurs députations de la quatrième et cinquième circonscription. Un signe fort de l'ancrage du Rassemblement national dans ces territoires aux réalités contrastées.
Dans la première circonscription, qui comprend des zones rurales et la ville de Laon, longtemps bastion de la gauche avec le député PS René Dosière, Nicolas Dragon engrange 15 000 voix de plus qu'au premier tour des élections législatives de 2022. Dans la quatrième circonscription, qui comprend notamment la ville de Soisson, la tendance est la même, José Beaurain a convaincu 15 000 axonais supplémentaires de lui accorder leur suffrage. Dans la cinquième circonscription, celle de Chateau-Thierry et Villers-Cotterêts, Jocelyn Dessigny obtient 6 500 voix de plus qu'il y a deux ans.
"C'est une élection que je prends avec beaucoup de gravité, réagit Jocelyn Dessigny quelques minutes après l'annonce des résultats. C'est un immense élan d'espoir que nous ont envoyé les Français, ils attendent de nous qu'on soit à la hauteur, qu'on ait les mains libres pour mettre en place un gouvernement qui répondra à leurs attentes du quotidien."
"Nous espérions faire le grand chelem sur deux tours, ajoute-t-il, aujourd'hui, on a déjà quatre circonscriptions dès le premier tour. Avec 47%, je ne vois pas ce qui empêchera Philippe Torre de battre Julien Dive demain et je ne vois pas les électeurs de gauche voter pour quelqu'un comme Julien Dive."
Pour le député RN, ce plébiscite n'est "pas du tout de la colère". Il souligne que la forte participation est signe d'un "élan patriote" qui portera encore de nombreux députés RN à l'Assemblée nationale, selon lui. "Maintenant, c'est nous qui ferons l'ordre du jour", se projette-t-il. Pour lui, le gouvernement est déconnecté des préoccupations des citoyens et ne "sait pas prendre la mesure de l'urgence", notamment économique.
Quand on s'intéresse à la vie politique, depuis 30 ans, ce mouvement est en croissance.
Paul-Henry Hansen-CattaConseiller régional RN
"On sait que les Français sont au pied du mur, qu'ils n'arrivent pas à finir leurs fins de mois, ils ne peuvent plus sortir tranquilles sans se faire agresser, ils ne peuvent plus se soigner parce qu'il n'y a pas de médecin, c'est ces sujets-là qui importent aujourd'hui aux français, constate le député. Pourquoi on a été réélus ou élus dès le premier tour, comme dans la troisième circonscription ? Parce qu'on répond aux attentes des français."
Le député a pourtant voté contre l'augmentation du SMIC à 1500€ en 2022 et contre la régulation de l'installation des médecins en juin 2023. Mais pour lui, ce résultat est le fruit d'un travail de terrain, notamment auprès des maires ruraux.
Un avis partagé par Paul-Henri Hansen-Catta, candidat en 2022 pour la troisième circonscription de l'Aisne et qui représentait le RN sur le plateau de notre soirée électorale du 30 juin.
"Vous savez, la montée du Rassemblement national, c'est un phénomène long, observe Paul-Henri Hansen-Catta. Ce n'est pas né depuis les six derniers mois. Quand on s'intéresse à la vie politique, depuis 30 ans, ce mouvement est en croissance."
Contrairement à ses confrères réélus, il ne croit cependant pas à une majorité absolue à l'issue du scrutin du 7 juillet. "Ça fait longtemps que je pense que l'heure n'est pas venue, tempère Paul-Henri Hansen-Catta. C'est peut-être une vision un peu personnelle... Parce que, derrière ça, c'est un courant d'idées. La montée en puissance des idées, c'est quelque chose de très lent. Ce n'est pas sur trois, quatre élections que ça se fait. La meilleure analyse qui a été faite, c'est par Ariane Mnouchkine, quand elle dit que la gauche a oublié le peuple. C'est pas seulement la gauche, c'est toutes les élites qui ont oublié le peuple."
Surprise dans la 3e circonscription
Un constat de déconnexion avec l'électorat populaire qui semble s'illustrer dans la troisième circonscription, celle de la Thiérache, d'Hirson et de Guise, jusqu'alors considérée comme un bastion de gauche. Le RN y avait toutefois remporté 55% des suffrages aux élections européennes.
"Le particulier qui se retrouve avec une augmentation de sa facture d'électricité, c'est normal qu'il dise 'c'est la faute du gouvernement, je vais voter contre le gouvernement', analysait alors Hugues Cochet, maire de Guise (sans étiquette). Et là, dans les urnes, tout le monde s'est mis d'accord pour sanctionner la politique du gouvernement : voilà les résultats."
Le député sortant, candidat indépendant divers gauche affilié au groupe LIOT, Jean-Louis Bricout, a été battu dès le premier tour par Eddy Casterman, candidat RN soutenu par l'Union des droites (qui rassemble Les Républicains fidèles à Eric Ciotti et les militants Reconquête qui ont suivi Marion Maréchal Le Pen suite à son départ du parti d'Eric Zemmour). Le candidat RN a obtenu une avance de plus de 8 000 voix sur Jean-Louis Bricout.
"Je ne suis pas surpris", réagit Eddy Casterman à l'issue du scrutin, avant d'ajouter "je pense que dans nos territoires ruraux, le Rassemblement national représente aujourd'hui un réel espoir."
"Aujourd'hui, l'Union nationale se réunit face à deux autres blocs, ajoute-t-il un peu plus tard, le bloc des macronistes qui a, pendant 7 ans, nuit beaucoup à notre pays, qui a rejeté et abandonné ces territoires ruraux qui aujourd'hui sont livrés au déclassement. De l'autre côté, nous avons un bloc d'extrême gauche sous la tutelle de Jean-Luc Mélenchon, qui représente un véritable danger. Donc c'est l'occasion d'allier ces différentes sensibiltiés de droite qui représentent un socle commun, sur un programme commun, qui peut agir dès demain dans le cadre de cette majorité absolue."
Le nouveau député a en effet profité de cette union avec les autres sensibilités : lors d'un meeting organisé le 24 juin, en présence de Maron Maréchal Le Pen, les militants Reconquête étaient venu nombreux pour soutenir le candidat. La candidate Reconquête dans cette circonscription n'a par ailleurs obtenu que 11 votes, le 30 juin.
"La seule façon de pouvoir accéder aux responsabiltés, c'est de s'unir, abondait ce jour-là Patrice, un militant Reconquête rallié à cette nouvelle union. Je viens de Reconquête, d'autres viennent des LR comme le maire du village, si on ne se regroupe pas, on arrivera jamais à rien." Patrice a décidé de suivre la dissidente Marion Maréchal Le Pen, au détriment d'Eric Zemmour, qui l'a déçu par son refus d'alliance avec le RN.
Il dit adhérer à 100% au projet du Rassemblement national : "Quand on allume la radio, la télé, chaque jour il se passe quelque chose de négatif. On est dans une région défavorisée, le principal problème des gens, c'est de se nourrir, de se chauffer, se loger, de trouver du travail parce qu'ici, pour trouver du travail, il faut prendre une auto. La moyenne d'âge est élevée et s'élève de plus en plus, aujourd'hui, des gens n'ont pas la possibilté de se déplacer pour le docteur, le pharmacien. Il n'y a plus rien dans les villages."
Le pouvoir d'achat, l'immigration, rien ne va plus en France... J'ai été déçu par la gauche. J'espère qu'ils vont redonner un peu de pouvoir d'achat aux ouvriers, car on a du mal à finir les fins de mois, on en a marre.
DavidElecteur RN
Alors s'il vote pour l'extrême droite, c'est pour "tout changer", pour "retrouver une souvernaienté nationale pour l'emploi, pour l'énergie" et "recréer une dynamique sociale". "Le problème de l'énergie, il n'aurait pas dû exister, ajoute Patrice, on avait l'énergie la moins chère, décarbonnée, qu'on soit pour ou contre le nucléaire, un réacteur, c'est 6 000 emplois... Et tout le reste autour, la pisciculture, tout... Donc il faut tout changer, être européens, certainement, mais pas comme aujourd'hui."
La solution serait donc la préférence nationale pronée par le RN ? "Bien sûr, répond Patrice, on est chez nous ! Je suis Gaulliste, j'ai collé des affiches pour De Gaulle en 67, lui, c'était 'la France avant tout'. L'Europe, on était à six, c'était une Europe économique, aujourd'hui, on a pas d'Europe économique puisqu'on a des salaires et des charges différents selon les pays, ça ne peut pas marcher !"
À côté de lui, Kristin aussi espère que "Tout va changer", tout en évoquant ses difficultés économiques. David, lui, votait à gauche mais "maintenant, j'ai décidé de prendre l'extrême droite car il y en a marre de tout ce qu'on voit, ce qu'on entend, ras le bol. Le pouvoir d'achat, l'immigration, rien ne va plus en France... J'ai été déçu par la gauche. J'espère qu'ils vont redonner un peu de pouvoir d'achat aux ouvriers, car on a du mal à finir les fins de mois, on en a marre."
La bataille de Saint-Quentin : Torre confiant, Dive combatif
Si les députés élus parlent d'un espoir représenté par le RN, colères et frustrations sont palpables chez les électeurs et dans la deuxième circonscription, seule où un second tour aura lieu, une chose unit les deux candidats : le fait d'utiliser la figure du président de la République, Emmanuel Macron, comme repoussoir.
"Ma position est très claire, je suis contre le président de la République Emmanuel Macron, affirmait ainsi pour lancer sa campagne député sortant LR Julien Dive, en deuxième position derrière le candidat RN Philippe Torre. Je resterai un opposant farouche, constructif, mais farouche, comme je l'ai été ces deux dernières années. Comme je serais un opposant farouche aux extrêmes s'ils étaient en responsabilité."
"Le choix sera difficile pour les électeurs de gauche, ils auront à choisir entre mon concurrent qui est le candidat d'Emmanuel Marcon (...), car il y a eu un petit accord fait dans leur dos, et moi qui suis le candidat du RN, mais pas que : je suis aussi soutenu par Nicolas Dupont-Aignan, dont j'ai été vice-président pendant des années au centre national des indépendants et paysans, puisque je suis membre du bureau politique de ce mouvement. Je suis aussi le candidat du RPR, bref, je suis le candidat de toute la droite et de tous ceux qui aiment la France", affirme pour sa part Philippe Torre, candidat du Rassemblement national.
C'est évidemment pour Jordan Bardella que les électeurs du Saint-Quentinois ont voté aujourd'hui. C'est pour le porter à Matignon la semaine prochaine.
Philippe TorreCandidat RN à la 2è circonscription de l'Aisne
Pour ce dernier, le succès remporté à ce suffrage, où il a près de 20 points d'avance sur le candidat LR Julien Dive, est je fruit d'un "effet Jordan Bardella qui est extraordinaire, salue-t-il. Ce n'est pas Philippe Torre, je n'ai pas d'ego et je ne me fais aucune illusion, c'est évidemment pour Jordan Bardella que les électeurs du Saint-Quentinois ont voté aujourd'hui. C'est pour le porter à Matignon la semaine prochaine." Il se dit très confiant quant à ses chances d'élection.
Pour Julien Dive, rien n'est cependant joué, il espère bénéficier du report des voix de la candidate NFP. "On est à la mi-temps d'un match, il y a une deuxième mi-temps, sinon je ne serais pas en train de batailler et de mettre toutes mes forces dans la bataille pour ce second tour", ajoute Julien Dive.
"On a une situation en France qui est extrêmement difficile (...), les difficultés se voient dans le scrutin avec la question qui a été posée, aujourd'hui, la réponse est là. C'est les électeurs qui décident, il faut avoir conscience de cela", conclut quant à elle la maire LR de Saint-Quentin, Frédérique Macarez. Leur décision finale sera donc connue le 7 juillet.