Immersion dans la seule prison de France à prendre en charge des détenus atteints de maladies psychiatriques

C’est un établissement unique en France. Depuis 1950, la prison de Château-Thierry se consacre à la prise en charge de détenus psychiatriques lourds. On y envoie de toute la France des prisonniers devenus trop difficiles à gérer, avec un objectif : mettre en place un ensemble de solutions sur mesure, pour les rendre à nouveau accessibles à la détention. Un défi que les équipes s’efforcent de relever, malgré des conditions difficiles.

Mollement, l’air un peu hagard, "Boubou" serre les mains de ceux qu’il croise sur la coursive. C’est un vieux monsieur, dont les nombreux tatouages ont un peu pâli. Incarcéré à Château-Thierry depuis vingt ans, Boubou fait partie des quelques détenus qui ont élu domicile dans la prison. En délicatesse avec la société, ils trouvent ici une forme d’équilibre qu’ils ne veulent plus quitter et finissent toujours par revenir. L’étage de l’aile qui les héberge a même été surnommé "Papiland", en référence à leur âge avancé. Le benjamin de la prison, silhouette haute et démarche pas très assurée, rentre de balade au même moment. Il vient tout juste de fêter ses dix-neuf ans. 

"Ce que l'on regarde ici, c’est la pathologie et seulement ça", confie une surveillante. L’instabilité psychique et la dangerosité des comportements qui en découle dictent la répartition, les protocoles, les activités des prisonniers. Sur les 59 détenus psychiatriques de la maison centrale, on compte une majorité de profils schizophrènes et paranoïaques. Presque tous sont condamnés à de lourdes peines. Considérés comme responsables de leurs actes par la justice, ils devront les purger en détention.

L’établissement de Château-Thierry abrite aussi une poignée de détenus conventionnels dans un couloir qui leur est réservé. Des hommes condamnés à quelques années, souvent ici après une demande sur des motivations géographiques.

Un système médical insuffisant

Le rez-de-chaussée abrite l’indispensable espace sanitaire de la prison, gage du calme fragile qui règne entre ces murs. En accord avec la tendance nationale, le personnel soignant est insuffisant. Sept infirmières composent l’équipe permanente, dont deux travaillent à 80 %. Trop peu pour suivre les près de 70 détenus à leur charge.

Le week-end, elles sont une le matin et une le soir. "Seule pour tout gérer, c’est trop compliqué", lâche l’une d’elle. Leur rôle est pourtant primordial : à Château-Thierry, les infirmières distribuent les médicaments individuellement aux détenus à chaque repas, un système qui permet de surveiller la prise des traitements et d’éviter les trafics. Leur passage constitue aussi un contact quotidien qui permet de prévenir les moments difficiles des détenus et un repère pour ces hommes qui en manquent.

La salle de pharmacie donne le ton d’un univers ultra-médicalisé, où la chimie joue son rôle. Dans de hautes armoires s’empilent une multitude de tubes, étiquetés au nom de chaque détenu. On y trouve les dizaines de pilules qui rythment leur quotidien. Si la plupart acceptent leur traitement, certains détenus y sont parfois réfractaires, un choix dont ils sont libres. En 2017, un rapport du Contrôleur général des lieux de privation de liberté dénonçait des soins forcés, une pratique qui n’a plus cours, affirme le personnel de la prison.

Côté psychiatrie aussi, on manque d’effectifs. Deux psychiatres consacrent chacun deux matinées par semaine à la prison. Deux psychologues interviennent aussi. Le week-end, pas de garde, il n’y a personne, regrettent les infirmières. En cas d’urgence, ce sont les hôpitaux alentours qui prennent le relai. Le personnel admet les difficultés d’un fonctionnement qui semble difficile à systématiser. Les rendez-vous obligatoires ont lieu une fois par mois et des séances supplémentaires sont programmées sur demande, mais beaucoup de détenus auraient besoin de plus.

Depuis quelques années, une nouvelle difficulté s’ajoute à la liste : un manque de suivi flagrant des dossiers médicaux. Certains arrivent même entièrement vides, et taisent de précieuses indications. À Château-Thierry, le diagnostic, toujours repris à zéro, est au cœur du soin, parfois longuement remanié. Les autorités sanitaires l’affirment : en six mois, tous les détenus, même les plus compliqués à l’extérieur, sont globalement stabilisés.

Un établissement vétuste

Construit en 1850, le bâtiment a vieilli. Sols usés, peintures écaillées, certains espaces portent lourdement les traces du temps, comme la rotonde centrale qui dessert les quatre ailes de l’établissement. Château-Thierry est une petite prison. Ici, pas de coursives interminables, mais des couloirs courts aux portes rose clair qui se détachent sur les murs ternes, un peu tâchés.

Dans l’aile réservée au centre de détention, cette structure ancienne est une chance : les anciens dortoirs de 12 m² qui abritaient à l’origine quatre à cinq personnes sont devenus des cellules individuelles. Elles contrastent avec celles de la maison centrale, de 6,70 m² seulement, alors que la norme recommande aujourd’hui un espace de 9 m². Au fil des ans, des petits travaux de modernisation ont été opérés, comme l’installation de téléphones individuels dans les cellules, qui s’accompagne de quelques anecdotes : certaines familles se plaignent désormais de coups de téléphone incessants. Le système électrique, pas assez performant, est en cours de réfection.

Dans les étages, on trouve des salles communes repeintes et claires, plus accueillantes que les hébergements. Certains espaces comme le centre d’accueil thérapeutique ont aussi bénéficié d’un coup de jeune et pourront bientôt accueillir des activités artistiques ou des ateliers de cuisine. Les locaux, dont la structure n’a jamais été modifiée, impliquent surtout plus de promiscuité qu’ailleurs. Les détenus sont répartis dans différents espaces, mais les frontières restent floues. Quatre cellules réservées font office de quartier "arrivants". Le parloir, qui voit passer peu de visiteurs, est encore commun et ne laisse place à aucune intimité.

La communication plus que la discipline

Détenus et gardiens se connaissent bien. Chose rare en prison, ils se tutoient et s’appellent par leur prénom. "Je n’autoriserais ça nulle part, mais ici, oui", commente Emmanuelle Costes, qui dirige l’établissement depuis juillet 2021. Pour elle, en poste à Château-Thierry après des années dans un établissement ultra-disciplinaire, cette proximité est indispensable.

Malgré les contraintes, la prison constitue un cadre de confiance pour ces détenus souvent seuls, loin des leurs ou en rupture familiale. Le personnel mise sur la communication davantage que sur la discipline. Il y a d’ailleurs ici peu de sanctions et les détenus semblent apprécier. Sur le pas de sa cellule, l’un d’eux remercie les surveillants. Passé par plusieurs établissements avant d’arriver à Château-Thierry, il semble soulagé du changement. "Ailleurs, c’était l’enfer", estime-t-il.

Seule règle incontournable : l’agression implique une réaction immédiate. Pour les gardiens, l’adaptation est parfois compliquée. Les agents ne sont pas formés à gérer ces personnalités hors normes qui, même stables, peuvent se montrer imprévisibles et dangereuses. "Ici, il ne faut pas avoir peur, mais il faut être lucide", résume la directrice. Leur rôle de médiateur, les gardiens l’apprennent sur le tas. Certains abandonnent rapidement, mais d’autres restent des dizaines d’années à leur poste, convaincus par une fonction qu’ils estiment plus humaine qu’ailleurs. "Dans certains cas, le bonhomme, c’est juste un numéro de cellule", glisse un gardien qui a exercé à Fresnes et à Bordeaux. "Ici, on peut vraiment parler d’individualisation de la peine."

Le souci de l’individu semble aussi dominer le choix des activités des prisonniers. Équithérapie, cuisine, jardinage dans un petit extérieur aménagé et fleuri où gambadent quelques poules, les occupations sont variées, proposées en accord avec le profil des détenus. Le personnel prend des initiatives, propose par exemple des repas en commun.

Le travail et les études sont aussi très encouragés. "On va les chercher", affirme la directrice, qui insiste sur la volonté de faire progresser le parcours de chacun. La prison prend aussi des mesures plus sommaires comme la gratuité des lessives pour aider au quotidien ces détenus qui ont du mal à se prendre en charge et souffrent souvent d’incurie. L’établissement s’illustre par sa souplesse face à ces hommes inadaptés à la règle commune, avec un objectif : trouver le juste équilibre, un peu de calme au milieu d’une tempête qui persiste. Une infirmière le résume en ces mots : "ici, on soigne, on ne guérit pas."

C’est un lien un peu à part qui se noue entre ces murs anciens, trop anciens, qu’il faut aujourd’hui rebâtir. Un grand plan de rénovation de 20 millions d’euros annoncé au début de l’année devrait permettre de moderniser la prison. Un projet important, qui permettra de rattraper les normes actuelles, mais la nouvelle inquiète autant qu’elle réjouit. On craint plus de machines, d’automatismes, de systématisation, de bruit dans ce lieu au calme fragile, où tout se gère au cas par cas. Le personnel de la prison devrait voir se préciser les contours du projet dans les mois à venir. Comme toujours, il s’adaptera.

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