Des détenus d'un centre pénitentiaire remportent le Grand Prix Ilan Halimi avec une expo sur les stéréotypes racistes et antisémites

Créé en 2018, ce prix vise à mettre en avant des projets qui luttent contre le racisme et l'antisémitisme et à penser des solutions pour dépasser les stéréotypes. Le Grand Prix a été décerné à sept jeunes détenus du centre pénitentiaire de Liancourt dans l'Oise et le Prix du Jury a récompensé trois autres projets.

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"Un stéréotype n'est pas qu'une idée nauséabonde mais aussi une idée préconçue qui peut tuer". Les propos de Sophie Élizéon, déléguée interministérielle à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anti-LGBT ont le mérite d'être clairs.

Créé en 2018 par la DILCRAH (délégation interministérielle qui lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT), le Prix Ilan Halimi récompense chaque année des projets qui visent à faire avancer la société française sur les questions d'antisémitisme et de racisme.

C'est aussi une volonté de la famille d'Ilan Halimi, ce jeune Français de 23 ans enlevé, séquestré et torturé durant trois semaines en 2006, mort de la haine antisémite, à qui le titre du prix rend hommage.

Des jeunes du centre pénitentiaire de Liancourt récompensés

La remise du prix a eu lieu lundi 13 février - 17 ans jour pour jour après le meurtre du jeune homme - au ministère de la Justice de Paris. C'est le projet "Dans leurs yeux", réalisé par le centre scolaire du quartier mineur du centre pénitentiaire de Liancourt (Oise) qui l'a remporté.

Pour Jérôme Bouchain, référent éducation au centre scolaire du quartier mineur du centre pénitentiaire de Liancourt, la création du projet est née d'un constat : "depuis longtemps, en prison, j'entends des blagues à caractère raciste basées sur des stéréotypes. Et j'ai eu envie de travailler là-dessus, relate-t-il. Un jour, j'arrive en classe, je colle une caricature avec tous les attributs qu'on peut trouver sur les Corses - parce que je suis corse - et je leur ai dit : j'ai ramené une photo de moi".

Son geste crée la conversation dans la salle de classe. "Ils me disent : bah non, qu'est-ce que tu racontes ? Et ils me demandent d'expliquer". C'est ce qui lui permet alors de "mettre le pied à l'étrier" sur la question des stéréotypes racistes et antisémites.

Lui et les jeunes détenus commencent à travailler progressivement sur le sujet. "On s'est rendu compte que les stéréotypes sur les gens du voyage étaient les plus acceptés" et même intériorisés par les premiers concernés.

"On a aussi travaillé sur les Noirs, les Chinois et le Covid, sur les Juifs, note celui qui, à l'origine, est professeur d'EPS. L'objectif était de recenser tous les stéréotypes possibles et faire un lien avec l'Histoire". Chacun s'est occupé de plusieurs stéréotypes différents, "je les ai fait tourner".

Je leur ai dit qu’on pouvait parler et débattre de tout, dans le respect bien évidemment. Le but, c’est de libérer la parole. C'était difficile car il y a une forme de censure. En prison, on ne parle pas de tout car toutes les conversations des détenus sont écoutées.

Jérôme Bouchain

"Notre rôle, c’est de déconstruire"

À la même période, une de ses collègues, professeure en école élémentaire, lui fait part d'une idée de projet sur le harcèlement. "J'ai donc décidé de proposer à mes élèves détenus du contenu pédagogique pour d'autres élèves d'école élémentaire", poursuit Jérôme Bouchain. Un travail important de ressources et de recherches est effectué. C'est à ce moment que le projet "Dans leurs yeux" naît.

Ils conçoivent en un mois une exposition interactive de huit affiches avec des QR Codes qui renvoient à du contenu audiovisuel, un questionnaire et un quiz sur les préjugés racistes et antisémites. Intitulé "Déconstruisons", le quiz permet de savoir "si on est sujets à des stéréotypes et on se rend compte que tout le monde n'a pas forcément 20/20".

La réalisation visuelle du projet est confiée à une classe d’un lycée professionnel en graphisme de l’Oise, dans le cadre de travaux sur les préjugés. Puis le projet a été soumis à une classe élémentaire comme porte d’entrée à un projet plus global sur le harcèlement. "Le but du projet était de travailler sur les stéréotypes, et les deux dernières affiches se focalisaient sur les discriminations et les violences". Car dans beaucoup de cas, "les stéréotypes se transforment en violences".

Touchée par ces réalisations, la directrice de l'école élémentaire propose à Jérôme Bouchain de s'inscrire au prix Ilan Halimi. "On a été sélectionnés et on a remporté le trophée avec une bourse de 5 000 euros qui nous permettra de mettre en place une mallette pédagogique sur les stéréotypes qui va tourner dans les écoles à la demande des directeurs. Et si on peut créer un service civique autour de ça, ce serait génial".

Sophie Élizéon souligne que le soutien financier permet de "mettre en œuvre une autre action ou pérenniser une action déjà portée". Plusieurs lauréats continuent d'ailleurs d'être suivis par la délégation. C'est par exemple le cas du festival Vitrollywood (Bouches-du-Rhône) qui a remporté le prix en 2020 et qui continue de se poursuivre avec le partenariat de la DILCRAH.

"Ils se sont sentis utiles"

Jérôme Bouchain se réjouit des résultats produits par ce projet tout en restant mesuré. "Il y a toujours des jeunes détenus qui ont des stéréotypes. Mais ils ont tous appris beaucoup de choses sur l'histoire". Par exemple, certains n'étaient pas au courant de l'existence de zoo humains en France. "Un jeune nous a aussi appris que les Roms avaient été mis en esclavage en Roumanie, moi-même je ne le savais pas", avoue-t-il.

Les jeunes détenus, âgés de 17 à 18 ans, étaient "tous investis sur le projet", une "réussite" quand on sait que "l'école n'est plus obligatoire à partir de 16 ans". Le plus dur "a été de trouver des choses qui sortent de l'ordinaire pour les attirer hors de leur cellule, car un cours classique avec un manuel scolaire ne fonctionnerait pas dans ce contexte".

Ils ne pouvaient pas non plus travailler sur des projets sur l'année, car certains d'entre eux sont emprisonnés pour des courtes peines. C'est pourquoi "Dans leurs yeux" a été réalisé en quelques semaines seulement.

"Une grande valeur pédagogique"

Le jury était présidé par la romancière Emilie Frèche et composé de personnalités du monde du sport, de la culture, de l'éducation et de l'engagement. Les membres se sont dits touchés par "l'implication originale de jeunes détenus qui répond à une réalité : le racisme en prison".

Ils ont également "vu dans ce projet une grande valeur pédagogique et préventive et la possibilité de décliner le modèle (quizz, affiches)". Ils ont été "particulièrement sensible à la pluralité des publics impliqués au travail collectif entre ces publics qui normalement ne se croisent pas".

La remise des trophées de cette 5e édition s'est faite en présence d'Eric Dupont-Moretti, ministre de la Justice, Pap Ndiaye, ministre de l'Éducation nationale et de la jeunesse, de Rima Abdul Malak, ministre de la Culture et d'Isabelle Lonvis-Rome, ministre déléguée auprès de la Première ministre, chargée de l'Égalité entre les femmes et les hommes. 

Jérôme Bouchain regrette toutefois que les jeunes détenus n'aient pas eu l'autorisation de se déplacer pour recevoir eux-mêmes le prix.

Un prix du Jury pour trois autres projets

Le prix du Jury a aussi mis en avant d'autres projets. Parmi eux, le court-métrage "Les Xénophobes Anonymes" du centre social Simone Veil à Angerville (Essonne). Les jeunes ont traité le racisme et l'antisémitisme dans un court-métrage "comme une maladie avec la possibilité de trouver un remède et soigner le racisme", explique Widad, une des lauréates en ajoutant qu'ils se sont inspirés des Alcooliques anonymes.

Il a fallu deux ans pour le réaliser, entre l'écriture poétique et minutieusement travaillée, le tournage supervisé par le réalisateur de clip Kylian Kaki et le montage. "On le doit à la mairie d'Angerville et à Reda, l'animateur jeunesse et responsable du projet et du centre social", ajoute-t-elle.

Le "Petit musée pour la paix" de l'école élémentaire Joliot-Curie à Bagneux (Hauts-de-Seine) et "Autour de la mémoire d'Ilan Halimi" du lycée Jean Guéhenno à Saint-Amand-Montrond (Cher) ont aussi remporté le Prix du Jury.

À l'origine, un prix pensé localement

Au départ, le prix Ilan Halimi a été pensé de façon locale et territorialisé. Mais "dans le cadre du plan national contre le racisme et l'antisémitisme en 2018 mis en place par l'ancien Premier ministre Edouard Philippe, une des actions pour lutter contre les stéréotypes a été le déploiement de ce prix à l'échelle nationale", rappelle Sophie Élizéon.

Le but : engager les jeunes "scolaires et non-scolaires" sur des projets contre les stéréotypes racistes et antisémites. "C'est une volonté de la famille d'Ilan Halimi que cette histoire éclaire les jeunes sur les stéréotypes racistes et antisémites", rappelle-t-elle.

Pour candidater à la prochaine édition, il faudra répondre à l'appel à projets lancé "à chaque fin d'année N pour l'année N+1". Le Prix Ilan Halimi est ouvert à tous les jeunes de moins de 25 ans. Il n'y a pas de thème particulier. Tout projet collectif qui vise à combattre le racisme et l'antisémitisme est le bienvenu et peut être soumis au jury.

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