Construite dans les années 1920, à Saint-Quentin (Aisne), la cité Billion est depuis plusieurs années en attente de réhabilitation. Le projet sur la table prévoit de remplacer les maisons de style art déco par des appartements sociaux plus fonctionnels. Des habitants du quartier viennent de créér une association. Opposés aux travaux, ils militent pour sauvegarder intégralement la cité-jardin.
"Là, c'était la maison de mon beau-frère, là, c'était celle de la famille des Mantez et mon mari habitait ici, c'est comme ça qu'on s'est connu". Le doigt pointé en direction des maisons murées, Jocelyne Guézou se remémore ses années dans la cité Billion. Aînée d'une fratrie de six, elle y a vécu dans les années 50 et 60. "Je n'ai que des bons souvenirs ici, même si la vie était simple, explique-t-elle, on n'avait pas d'eau chaude, on n'avait pas de salle de bains, juste un grand poêle qui chauffait que le bas mais on était heureux."
Une cité-jardin emblématique
Comme pour Jocelyne Guézou, des centaines d'enfants ont grandi dans la cité Billion. Construite au début du XXe siècle, elle était surnommée la "cité des étalons", en référence aux familles nombreuses qu'elle accueillait. Un projet porté par Émile Billion, industriel saint-quentinois qui fît fortune dans le sucre et légua 3 millions de francs or à la ville. Seule exigence du bienfaiteur : qu'une cité soit bâtie à Saint-Quentin pour les ouvriers méritants.
"La volonté, c'était d'aller au-delà de l'utilitarisme des logements ouvriers, c'est bien plus que les corons que l'on trouve dans le Nord par exemple, explique Laurent Elie, membre de l'association Les amis de la cité-jardin Billion.L'objectif, c'était que des habitants vivent en communauté dans une cité-jardin."
Détruire 40 à 60% des maisons
Aujourd'hui, Billion n'est plus qu'une cité fantôme. Sa réhabilitation prévoit de ne garder qu'une douzaine de façades originelles et de détruire les 30 autres maisons. Mais pour Laurent Elie, un tel projet trahirait l'esprit de la cité. "Le fait de conserver l'intégralité, ça raconte une histoire. L'idée de la cité-jardin c'était pouvoir participer à la vie de la cité au-delà simplement d'être locataire ou utilisateur d'une maison."
Le projet de réhabilitation, porté par le bailleur Partenord, prévoirait de détruire 40 à 60% des maisons existantes et de faire coexister l'ancien avec le moderne. "C'est choquant, juge Edith Plantefève, présidente de l'association des amis de la cité-jardin Billion, cette cité fait partie de l'histoire de Saint-Quentin. Je trouve que la ville a la mémoire courte, car annuler un legs au bout d'un siècle, ça me paraît difficile à digérer." Habitante d'un autre quartier de Saint-Quentin, elle dénonce un "deux poids deux mesures" concernant la cité. Évoquant la rénovation d'une autre cité historique de la ville. "On aimerait connaître le fond du projet, savoir à quoi cela va ressembler et si les jardins vont être conservés."
Une descendante d'Émile Billion mobilisée
L'association a même rallié à sa cause Carole Debailleux, descendante d'Émile Billion. "Je suis émue de revenir ici, confie-t-elle, de voir ce qui se passe en ce moment, ça me fait très mal." Jusqu'à encore quelques années, sa mère possédait une maison dans la cité avant de déménager. "Quand elle voyait qu'elle se délabrait comme ça, c'était très difficile. Moi aussi j'ai mal au cœur quand je passe devant la cité." Lent et continu, le délabrement de la cité Billion aurait débuté dans les années 1980, lorsque la gestion des lieux a été confiée par la ville à un premier bailleur social. L'esprit Billion avait disparu : les locataires ne se sentaient plus tenus de participer à l'entretien des lieux.
Malgré son caractère unique, la cité-jardin n'a jamais été classée. Alors pour la défendre, l'association récemment créée organisera prochainement des visites commentées. La démolition de la cité Billion est censée commencer l'année prochaine.
Avec Marie Roussel / FTV