"Notre production laitière va être massacrée" : des agriculteurs craignent de voir leur exploitation traversée par une route nationale

Un projet de contournement de la route nationale 2 dans le nord de l'Aisne inquiète des agriculteurs. La route pourrait grignoter des terres agricoles, et même couper en deux une exploitation laitière.

L'essentiel du jour : notre sélection exclusive
Chaque jour, notre rédaction vous réserve le meilleur de l'info régionale. Une sélection rien que pour vous, pour rester en lien avec vos régions.
France Télévisions utilise votre adresse e-mail afin de vous envoyer la newsletter "L'essentiel du jour : notre sélection exclusive". Vous pouvez vous désinscrire à tout moment via le lien en bas de cette newsletter. Notre politique de confidentialité

Jean-Marie Compain regarde ses pâtures, dépité. Installé depuis plus de 35 ans sur le village de Sorbais, il craint de voir son exploitation défigurée par le projet de contournement de la route nationale 2. À l'heure actuelle, quatre scénarios ont été déterminés par la Direction régionale de l'Environnement, de l'Aménagement et du Logement (Dreal) pour cet aménagement. Dans trois d'entre eux, les pâtures de la ferme familiale de Jean-Marie se retrouveraient traversées par une 2x2 voies.

Des pâtures potentiellement sacrifiées

"Avec ma femme, on s'est battus pour avoir ce qu'on a aujourd'hui, on s'est privés, pas de fêtes, pas de dimanche, 7 jours sur 7. Je vais laisser ça à mes fils, mais je me demande si j'ai bien travaillé, parce que cette ferme qui tourne très bien va se retrouver impactée par une route en macadam, déplore-t-il. Notre production laitière va être massacrée !"

Une inquiétude partagée par son fils Damien, qui travaille avec lui sur l'exploitation d'un peu plus de 200 hectares. "Le projet de contournement passerait entre le corps de ferme de mes parents, où il y a la salle de traite, et le mien qui est à 300 mètres d'ici. La route passerait pile entre les deux. Pour le passage des bêtes, ça complique énormément !", explique l'éleveur.

Avec 160 vaches laitières et deux traites par jour, il se retrouverait contraint d'utiliser la bétaillère pour amener les bêtes d'un corps de ferme à l'autre, alors que le trajet se fait actuellement à pied. Et voir sa surface de pâture diminuée. "On est engagés dans l'AOP maroilles, notre lait sert à faire du maroilles, donc on a un cahier des charges à respecter, un nombre d'ares de pâturage par vache pendant un certain nombre de jours de l'année, avec la salle de traite qui doit être à proximité. On ne peut pas casser le parcellaire comme ça, il nous faut un certain nombre d'hectares autour du corps de ferme pour faciliter notre travail", précise-t-il. 

Cette route, j'en veux pas dans mes parcelles, mais pas celles de mes voisins non plus.

Damien Compain, éleveur

Selon les scénarios, le coût du contournement de cette route est estimé entre 100 et 130 millions d'euros. "Avec cette somme-là, ce serait plus simple d'aménager la route existante sans casser nos fermes d'élevage et sans trop abîmer la nature, estime Damien. Qu'on nous prenne du terrain sur le bord de la route existante pour faire une voie de doublement, d'accord. Mais casser un parcellaire, non, notre métier est déjà assez difficile comme ça. (...) Cette route, j'en veux pas dans mes parcelles, mais pas celles de mes voisins non plus !"

Un impact économique pour les exploitants

À cinq kilomètres de là, dans le village de Lerzy, Dominique Fauchart, éleveur bovin pour le lait et la viande, pourrait lui aussi subir les conséquences de ce contournement. "Je suis installé sur une petite exploitation de 52 hectares tout en herbe, je produis du lait en AOP maroilles. Moins de pâtures, c'est un impact économique, puisque je devrais réduire mon effectif et produire moins, explique-t-il. Et je suis impliqué par conviction dans la transition écologique, je voudrais inverser la balance, avoir un bilan carbone positif. J'ai besoin d'avoir des pâtures et des haies pour capter le dioxyde de carbone."

Christophe Coulon, vice-président de Région en charge des infrastructures de transport, assure qu'un "processus de compensation" sera établi dès lors que le tracé sera choisi. "Il n'y aura pas d'unanimité, c'est une évidence, il y aura toujours des gens impactés, mais l'idée, c'est de compenser cet impact du mieux possible, et surtout en direction des agriculteurs, afin de leur permettre de continuer leur activité". Il rappelle que le projet de contournement a pour objectif de "désenclaver le territoire et de connecter la Thiérache et l'Avesnois à des infrastructures routières importantes", mais assure que les craintes exprimées par les agriculteurs sont "un motif d'inquiétude fort légitime, que nous retrouvons dans tous les grands projets d'aménagement". 

Un risque accru d'inondations

Mais le projet pourrait avoir des conséquences au-delà des exploitations agricoles. Pour le maire de Lerzy, Jérôme Langhendries, les trois scénarios qui prévoient de traverser sa commune sont "une aberration". S'il est inquiet pour les conséquences sur les agriculteurs, il craint aussi pour les maisons du village, déjà sujettes aux inondations. "On est dans un petit village encaissé dans une vallée, le fait de mettre des fuseaux qui vont être en amont de Lerzy risquent d'entraîner des coulées de boue. On a déjà été reconnus en état de catastrophe naturelle, et il y a des maisons au centre du village qui sont déjà en zone inondable, précise-t-il. Nous avons la chance d'avoir des haies historiques. Une haie qui a 50, 80 ans a des racines très profondes. Quand la pluie rentre dans le sol, ces racines retiennent l'eau et la terre, ce qui limite les coulées de boue. Si vous arrachez ces haies, si vous imperméabilisez une certaine surface de terre, s'il y a des grosses pluies, ça arrivera dans les habitations et ça les mettra en péril."

Dans le document fourni aux habitants lors de la concertation publique, la Dreal indique d'ailleurs que les quatre scénarios auraient un impact "défavorable" à "très défavorable" sur les zones à risques d'inondation et les cours d'eau, ainsi que sur la consommation d'espace liée à l'artificialisation des sols. Par ailleurs, quel que soit le scénario choisi, l'impact sur les zones humides et sur la faune et la flore est considéré comme "très défavorable". 

Reste encore quelques semaines pour trouver le meilleur compromis possible. Le choix du tracé doit être rendu public au premier trimestre 2025.

Avec Paul Thiry / FTV

Tous les jours, recevez l’actualité de votre région par newsletter.
Tous les jours, recevez l’actualité de votre région par newsletter.
Veuillez choisir une région
France Télévisions utilise votre adresse e-mail pour vous envoyer la newsletter de votre région. Vous pouvez vous désabonner à tout moment via le lien en bas de ces newsletters. Notre politique de confidentialité
Je veux en savoir plus sur
le sujet
Veuillez choisir une région
en region
Veuillez choisir une région
sélectionner une région ou un sujet pour confirmer
Toute l'information