Après une année pluvieuse et peu ensoleillée, les récoltes sont mauvaises en Picardie. Les agriculteurs s'inquiètent d'autant plus que le prix de vente de leurs betteraves pourrait être revu à la basse avec l'entrée sur le marché de la concurrence brésilienne.
Dans ce champ de l'Oise, une partie des betteraves est déjà récoltée. Elles sont recouvertes de terre, mouillées et difficiles à nettoyer. Il faut dire que le soleil manque pour qu'elles sèchent. Alors, le camion qui les emmènera à la sucrerie sera plein de 15% à 20% de terre contre 10% les années normales.
"On a eu un excès de pluviométrie depuis quasiment un an. On a des fenêtres climatiques qui durent deux ou trois jours, alors dès qu’il fait beau, on récolte", raconte Jean-Pierre Jocelyn, éleveur-planteur qui s'inquiète du rendement de sa récolte. "Il va manquer au moins 10 tonnes, 10 à 15 tonnes même. On a des betteraves qui ont fait du feuillage et qui n’ont pas assez de sucre aux racines", dit-il.
Des pertes importantes
Alors que la récolte vient de commencer et qu'elle devrait durer jusqu'à janvier, l'agriculteur est défaitiste : "On sera à mon avis tout juste à l'équilibre".
C'est un constat partagé par l'ensemble des producteurs, comme l'affirme Alexis Hache, président de la Confédération générale des planteurs de betteraves. "On peut encore gagner un petit peu de rendement, mais la messe est dite, ce ne sera pas une bonne année. Les betteraves ne sont pas arrivées à maturité, alors on perd en poids et on perd en sucre. Normalement, on est autour de 17,5% de sucre et là, on est plutôt à 16%, voire en dessous de 16%. Cette année, on va perdre 1200 € de l'hectare. Dans ces 1 200, il y a un facteur marché et un facteur climatique, le climat, c'est 700 €".
Après des années trop sèches, les agriculteurs ont subi un an de pluie continue. Et, le mois de juillet n'a même pas fait exception. Les semis ont d'ailleurs pris trois semaines de retard.
Malgré ces conditions météorologiques délétères, une autre préoccupation est sur toutes les lèvres : "Les aléas climatiques, on y est habitués. Mais quand en plus, on est soumis aux aléas de marché, on a plus de garanties de prix.", observe Alexis Hache.
Des craintes liées au Mercosur
Une rumeur laisse penser que l'Union européenne signera bientôt le Mercosur, un accord de libre-échange avec différents pays d'Amérique du Sud. Les agriculteurs s'alarment : "Le Brésil, c’est le premier exportateur de sucre et d'éthanol au monde. Si l'Europe laisse rentrer ces sucres sur son territoire, on va être en porte-à-faux. On a déjà l’Ukraine qui pose un problème et maintenant, on va signer des accords avec le Brésil. D'ici à 2/3 mois ça va chauffer et les agriculteurs vont repartir comme l’année dernière."
L'accord est jugé déloyal par les agriculteurs picards puisque les produits qui proviennent de l'extérieur de l'Union européenne et sont soumis à des règles phytosanitaires moins exigeantes et moins coûteuses. "On a besoin d’avoir les mêmes conditions de production que ce que l’on importe", martèle-t-il.
Alexis Hache relève aussi ce qu'il considère comme des incohérences par rapport au discours européen : "Tout ce qui est fait au Brésil est fait sur la déforestation amazonienne et tout ça pour exporter des voitures allemandes qui consomment de l’énergie fossile."
Plus de souplesse exigée
Jean-Jacques Fatous, chargé de mission à la Confédération générale des planteurs de betteraves, réclame plus de souplesse dans les règles imposées par Bruxelles : "De manière générale, il faut assurer un niveau de production et la réglementation limite la quantité produite, et il faut bien assurer un niveau de production, pour assurer certaines recettes. Ces outils de protection des plantes permettent d’assurer un certain niveau de production et donc un niveau de revenu pour les producteurs et aussi surtout l’autosuffisance alimentaire de la France et de l’UE. Et puis, le risque avec ces produits importés et cultivés avec des normes phytosanitaires qui ne sont pas celles de l’UE, c’est la qualité qui est impactée et la santé des consommateurs".
Dans ce contexte de tensions entre politiques et agriculteurs, Michel Barnier souhaite éviter un deuxième volet de contestations. Pour ne pas reproduire les grèves de l'année dernière, il a reçu les représentants syndicaux du secteur dans la soirée du 23 octobre.