"On devrait déjà être en train de faire la moisson" : récoltes tardives, mauvais rendements, les agriculteurs mis à mal par le dérèglement climatique

Le changement climatique rend les saisons de plus en plus imprévisibles. Alors chaque année réserve son lot de surprises aux agriculteurs. Cet été, ce n'est pas la sécheresse qui menace leur culture, mais l'excès de pluie de ces derniers mois. Résultat : les moissons n'ont toujours pas commencé, et les projections sur le rendement sont déjà inquiétante.

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Vincent Guyot scrute ses épis de blés, la mine un peu défaite. Ils ne sont toujours pas arrivés à maturité. Les grains sont petits et l'humidité les a rendus vulnérables aux maladies. "C'est lié au manque de lumière qu'on a eu sur tout le cycle printanier du blé, et probablement à un excès d'eau. Tous les mois depuis qu'on a semé les blés en octobre, on a plus d'eau que la normale, et moins de lumière", déplore-t-il. 

Dans son exploitation d'Etaves-et-Bocquiaux, au nord de l'Aisne, il attend désespérément de pouvoir commencer la récolte. "On devrait déjà être en train de faire la moisson ! L'année dernière, on avait déjà démarré." Il table, au mieux, sur le 20 juillet. "Si l'été arrive enfin !, précise-t-il. Il faudrait quand même qu'on range les doudounes et les écharpes, on arrive au 10 juillet ! À la sortie de l'hiver, on pensait être en avance sur la moisson, et là, on se rend compte qu'on risque d'être en retard. Les saisons sont complètement décalées, et nous, complètement perturbés."

Une perte de rendement de 6% par rapport à 2023 dans les Hauts-de-France

Et à l'angoisse du retard de moisson s'ajoute l'inquiétude sur le rendement. Les experts ne sont pas optimistes. L'Agreste, organisme de statistique et de prospective du ministère de l'Agriculture, table sur une baisse générale du rendement du blé tendre pour 2024. Quelques régions devraient tirer leur épingle du jeu, comme le Grand Est et la Bourgogne-Franche-Comté. Mais dans les Hauts-de-France, on prédit -6% par rapport à 2023. Moins dramatique qu'en Pays de la Loire ou en Nouvelle Aquitaine, mais un coup dur quand même.

Les extrêmes climatiques, de plus en plus fréquents, rendent la production agricole plus compliquée.

Serge Zaka, agrométéorologue

D'autant qu'il s'agit d'une moyenne pour l'ensemble de la région, mais que certaines exploitations risquent de subir une perte bien plus importante. Bruno Cardot, céréalier et vice-président de l'Union des syndicats agricoles de l’Aisne, craint le pire pour les agriculteurs de son coin. "On croise encore les doigts, mais on nous annonce -10, -15%, minimum. Et il faut savoir qu'on a déjà semé 15% de moins parce que l'automne a été pourri !", regrette-t-il.

L'agrométéorologue Serge Zaka explique : "Les extrêmes climatiques, de plus en plus fréquents, rendent la production agricole plus compliquée. Les excès d'eau et le manque d'ensoleillement ont entraîné une baisse de la production des cultures d'hiver estimée de -4% à -22% en France. (...) Les excès d'eau entraînent des dégâts sur les cultures, des asphyxies racinaires, des proliférations de maladies ou la verse des épis. Le déficit d'ensoleillement entraîne un manque de photosynthèse et donc du remplissage du grain."

"J'ai peur de ce que je vais récolter, j'ai beaucoup d'appréhension"

Et on ne parle là que de quantité. La qualité du grain, elle aussi, est incertaine. "Je n'ai jamais été autant à reculons pour monter dans ma moissonneuse batteuse, confie Vincent Guyot. J'ai peur de ce que je vais récolter, j'ai beaucoup d'appréhension. (...) C'est difficile d'estimer la qualité avant la moisson, mais on compte aussi sur les industriels pour s'adapter à la qualité qu'on va rentrer cette année. Tous les ans, c'est le même défi, on fait ce qu'on peut pour rentrer la meilleure quantité et la meilleure qualité, on espère que nos partenariats historiques avec les industriels locaux permettront de trouver les réglages nécessaires sur les outils industriels pour valoriser la moisson 2024."

On voit que le résultat ne sera pas à la hauteur de ce qu'on a fait tout au long de l'année.

Vincent Guyot, céréalier dans l'Aisne

La situation le désespère. "Il y a un rendement critique, c'est le rendement en dessous duquel j'aurais travaillé pour rien. Et j'ai bien peur que cette année, on y soit."

Qu'il s'agisse des sécheresses ou des pluies excessives, les phénomènes météorologiques posent de plus en plus de difficultés aux agriculteurs. Leur intensité et leur imprévisibilité mettent parfois les exploitants devant le fait accompli, balayant leurs efforts. "On a bossé toute l'année, on a lutté toute l'année pour semer, nourrir, protéger nos cultures, on a fait tout ce qu'on a pu. Et on voit que le résultat ne sera pas à la hauteur de ce qu'on a fait tout au long de l'année", s'agace le céréalier, qui est déjà déconfit face de son rendement sur l'orge d'hiver. "On a récolté les orges d'hiver hier et avant-hier, avec des pailles très très vertes et du grain sec. Une énorme déception." Il espère pouvoir le destiner à la production de bière, mais craint de devoir le rediriger vers la nourriture pour bétail. 

Évoluer pour faire face

Pour Bruno Cardot, il est évident que le secteur agricole doit s'adapter au changement climatique pour éviter de multiplier les années comme celles-ci. Mais il estime que l'État doit accompagner le secteur agricole dans sa transition. Et pas nécessairement par des aides financières ou des subventions. "On ne court pas après les aides, assure-t-il. Ce qu'on veut, c'est vivre de notre travail. Un revenu, c'est un rendement multiplié par un prix, moins les charges. Donc, il faut faire ce qu'il faut pour baisser les charges, avoir des prix stables et des rendements corrects. Pour cette transition, il va falloir beaucoup d'argent, ce n'est pas un gros mot. Si je gagne de l'argent, je pourrai investir dans les transitions." Il aimerait aussi que la recherche et la législation avancent sur les semences génétiquement modifiées. "Je rêve d'avoir une semence qui soit tolérante aux excès d'eau comme cette année, tolérante aux maladies, tolérante à tout", assure-t-il.

Vincent Guyot est, lui aussi, convaincu que l'agriculture doit s'adapter à ce dérèglement, mais se sent parfois un peu impuissant. "On essaie de s'adapter par des techniques culturelles, par des variétés, on est beaucoup aidés et suivis pour trouver des techniques d'adaptation au réchauffement climatique. Mais j'ai quand même l'impression que le réchauffement climatique va beaucoup plus vite que ce qu'on arrive à faire en termes d'essai et d'adaptation sur nos fermes, et parfois, on est rattrapés", constate-t-il. 

D'après l'Agreste, c'est toute l'Union européenne qui est touchée par la baisse des rendements de blé tendre cet été. L'organisme estime une production de 122 millions de tonnes en 2024, soit 5 millions de moins qu'en 2023. Mais c'est bien pour la France qu'on annonce la baisse la plus importante.

Avec Ambre Croset / FTV 

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