Changement climatique : et si la Côte d'Opale était "the place to be" ?

La Côte d'Opale, territoire adapté au changement climatique ? C'est ce que laisse entendre l'autrice Sophie Loubière, qui a choisi de placer l'intrigue de son roman "Obsolète" en 2224 sur le littoral du Nord - Pas de Calais. Les scientifiques confirment. Sous réserve de mettre en place des stratégies, comme celles déjà adoptées à Dunkerque, le rivage de la Manche pourrait même être l'un des seuls lieux de vie supportables dans 200 ans. Explications.

Dans son livre Obsolète, dont l'intrigue se déroule en 2224, Sophie Loubière explore le concept de l'obsolescence programmée des femmes qui, à 50 ans, disparaissent pour un endroit inconnu. Elle imagine un monde de pénuries, dans lequel l'humanité se serait adaptée, et a choisi de placer son intrigue sur la Côte d'Opale, qu'elle imagine mieux adaptée aux conséquences du changement climatique que d'autres régions.

Pour écrire un livre sur la condition féminine dans 200 ans, Sophie Loubière n'a pas eu d'autre choix que de tenir compte du changement climatique. "En choisissant de mettre mes pas dans ceux de spécialistes, sociologues et autres scientifiques ayant abordé le sujet, explique-t-elle, j’ai pu inscrire mon récit dans une matière infiniment riche, documentée et inspirante. J’ai aussi effectué des recherches ayant trait à notre passé car pour définir demain il faut être capable de comprendre comment d’hier nous sommes passés à aujourd’hui."

Deux ans de recherches

Le livre a demandé deux ans de préparation et de recherches. Il fallait non seulement bâtir une intrigue mais aussi créer un décor, des technologies (comme Maya, une IA qui veille au bien-être de chacun), un nouveau lexique, définir la nourriture, les métiers, les croyances, mais aussi l'environnement et le climat. Un monde tellement réaliste que l'on s'y projette sans peine et qui fait penser à ceux racontés dans 1984 de George Orwell ou encore Ravage, de René Barjavel.

Dans le roman, depuis "le grand effondrement de la civilisation fossile", l'humanité a dû s'adapter, économiser les ressources, se protéger du soleil, ou encore modifier son habitat. L'héroïne et sa famille vivent ainsi dans un village "en forme de spirale comme un coquillage. Son plafond de toiles d’ombrage photovoltaïque […] protège du rayonnement électromagnétique." Partout, des arbres à pain, des papayers, des palmiers et des bambous qui servent de clôture naturelle. "Des bâtiments cylindriques, couchés sur une esplanade couverte du même bois que celui dont étaient gainées leurs structures, jalonnaient le chemin de bitume végétal. Tous possédaient une terrasse en paliers qui occupait la largeur de la façade, abritée du vent sous un débord de toit."

La Côte d'Opale devrait dans 200 ans bénéficier d'un climat supportable.

Sophie Loubière

Autrice du roman "Obsolète"

Et tout cela se passe sur la Côte d'Opale, seul endroit plausible selon l'autrice pour ancrer l'histoire en France. "Les secteurs encore habitables du pays dans deux siècles ne seront pas nombreux, affirme-t-elle. Avec une augmentation du niveau des océans de 6 à 8 mètres, beaucoup de villes et une grande partie du littoral seront submergées. Les régions au sud de Lyon seront désertées car trop chaudes et infertiles. L’est de la France sera la proie à de nombreux feux de forêts. La Côte d’Opale, à la condition que des choses soient mises en place afin de protéger les falaises de l’érosion et les terres de la montée des eaux, sera, elle, relativement protégée et bénéficiera d’un climat supportable et semi-équatorial, rafraîchi par l’air marin."

Marie-Hélène Ruz est géomorphologue, elle étudie l'évolution des littoraux au laboratoire d'océanologie et de géosciences de Wimereux. Elle confirme que "lorsqu'on se projette à l'horizon 2100, dans des endroits comme le Nord ou la Bretagne, on ne souffrira pas de canicules ni de températures excessives. On donc peut imaginer qu'il y aura dans ces régions des afflux de population, même si l'on subira certainement plus de pluies, surtout l'hiver. Car comme l'océan se réchauffe, il y a plus d'évaporations, donc de précipitations."

En plein dans l'actualité

Obsolète résonne avec l'actualité, le réchauffement climatique aussi bien que les guerres liées à des courants religieux, le féminisme ou même le "réarmement démographique" réclamé aujourd'hui par Emmanuel Macron. Ainsi, le monde de 2224 est contraint d'adopter le tout recyclage. Y compris celui des femmes de plus de 50 ans, retirées de leurs foyers pour laisser la place à des plus jeunes, encore fertiles. Car le grand enjeu, c'est la survie de l'espèce.

"Il est clair, sourit Sophie Loubière, que j’ai mis dans le mille en abordant le sujet de l’infertilité : la pollution engendrée par les perturbateurs endocriniens contenus notamment dans les matières plastiques et les dérivés de pétrole, a déjà des conséquences désastreuses sur la population humaineLes facteurs environnementaux, sans qu’on le sache, sans le vouloir, et même sans le savoir, nous y sommes exposés."

"Le point le plus alarmant de tous est, de mon point de vue, la féminisation des fœtus pour toutes les espèces, en particulier celle de l'homme. Et il est au cœur du sujet d'Obsolète. Dans deux siècles, nous serons plus nombreuses que le peu d’hommes non stériles."

L'écologie est la seule option possible pour la survie de l’humanité.

Sophie Loubière

Autrice du roman "Obsolète"

Les dunes, un atout majeur de la Côte d'Opale

Pour l'autrice, "l'écologie est la seule option possible pour la survie de l’humanité". Cela passe par des choix radicaux qu’il est possible de faire dès maintenant. Et c'est ce qui se passe sur la Côte d'Opale. Si certains scientifiques travaillent sur l'évolution des falaises, comme l'emblématique site classé du Cap Blanc-Nez, Marie-Hélène Ruz, elle, est spécialiste des littoraux sableux, c'est-à-dire les plages et les dunes. 

"Dans les Hauts-de-France, se réjouit-elle, le littoral a vraiment été préservé. On a des massifs dunaires très larges qui s'étendent jusqu'à deux kilomètres à l'intérieur des terres, pour la plupart propriétés du Conservatoire du littoral ou de l'ONF. Nos dunes sont un atout majeur par rapport aux autres régions. Partout, le littoral est urbanisé. Sauf sur la Côte d'Opale."

Dans les Hauts-de-France, le littoral a vraiment été préservé.

Marie-Hélène Ruz

Géomorphologue

Des phénomènes exceptionnels et rares qui seront de plus en plus fréquents

"Bien sûr, il y a des stations balnéaires pour lesquelles on a rasé les dunes pour s'installer très près de la mer, trop, même, précise Marie-Hélène Ruz. Comme à Merlimont, Hardelot, Wissant, Bray-Dunes ou encore Malo-les-Bains. S'il n'y a pas d'urbanisation, il n'y a pas d'enjeux. La politique est de laisser évoluer le littoral naturellement. Dans les stations balnéaires en revanche où l'on trouve la plus grande centrale nucléaire d'Europe, des ports comme Calais, premier port de voyageurs d'Europe continentale, et Boulogne-sur-Mer, premier port de pêche français, les enjeux sont importants."

"Depuis le début du XXe siècle, la mer s'est élevée de 20 centimètres un peu partout. On parle de 20 centimètres sur un siècle, mais depuis les années 90, on a déjà 10 centimètres d'élévation. Ça s'accélère. Pendant les épisodes extrêmes de tempête, au fur et à mesure que le niveau de la mer monte, le niveau atteint par les vagues de tempête augmente aussi. Ces phénomènes sont considérés comme exceptionnels. Mais on estime que d'ici à 2100, on en recensera tous les ans."

Dunkerque : un modèle d'adaptation avec la digue de Malo-les-Bains

Hors de question d'attendre une prochaine tempête Xynthia pour réagir. Pour Marie-Hélène Ruz, "dans les secteurs à enjeux faibles, c'est-à-dire sans population ni entreprises, on a dans le futur la possibilité de reculer. On ne recule pas une ville, on la protège." En la matière, Dunkerque est exemplaire.

"Ils ont protégé leur littoral, détaille la géomorphologue, grâce au rechargement en sable, à l'image de ce qui se fait en Belgique ou aux Pays-Bas. On récupère du sable dans les chenaux de dragage pour créer une grande étendue qui n'existait pas. Ce système permet de protéger les quartiers bas de Dunkerque. La digue, potentiellement à risque, n'est plus touchée par les tempêtes."

Et puis, la digue promenade a été rehaussée, en tenant compte de l'augmentation du niveau de la mer, et un mur de protection anti tempête de 60 centimètres a été installé. "On ne s'en rend pas compte car pour le grand public, c'est du mobilier urbain. Il s'agit en réalité d'un système anti tempête qui a pris en compte l'élévation du niveau de la mer. Ce qui est intéressant, c'est que cela a été anticipé et fait dès maintenant. Dunkerque est pionnier en la matière."

Lampes en pelure d'orange, accumulateurs d'énergie solaire : des technologies qui existent déjà

Sur le blog qu'elle consacre au roman et qui en dévoile les coulisses, Sophie Loubière donne des exemples d'autres initiatives qui fonctionnent, mais aussi de nouvelles technologies en lien avec le climat, comme l'accumulateur d'énergie solaire. "C'est l’une des inventions actuelles les plus révolutionnaires : un objet de la taille d’une boîte à chaussures qui a la capacité de stocker l'énergie solaire durant des mois, voire des années. Il existe et pourrait être intégré à chacun de nos logements alimentés par des panneaux photovoltaïques posés sur le sol, sur les toits, ou par des filaments intégrés au verre de nos fenêtres pour les appartements."

"De la petite cuiller qui se mange à la culture de la sylphide perfoliée, une plante mellifère qui résiste à tout, peut servir de fourrage, de paillage comme de combustible, les solutions existent déjà." Voiles d'ombrages végétalisés, climatiseurs naturels en bambou, écodigesteur d'appartement, rameur à eau, lampe en pelure d'orange ou encore tee-shirt autonettoyant fabriqué avec un tissu en fil de cuivre qui provoque la décomposition continue des bactéries... Les références dans le livre sont nombreuses.

Les algues sont un trésor qui nous sauvera.

Sophie Loubière

Autrice du roman "Obsolète"

Y est abordée également la question de l'alimentation. Plus de café ni de thé, place aux algues. Des tisanes, tartares et chips aux algues marines existent déjà. "Considérées à tort comme une pollution alors qu'elles n'en sont que le symptôme, les algues nous offrent en réalité un champ d'innovation infini et des solutions concrètes pour répondre aux grands défis de notre époque."

"Les algues peuvent servir à nourrir les hommes, remplacer le plastique, décarboner l'économie, refroidir l'atmosphère, nettoyer les océans, reconstruire les écosystèmes marins, nous soigner (cosmétique, santé), servir de matériaux de construction... Ce trésor nous sauvera." On en revient à notre littoral des Hauts-de-France. Avec 190 kilomètres de côtes, c'est une source inépuisable d'algues.

Le bracelet modérateur d'humeur, un concept innovant

Si 90% des inventions présentes dans le roman existent déjà, Sophie Loubière a créé une innovation de toutes pièces, qu'elle a baptisée BMH, pour bracelet modérateur d'humeur. "Il agit sur nos hormones et abrase les pics émotionnels négatifs (pulsion violente, colère, jalousie, pulsion sexuelle…)."

"La personne ressent l’émotion mais reste capable de la maîtriser. Ce bracelet m’a été inspiré suite à une visite chez mon endocrinologue et un traitement hormonal qui a changé ma vie. On l’ignore, mais nos hormones commandent à l’ensemble de notre corps, cerveau compris. Mon invention pourrait éviter pas mal de conflits, de violences, de traumatismes familiaux et de féminicides, si elle existait."

Un scénario optimiste

Bien que la Côte d'Opale soit confrontée à des défis environnementaux majeurs, elle pourrait devenir un lieu de vie intéressant dans un siècle, à condition de s'adapter de manière innovante et durable au changement climatique. Cela nécessitera une transformation profonde de l'aménagement du territoire, des modes de vie et des activités économiques, faisant potentiellement de cette région un modèle de résilience côtière pour d'autres zones littorales dans le monde.

"Ce que je décris dans le livre est probablement un scénario optimiste, tempère Sophie Loubière. Cela signifie que si l’on continue à ne rien faire, à ne pas limiter nos émissions de gaz à effet de serre au strict minimum, à polluer les mers, à empoisonner l’eau et nos terres (engrais chimiques, dégradation des plastiques…), à ratisser les fonds marins, piller nos ressources, détruire des écosystèmes, raser des forêts, consommer de la viande bovine d’élevage intensif, et à ne pas passer d’urgence aux énergies renouvelables, ce sera pire."

"Malheureusement, tant qu’il sera question de pouvoir et d’argent, de possession et d’enrichissement, tant que les banques financeront l’énergie fossile plutôt que de l’énergie renouvelable, il sera difficile de faire bouger les choses. Mais je crois au pouvoir d'adaptabilité de l'Homme. C'est, jusqu'à ce jour, ce qui l'a toujours sauvé."

Finaliste du Grand Prix des lectrices ELLE en catégorie polar, Obsolète reçoit un accueil enthousiaste de la presse et des lecteurs. La scientifique Marie-Hélène Ruz, intriguée, a d'ores et déjà prévu de le lire cet été. Pourquoi pas vous ?

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