Des injections forcées, un exercice de la psychiatrie "plus coercitif que soignant", des cellules jonchées d'ordures dans lesquelles se tiennent des détenus en état de "prostration": un rapport dénonce des conditions de détention indignes à la maison centrale de Château-Thierry (Aisne).
Les émissaires de la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté (CGLPL) Adeline Hazan ont visité à deux reprises en 2015 cette prison qui accueille des personnes "inadaptées à la détention ordinaire", mais qui ne sont pas prises en charge en milieu hospitalier.
Le rapport, publié fin juillet mais passé relativement inaperçu, dénonce un "exercice de la psychiatrie plus coercitif que soignant et contraire à la déontologie" au sein de la maison centrale.
Selon le document, 80 à 90% des 74 détenus qui s'y trouvaient au 30 mars 2015 "relèveraient de l'hôpital psychiatrique" s'ils étaient libres, en raison de leurs états psychotiques graves.
Injections forcées et boucliers, odeurs pestilentielles
Les contrôleurs ont constaté le recours "fréquent" à une "pratique illégale" depuis 2011: les injections forcées, avec l'aide de surveillants équipés de tenues pare-coups et de boucliers.
Ils donnent l'exemple d'un patient pour qui une telle piqûre a été "prescrite et réalisée sans qu'un médecin ne l'ait ausculté ni même rencontré". Un détenu leur a confié: "Je ne dis rien, je ne revendique pas, par crainte d'être piqué".
Les contrôleurs décrivent également une équipe sanitaire insuffisante et "livrée à elle-même". "Aucun psychiatre n'est présent les mardis, jeudis et vendredis matin. Le chef de pôle, censé assurer une consultation d'addictologie par semaine, a vu douze patients en 2013 et aucun en 2014. Il ne se rend que très exceptionnellement" dans la prison, lit-on dans le rapport.
Le document contient par ailleurs des photos de cellules jonchées de détritus, occupées par des personnes en état "d'incurie, voire de prostration". Les contrôleurs ont aussi relevé des "odeurs pestilentielles".
"Double peine"
La situation des détenus atteints de troubles psychiatriques en France fait régulièrement l'objet de publications critiques. En 2006, le Comité consultatif national d'éthique avait réclamé que "la prison ne se substitue plus à l'hôpital psychiatrique", et en 2016 l'ONG Human Rights Watch avait dénoncé la "double peine" infligée aux personnes incarcérées et souffrant de troubles psychiques.
"Il existe des possibilités d'aménagement ou de suspension de peine" en cas de maladie mentale, indique François Bes, de la section française de l'Observatoire international des prisons (OIP), "mais ce n'est pas utilisé, on maintient en détention."
L'OIP estime que "plus de 20% des personnes incarcérées sont atteintes de troubles psychotiques", et que "le taux de pathologies psychiatriques est 20 fois plus élevé en prison que dans la population générale."