Les mineurs de moins de 15 ans n'ont plus le droit de circuler seuls dans trois quartiers de Saint-Quentin du 1er juillet au 1er septembre. La mesure, défendue par la mairie, mais aussi la préfecture et la procureure, ne rencontre pas que des enthousiastes.
Entre 23 heures et 6 heures, les mineurs de moins de 15 ans seront interpellés s'ils sont seuls dans les rues de Saint-Quentin dans l'Aisne. Ce nouveau couvre-feu a fait l'objet d'une concertation en ligne. Sur 3100 votants, 97% étaient pour.
Cette décision a été prise après avoir regardé "ce qui se passait sur le plan français avec l'augmentation des mineurs" dans les mis en cause en matière de délinquance. "On a cherché à savoir s'il y avait la même difficulté dans notre circonscription et, effectivement, depuis le début de l'année, on a un nombre de mineurs plus importants dans les mis en cause", explique Frédérique Macarez, maire LR de la ville.
"La sécurité de mes concitoyens m'intéresse"
Si la sécurité reste une responsabilité de l'État, l'édile explique être préoccupée par celle de ses concitoyens. Elle a tenté de trouver un moyen d'agir sur la question des mineurs. "Nous signons avec Madame la procureure du travail d'intérêt général à partir de 13 ans. Ça y est, les choses sont opérationnelles, se réjouit-elle. On pourra accueillir des mineurs sur une mesure éducative extrêmement importante."
Quant au couvre-feu, "il y a quelques villes en France qui le font, ça m'a semblé intéressant. Je l'ai fait tester auprès des parents pour savoir s'ils adhéraient à cela, puis il y a eu une consultation de la population qui a obtenu un résultat à 97% favorable sur le sujet". C'est pourquoi, elle et ses partenaires - en premier lieu, le commissariat, le parquet et la préfecture - ont décidé de se lancer.
Des jeunes qui ont moins de 15 ans, quand ils sont dehors très tard, ce n'est pas les protéger que de les laisser être dehors très tard. Il faut absolument agir.
Frédérique Macarez, maire de Saint-Quentin
Comment ça se passe, concrètement ? Si un ou plusieurs mineurs de moins de 13 ans sont aperçus seuls dans les rues après 23 heures, ils sont emmenés au commissariat et les parents doivent obligatoirement venir le chercher. "Il peut y avoir une convocation au tribunal de police, c'est ce que Madame la procureure a proposé, parce qu'il faut rappeler à chacun ses obligations."
Elle précise : "nous, on vient en prévention, on vient en curatif et on fait énormément pour la jeunesse à Saint-Quentin. Mais il n'est pas question non plus de se laisser gêner par des personnes qui n'ont pas envie de laisser la population tranquille et en sécurité".
Trois quartiers ciblés
Cet arrêté de couvre-feu concerne trois quartiers : le centre-ville, Neuville et Europe. "C'est l'obligation légale. En France, on ne peut pas prendre une mesure sur l'ensemble de la ville. Si c'était possible, je l'aurais fait les deux pieds dedans", assure Frédérique Macarez.
Pour que l'arrêté soit validé, il faut le motiver par des statistiques, avec des éléments concrets. Le quartier du centre-ville a été choisi car "c'est là où il y a le plus d'activité". Europe et Neuville, quant à eux, ont été ciblés parce que "la jeunesse y est très importante".
Ce sont des faits de voie publique : dégradations, incivilités de tout ordre. Ça peut aussi parfois être pire. On peut retrouver des jeunes, très jeunes, sur du cambriolage. Ça peut aussi être lié aux trafics. Donc à 23h, de toute façon, ils n’ont rien à faire dehors.
Frédérique Macarez, maire de Saint-Quentin
Une "violation" de l'article 13 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen
Julien Calon, élu de l'opposition, conteste ce couvre-feu même s'il reconnaît qu'il s'inscrit dans un contexte d'augmentation de la délinquance chez les mineurs. "Ça fait depuis 2023 qu'on observe au niveau national et local une recrudescence de faits de délinquance chez les mineurs. Pendant 10 ans, c'était stable, ça avait régressé", indique-t-il.
L'élu constate qu'à Saint-Quentin, la répression est davantage privilégiée, mais la municipalité ne chercherait pas à comprendre les causes. "Il y a un contexte social, familial. Je ne dis pas qu'il excuse, mais il circonstancie ces faits de délinquances".
Ce processus de réparation (les travaux d'intérêt général) peut être une proposition intéressante, mais il faut agir sur les causes : le contexte familial, les inégalités... Un travail sociologique n’est pas fait. La droite et l’extrême droite ne veulent pas le faire.
Julien Calon, élu d'opposition
Il affirme avoir demandé à Frédérique Macarez si elle interrogeait les familles sur ces faits de délinquance de mineurs et quels profils revenaient régulièrement. "Elle ne m'a pas répondu, ça ne l'intéresse pas. C'est ça que je reproche à cette droite : d'être trop sécuritaire, trop répressive et ne pas être sur la question de la prévention, d'essayer de travailler sur les causes", regrette l'élu.
Sur le fond, il rappelle que ce couvre-feu "viole l'article 13 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen qui stipule que toute personne peut circuler librement sur le territoire", à l'exception de cas d'extrême urgence, comme le confinement pendant la crise sanitaire, par exemple.
Une absence de contexte
Julien Calon estime qu'il aurait fallu organiser un débat avec toute la population de Saint-Quentin. Il pointe aussi du doigt la manière dont la maire et l'équipe municipale ont consulté la population il y a deux semaines, par sondage en ligne. "Sur une question aussi grave que la liberté de se déplacer, un sondage aussi simple avec oui ou non comme réponses, sans élément qui permette d'étayer cette prise de position, c'est très inquiétant au niveau du débat démocratique".
Il précise qu'en tant qu'élu et citoyen, il s'inquiéterait si son enfant était seul dehors le soir. "Je pense qu'on doit s'interroger, ça nécessite des discussions, des assemblées dans les centres sociaux, les salles municipales", note-t-il.
Si le mineur est responsable à 13 ans, il n’a qu’à aller voter ! On est en train de faire sauter des limites encore une fois. On a affaire à des enfants et je pense qu’il faut prendre des précautions. Les droits de l’enfant sont importants. C’est là-dessus qu’il faut travailler.
Julien Calon, élu d'opposition à Saint-Quentin
Sur la forme, il se pose de nombreuses questions : comment cela va se passer ? Des amendes seront-elles dressées pour les parents ? Lui propose plutôt d'accompagner le mineur chez lui, sans passer par la case commissariat ou tribunal, et essayer de discuter avec les parents sur leurs relations familiales. "Je pense qu'il faut être sur quelque chose d'apaisé et ce n'est pas le climat qui est instauré ici".
Julien Calon voudrait notamment le retour d'une police de proximité, supprimée par Nicolas Sarkozy en 2003 lorsqu'il était ministre de l'Intérieur. "Je pense que c'est quelque chose qui permettrait d'avoir un climat plus sain".
La ligue des droits de l'Homme doit rencontrer la municipalité la semaine prochaine. Le couvre-feu est, quant à lui, en vigueur jusqu'au 1er septembre.
Avec Claire-Marine Selles / FTV