Tout au long du mois de mai, notre journaliste Jean-Paul Delance revient sur les événements de la Seconde Guerre mondiale qui ont marqué la Picardie, il y a 80 ans. Il nous raconte ici comment le capitaine de Hautecloque est devenu le maréchal de France Leclerc de Hautecloque.
De Gaulle et Leclerc : deux noms indissociables de la tourmente de la Seconde Guerre mondiale. Mais aussi deux noms symboles de l'esprit de résistance de la France face à l'ennemi. Le premier voit le jour dans le Nord, le second dans la Somme.
C'est dans ce département qu'il fait ses études, au collège de la Providence d'Amiens. Descendant d'une vieille famille dont les origines remontent au Moyen-Âge, il vit avec sa femme et ses six enfants au château de Tailly l'Arbre à Mouches à l'ouest de la capitale picarde.
Il a 38 ans quand, le 10 mai 1940, les Allemands envahissent la Belgique et la Hollande. Capitaine, il est affecté à l'état major de la 4ème division d'infanterie. Aventurée en Belgique, celle-ci est contrainte au repli et se retrouve bientôt encerclée dans Lille.
Le 28 mai, notre jeune officier demande au général Musse, son supérieur, l'autorisation de tenter sa chance en s'échappant. Autorisation accordée. Au sud de Lille, il est contraint de se cacher dans un champ de seigle pour éviter le va-et-vient des colonnes motorisées allemandes. Dans la nuit, il reprend sa progression vers le sud.
Le 29, il stationne dans un bois. À la tombée du jour, profitant de l'obscurité, il atteint Ostricourt dans le Nord où on lui demande de disparaître sous peine d'être dénoncé à la kommandantur. Le matin, dans une maison abandonnée, il trouve une blouse ainsi qu'une bicyclette. Il se débarrasse alors de ses effets militaires et se dirige vers Saint-Quentin, dans l'Aisne.
Échapper aux Allemands
Le 31, à Wallicourt, il est arrêté. Trahi par la présence dans ses papiers d'un mandat de l'école de guerre où apparaissent son nom et son grade, il est alors envoyé pour interrogatoire à Bohain-en-Vermandois avec d'autres prisonniers. Une négligence allemande va pourtant changer son destin.
Aucune fiche le concernant n'a été remise au chauffeur et ses effets sont dans un sac qu'il réussit à ouvrir.
Sans être repéré, il s'empare de son portefeuille et fait disparaître le papier compromettant.
À Bohain, il assure être réformé et devoir rejoindre sa femme et, insiste-t-il, ses six enfants. Le colonel allemand qui l'interroge s'étrangle et dit à son adjoint : "Que dites-vous d'une nation où l'on est plus tenu de défendre son pays parce que l'on a six enfants ?"
Relâché, notre Picard reprend sa route. Sans carte, il s'oriente dans l'obscurité grâce à l'étoile polaire. Dans la nuit du 3 au 4 Juin, il échappe à plusieurs patrouilles ennemies. À 6 h du matin, à Flavy-le-Martel, il aperçoit enfin des Français et se fait reconnaître…
Retour au combat
L'histoire aurait pu s'arrêter là, mais le capitaine de Hauteclocque n'entend pas baisser les armes. Il reprend le combat le 15 juin en Champagne où il est blessé et fait à nouveau prisonnier. Le 17, il parvient à s'évader et rejoint sa famille en exode à Libourne avant de gagner l'Angleterre par l'Espagne et le Portugal.
La suite de son épopée militaire dépasse largement les limites de ce récit et le cadre de la Bataille de France.
Il me reste juste à conclure par une explication. Pourquoi "Leclerc" ? Pour continuer à combattre, il adopte ce nom très commun en Picardie dans le but de masquer sa véritable identité et préserver les siens, restés en France, d'éventuelles représailles allemandes.
Un décret officiel du 17 novembre 1945 autorise notre héros picard à s'appeler désormais Philippe "Leclerc" de Hauteclocque.
C'est sous ce patronyme qu'il est élevé à la dignité de Maréchal de France. Hélas, à titre posthume, sa mort étant survenue en 1947 en Algérie, dans un accident d'avion. Il avait 45 ans.