Le 20 mai 1940, alors que des populations réfugiées de Belgique, de Hollande et du Nord de la France passent par Abbeville pour fuir les Allemands, la ville, qui n'est pourtant pas un lieu militaire stratégique, est bombardée. Le bilan humain sera très lourd : on parle d'au moins 2 500 morts.
Mai 1940. Depuis plusieurs jours à Abbeville, la panique gagne la population civile. Une véritable cohue envahit les rues de la capitale du Ponthieu. Des milliers de réfugiés fuyant la Belgique, la Hollande et le nord de la France tentent de rejoindre la Normandie, le Val de Loire et la Bretagne en longeant la côte.
Le 19 mai, les Allemands sont déjà aux portes d’Amiens et ne vont pas tarder à s’en rendre maîtres. Pour les civils embarqués dans la tourmente de l’exode, il ne reste plus qu’une possibilité pour franchir la Somme : les ponts d’Abbeville encore intacts.
L'exode des populations venues du nord
Chacun est parti avec ce qu’il possède de plus précieux. On voit alors dans la cité s’agglutiner des files impressionnantes d’équipages hétéroclites. Les familles les plus chanceuses et les plus riches ont une voiture sur laquelle on a empilé des matelas. Mais faute d’essence, il faut parfois se résoudre à l’abandonner et finir à pied. Pour les populations des campagnes, ce sont souvent les charrettes à foin tirées par les chevaux ou les bœufs qui font office de moyens de transport. Il n’est pas rare d’y voir entassées 3 ou 4 générations d’une même famille. Cette situation confuse et chaotique va bientôt se révéler mortelle pour tous ces civils fuyant les combats.
Les bombes déciment Abbeville
Le piège se referme le 20 mai, avec le début d’une vague de bombardements aériens d’une rare violence. C’est à 9 heures que les sirènes d’alerte de la ville retentissent pour la première fois. Une escadrille d'avions allemands "Heinkel" et "Stukas" lâche ses chapelets de bombes. André Patte, âgé de 14 ans, se cache sous une voiture. Lorsque les avions s’éloignent, il témoigne : "l’enfer était là ! Il y avait des corps partout, certains décharnés. Ils leur manquaient un bras, une jambe, d’autres étaient affreusement mutilés. Il y avait des morts partout et beaucoup de blessés. Tout le monde criait, hurlait…"
À 11h30, une seconde vague d’appareil semble cibler plus précisément le quartier de la gare où des réfugiés belges attendent depuis le 16 mai leur évacuation. Les raids se succèdent jusqu’à 18 heures. Le centre-ville historique est rayé de la carte. La collégiale Saint-Wulfran, joyaux du gothique, est en partie détruite.
L’hôpital n’est pas non plus épargné. C’est bientôt sans eau et sans électricité qu’il faut opérer les blessés qui arrivent en nombre après les avoir transférés au sous-sol.
Un très lourd bilan humain
Le calme revient en soirée mais le spectacle qui s’offre aux survivants est apocalyptique. Des équipes de bénévoles évacuent les cadavres souvent méconnaissables. La morgue est très vite saturée. On allonge les corps dans les jardins. L’identification est d’autant plus difficile puisque les victimes en grande majorité, ne sont pas abbevilloises.
Aucun bilan officiel n’a jamais été publié. On l’évalue à environ 2 500 morts et plusieurs centaines de blessés. Mais l’historien local Henri De Wailly pense qu’il est largement sous-estimé. Coté statistique, le coefficient de destruction de la ville est de 31%, le plus important après celui de Dunkerque.
Comment ne pas conclure par une question sans réponse ? Qu’est-ce qui, aux yeux des Allemands, justifiait un tel massacre alors qu’Abbeville n’était pas un objectif militaire ? La ville était très faiblement défendue, aucune réserve stratégique n’y était cantonnée et les nombreuses reconnaissances aériennes avaient pourtant bien confirmées la concentration de plusieurs milliers de réfugiés…