Tout au long du mois de mai, notre journaliste Jean-Paul Delance revient sur les événements de la Seconde Guerre mondiale qui ont marqué la Picardie, il y a 80 ans. Il nous raconte ici une bataille un peu oubliée de l'Histoire, pourtant meurtrière, qui a eu lieu du 25 mai au 9 juin 1940 à Amiens.
Décidément, Amiens a bien du mal à faire reconnaitre par les historiens l’importance des grandes batailles qui se sont déroulées à ses portes. Rappelons qu’il a fallu attendre un siècle pour que l’on célèbre enfin avec faste celle du 8 août 1918 qui fut pour les Alliés, l’étape essentielle vers la victoire finale.
Celle de 1940 est quant à elle tombée totalement dans l’oubli. Certes, elle n’a que retardé l’implacable rouleau compresseur allemand, mais ce serait faire peu de cas du sacrifice de tant de soldats lancés par le commandement français sur un champ de bataille qu’il considère perdu d’avance. Et comme, de surcroit, un lieu commun veut que l’armée française de l’époque ait fui sans combattre, voilà pour moi, une belle occasion de prouver le contraire.
Combat à armes inégales
Depuis le 20 mai, les Allemands occupent la ville et ont installé sur la rive sud du fleuve une "tête de pont" dans le village de Dury. Pendant plusieurs jours, on ne relève pas d’événements marquants. Chaque camp observe l’autre.Le 25, quelques obus s’abattent sur le quartier Saint-Acheul. Cette fois ce sont des tirs français, de quoi inquiéter les Allemands. Ces tirs sporadiques mais souvent meurtriers vont durer jusqu’au 4 juin. Au même moment, les troupes de la 7e armée du général Frère s’installent dans tous les villages au sud de la ville, dans un périmètre qui va d’est en ouest de Longueau à Vers-sur-Selle et du nord au sud, de Dury au Bosquel.
Ces soldats appartiennent à deux divisions d’infanterie, la 16e et la 24e, soit environ 35 000 hommes. Elles n’ont pour appui que quelques dizaines de chars Renault R35 et souffrent en plus d’un manque cruel d’artillerie. En face, le général allemand Wietersheim prépare la riposte. Il dirige le 14e Panzerkorps qui totalise 428 chars et 68 000 hommes.
Les Français tiennent le choc
Malgré cette flagrante infériorité numérique et matérielle, les français vont résister à l’assaut ennemi déclenché le 5 Juin. Ce jour-là, des dizaines de Panzer sont détruits et l’infanterie allemande est clouée au sol. Le commandant Von Jugenfeld témoigne : "Leur défense est vraiment trop forte et nous avons trop peu de munitions pour les canons de nos chars."
Dans les jours suivants, la bataille fait rage. Un vétéran de la Grande Guerre écrira plus tard : "C’était comme à Verdun !" Un succès d’autant plus méritable qu’aucun renfort n’est venu prêter main forte à nos soldats. Cette résistance ira même jusqu’à étonner Maxime Weygand, le nouveau chef des armées qui vient de remplacer Gamelin.
Le 9 Juin, le 14e Panzerkorps est décimé. Les Allemands sont contraints à arrêter l’offensive dans ce secteur. Pour eux, le bilan est très lourd. Face à nos fantassins, ils ont perdu 235 chars et 27 200 soldats, tués ou blessés.
Les Français aussi alignent de lourdes pertes. La 16e division a perdu 70% de ses effectifs, la 24e environ 40%.
Ce succès sera pourtant de courte durée car les Français encerclés devront faire retraite plus au sud pour se dégager.
On le voit, les Français se sont bien battus. Alors pourquoi cette bataille ne figure pas dans les livres d’histoire ? Vous me permettrez une hypothèse. Je pense qu’elle est restée dans l’ombre de deux autres affrontements presque contemporains : les batailles de Montcornet et d’Abbeville dirigées par celui qui sera l’exemple même de la résistance à l’envahisseur, Charles de Gaulle.