Dans les cinq départements des Hauts-de-France les plantations de vignes s'accélèrent. Le réchauffement climatique offre cette nouvelle possibilité de diversification aux agriculteurs. Certains choisissent de produire leur propre vin, d'autres s'en remettent à une société de négoce.
Un nouveau métier pour raviver la passion
Ils sont sept agriculteurs à se lancer dans l'aventure. Benoit Davin est installé à Mortefontaine, un village à quelques kilomètres de Soissons. Il plantera sa vigne la dernière semaine d'avril. Les autres sont de Corcy, Oigny-en-Valois, Crouy ou Ambrief. Au total un peu moins de dix hectares seront cultivés dans leurs différentes parcelles.
Une nouveauté pour ces exploitants jusque-là plus accoutumés à la betterave ou à la pomme de terre. Benoit Davin qui est à la tête de ce groupement de néo-viticulteurs explique: "Il s'agit pour nous de trouver une nouvelle source de revenus et de s'adapter aussi au changement climatique". De fait, la fin des quotas pour la betterave et les aléas climatiques rendent les grandes cultures aujourd'hui moins attractives. Elles ne garantissent plus les revenus conséquents d'il y a quelques années.
L'investissement dans ce nouveau vignoble avoisine les 30 000 euros par hectare, les premières vendanges sont prévues dans trois ans."Nous avons sélectionné de nouveaux cépages issus de croisements qui nécessitent moins de traitements car plus résistants aux maladies".
"Cette vigne sera bio" ajoute Benoit Davin qui énumère des noms peu connus du grand public : Muscaris et Sauvignier gris pour le blanc, le Cabernet Cortis pour le rosé. La vinification aura lieu sur place et à terme les vins seront rattachés à l'IGP Île-de-France. Les nouveaux viticulteurs prévoient de grouper une petite partie de leur production seulement, le plus gros des vendanges sera transformé par chacun des partenaires.
Si c'est pour vendre des grappes comme mes céréales cela ne m'intéresse pas
Bruno Cardot plantera lui ses vignes début mai avec un autre agriculteur à Moÿ-de-l'Aisne, beaucoup plus au nord dans le département. Un hectare et demi en Chardonnay pour un vin blanc non effervescent. Pour lui aussi il était inimaginable de vendre le raisin sans produire son vin : "Si c'est pour vendre des grappes comme mes céréales cela ne m'interesse pas" tranche t'il fermement. On sent l'excitation d'une nouvelle aventure poindre dans ses propos : "Nous voulons faire de la qualité, contrôler nous même la production du vin, le commercialiser en circuit court, c'est intellectuellement un nouveau défi".
Il s'agit également de renouer avec un passé dont il ne reste que quelques traces écrites : "Les ceps seront plantées dans un lieu-dit déjà nommé les vignes du Mont Pourceau". De fait tout le monde a oublié que jusqu'au début du 20e siècle la vigne était présente dans presque tous les villages de l'Aisne.
Le conseil municipal a pu visiter la future parcelle. Une page facebook a été créée par Bruno Cardot et son comparse Sébastien Varlet pour faire connaître leur initiative. Dans trois ans, les premières vendanges réuniront les bonnes volontés du village. Un évènement qui permettra aux exploitants de renouer un fil parfois distendu avec les riverains, d'échanger autour d'un produit qui laisse peu de Français indifférents. L'idée germe de remettre l'agriculture au centre du village là ou elle est souvent considérée comme une source de nuisances.
Un vin des Hauts-de-France
Ces agriculteurs ont préféré l'indépendance, ils n'ont pas voulu rejoindre Ternoveo qui s'est lancée en pionnier dès 2020 dans l'aventure. Cette société de négoce suit son plan de marche avec un objectif de 200 hectares plantés en Chardonnay dans les Hauts-de-France d'ici quatre ans. Christophe Dubreucq le directeur transition et innovation explique: "Jusqu'en 2018 FranceAgriMer interdisait la plantation de vignes non patrimoniales dans le Nord et le Pas-de-Calais, l'évolution réglementaire combinée au réchauffement climatique nous ont incité à nous lancer dans cette aventure".
Les parcelles transformées en vignoble ne représentent qu'une petite partie des exploitations concernées. Taille, palissage, on ne s'improvise pas pas viticulteur. Les agriculteurs volontaires sont formés quelques journées par semestre. En 2020 ils étaient dix à se lancer, vingt en 2021 et ils seront autant en 2022. Ternoveo joue la carte régionale : dès la fin de l'année des travaux seront lancés à Dompierre-Becquincourt dans la Somme pour la construction d'un chais. Un investissement d'un million d'euros pour plus d'un million de bouteilles produites chaque année à l'horizon 2025.
Le raisin venant des cinq departements des Hauts-de-France convergera là. "L'idée est de jouer sur la différence des terroirs des multiples parcelles dispersées dans la région dont le sol et le sous-sol ont été analysés pour arriver à donner son identité propre au vin" ajoute Christophe Dubreucq. Le responsable de Ternoveo à bien conscience d'être en terre de mission : "Les débuts seront modestes, nous partons de rien mais il s'agit de mettre au point un savoir faire pour nous permettre d'être plus ambitieux si les conditions sont réunies dans les années a venir".
Le vin sera produit en VSIG, vin sans identité géographique propre. Bio ou pas, la question n'est pas tranchée puisque les première années nécessiteront certainement des traitements pour protéger les jeunes ceps mais à terme rien n'est exclu. D'autres variétés pourraient s'ajouter au Chardonnay.
Limitée jusque là au sud de l'Aisne et à l'appellation Champagne, en toute humilité et tranquillement la vigne s'aventure ailleurs dans les Hauts-de-France. Le temps semble jouer en sa faveur.