Elle nous mitonne de savoureux petits plats depuis 1925. Née dans l’Aisne, en Picardie, la cocotte Le Creuset a traversé les époques sans souci du qu’en dira-t-on. Plus que jamais en vogue aujourd’hui, elle fait le bonheur des becs fins les plus délicats et s’est rendue indispensable dans les cuisines. Petite histoire d’une cocotte qui a plus d’un tour sous son couvercle
Elle s’appelle cocotte, mais elle n’est pas de celles qui s’habillent de papier, se parfument ou paradent au poulailler. Non, elle serait plutôt du genre à se blottir au coin du feu, en digne héritière d’une longue lignée gourmande de chaudrons et marmites. Dans la famille, ça mijote à qui mieux mieux depuis l’Antiquité.
>>> Avec Anne-Catherine Verwaerde, dans l'émission Intérieurs, chaque samedi à 12H55 sur France 3 Hauts-de-France, on chine et on découvre des pépites :
Il existe bien des marques de cocottes en fonte en France, concurentes de notre dame des Hauts-de- France, Le Creuset : Staub, Invicta, Chasseur ou Godin appartiennent tout autant au patrimoine de nos cuisines françaises.
Quand elle montre le bout de son nez sous le petit nom de cocotte, au 19ème siècle, l’évolution de l’espèce fait son œuvre. La révolution industrielle est passée par là, fini les bronzes - fer ou laiton de ses ancêtres, elle adopte la fonte. Côté look elle conserve la rondeur, les poignées et le couvercle de la mère marmite, mais accorde quelques concessions aux premiers fourneaux : il faut s’y poser donc elle se fait plus petite, et la cuisson dans l’âtre étant passée de mode elle envoie joyeusement balader anse et trépied.
Nouveau nom, nouvelle allure, la cocotte a déjà un tempérament de feu. Mais elle ne sait pas encore qu’elle rencontrera le creuset de son cœur en Picardie. Ni même que, bientôt, elle s’acoquinera à un émail volcanique qui changera sa destinée.
Entre la fonte et l'émail, un heureux mariage en terre picarde
En 1925, tandis que la France chantonne "Valentine" et ses petits petons, que le style "garçonne" fait fureur et qu’Alain Decaux gazouille ses premières histoires depuis son berceau, une drôle de petite rondouillarde vient s’enjailler sur les fourneaux. Depuis, plus rien ne l’arrête.
Il a suffi d’une rencontre entre deux industriels belges pour la lancer sur les rails de la renommée : Octave Aubecq est spécialiste de l’émail, Armand Desaegher de la fonte. En croisant leurs expertises et quelques prototypes plus tard, ils définissent un processus de fabrication inédit de la fonte émaillée.
Ils s’installent à Fresnoy-le-Grand, dans l’Aisne, pour y bâtir leur fonderie. L’endroit est pratique, situé au carrefour de plusieurs voies de transport, il permet un acheminement facile des matières premières.
Leur idée ? Créer une cocotte qui soit belle, de couleur, fonctionnelle, et d’une solidité sans faille. Leur trouvaille ? Le volcanique, cet émail orange vif inspiré de l’éclat de la fonte en fusion.
Les premières cocottes en fonte émaillée Le Creuset sont mises sur le marché dès 1925. Au cœur des années folles on aime les couleurs vives, la petite cocotte est déjà dans l’ère du temps !
Mijoter oui, mais en beauté
C’est ainsi, la cocotte aime se pomponner. Alors même si son orange volcanique et ses rondeurs sont emblématiques, elle est bien décidée à ne pas s’en contenter. N’est pas cocotte qui veut, dans la famille on se doit de rester fashion ! Ses créateurs l’ont bien compris, qui la font passer par toutes les couleurs. Quant à sa ligne, des designers gourmets se plaisent à la croquer, et ça, c’est tout de même le must.
Elle n’est pas peu fière, en 1958, d’arborer sa nouvelle silhouette : profilée, un rien futuriste, elle s’est allongée pour devenir rectangulaire. A nouvelle ligne nouveau petit nom, ce sera la Coquelle. Coup de jeune pour la cocotte, coup de maître pour son designer Raymond Loewy, la Coquelle est un best-seller qui s’accorde à merveille aux cuisines en formica des fifties.
Dans les années 70, elle ne rechigne pas à retrouver ses rondeurs avec la "Mama", sous le trait d’Enzo Mari. Sous celui de Jean-Louis Barrault, la voilà qui s’allonge de nouveau dans les années 80 avec la "Futura". Pas du genre à s’en formaliser, au contraire, la cocotte a les poignées résolument ancrées dans les époques qu’elle traverse. Et rigolote, avec ça : s’habiller en Star Wars ou faire la citrouille avec la Pumpkin, tant qu’elle est tendance, tout lui va, un rien l’habille !
Côté vestiaire, c’est la valse des émaux avec des couleurs en veux-tu en voilà : de l’orange au rose pâle, du vert au gris, du bleu au cassis etc, en passant par le fameux jaune Elysée dont raffolait Marilyn Monroe dans les années 60, au point de constituer sa collection personnelle de cocottes. Oui, la petite marmite a aussi une vie de star.
Et comme le top model a acquis une stature internationale, à chaque pays sa couleur et son modèle.
Être une cocotte, c’est tout un art : dans ce tourbillon effréné de lignes et d’émaux, elle est restée fidèle et n’a jamais cessé de glouglouter. Ouf, merci à elle.
La cocotte, l'ustensile doudou paré de toutes les qualités
Évidemment, ce n’est pas le doudou peluche que l’on rêve de poser sur l’oreiller… Mais posée sur le coin de la cuisinière, c’est d’un autre confort.
Que le premier qui n’ait pas succombé à ses fumets envoûtants lève la main ! Il faut bien se rendre à l’évidence, la cocotte est (aussi) un tantinet charmeuse. Les gourmets n’ont pas de mots assez doux pour la qualifier, sous son couvercle elle sait y faire pour promettre monts et merveilles de son petit ragoût savamment mitonné. Son look vintage et son glouglou évocateur ravissent les nostalgiques des tablées familiales d’antan et du sourire inoubliable de mamie au-dessus du fourneau, tandis que ses arômes enveloppants attirent dans sa cuisine cocoon les mélancoliques en quête de réconfort.
Bref, une cocotte tout en un qui promet une vraie tranche de bonheur : rassurante, réconfortante, et gage de régalade, aux pouvoirs hautement régressifs, mais qui font tellement de bien qu’on en devient accro.
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Il faut dire qu’elle est particulièrement chouchoutée pour répondre aux attentes de ses futurs aficionados, en backstage ça s’active. De la sortie du four à l’émaillage, quantité de paires d’yeux et de mains l’auscultent sous toutes les coutures : poncée, meulée, retouchée, polie…, ses courbures doivent être parfaites !
On ne lui refuse rien. Un moule en sable (seul capable de supporter les 1500° degrés de la fonte en fusion), individuel, spécialement conçu pour elle : détruit après chaque cuisson, il fait de la petite marmite un modèle unique. Un matériau, la fonte, qui excelle à capter la chaleur pour mieux la conserver et la distiller en douceur : la voilà nantie d’un art consumé de la cuisson à l’étouffée. Un émaillage en deux couches pour lui donner des couleurs, la préserver de la rouille et des adhérences : la cocotte est la pro de la caramélisation des sucs de cuisson, mais n’est pas du genre à brûler le gigot de 7H.
Quand elle sort de son nid à Fresnoy-le-Grand, la pimpante est fin prête à satisfaire les cuisiniers de tous poils addicts des petits plats mijotés… Et ça dure depuis 99 ans.
Ne lui dites pas qu’elle est d’un âge canonique, elle vous répondrait qu’elle est juste iconique. Pour preuve la collection jaune Elysée de Marilyn, vendue aux enchères en 1999 pour la modique somme de 25300 dollars. Ça s’appelle être une princesse, on n’en attendait pas moins d’elle.
Ses créateurs Octave Aubecq et Armand Desaegher la voulaient résistante, presque un siècle plus tard leur trouvaille a fait ses preuves. Mieux que ça, elle n’a pas pris une ride, ça laisse rêveur. Un secret ? Peut-être bien les voyages, qui, c’est bien connu, forment la jeunesse. La cocotte y emmène en balade sa maison mère, depuis le temps ces deux-là ne peuvent plus se passer l’une de l’autre : de lignes en lignes, de couleurs en couleurs et de collections en collections, elles écument les podiums. En France comme à l’étranger, la french cocotte fait salle comble, l’art de vivre et de cuisiner à la française, c’est elle.
>>>Fresnoy-le-Grand, ci-dessous , entre St Quentin et Maubeuge :
Mais un tel succès ne saurait lui faire tourner la tête. La maison Le Creuset est toujours ancrée à Fresnoy-le-Grand, la petite aristocrate des fourneaux est attachée aux traditions. Rien de tel que le bercail pour retrouver des couleurs. Oui, parce qu’on ne sait pas ce qu’elle nous mijote, mais il se pourrait bien qu’elle nous concocte de nouvelles fantaisies. Ses modèles vintage sont devenus collectors, mais pas de limite d’âge pour la cocotte : contemporaine un jour, contemporaine toujours, elle se doit de ne pas ternir sa réputation.
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