Adolescent, Alexis Tibaux n’a pas trop le goût de l’école. En revanche il a déjà le goût des belles choses, et surtout, une irrésistible attirance pour les tissus et les meubles. A 15 ans il se lance dans l’apprentissage, car c’est décidé, il sera artisan tapissier. Depuis 2018 il s’épanouit comme un poisson dans l’eau au cœur de son atelier lillois, L’adolescent d’alors était précoce mais il avait vu juste.
Artisan tapissier, l’option est peu banale pour un adolescent. Mais derrière ce choix, il y a peut-être une lignée : un arrière-grand-père antiquaire, un grand-père menuisier, des visites de brocantes avec son père quand il était enfant, le mobilier et l’artisanat ne sont pas loin. Comme l’envie de créer. Il a bien un temps pensé à être ébéniste, mais non, "franchement trop bruyant".
Après des années en collectivité au sein de classes bondées, le garçon aspire au calme ! À une certaine indépendance, aussi. Sa passion pour les textiles fait le reste, il choisit de suivre son apprentissage, à Paris, au sein de l’école d’ameublement de la Bonne Graine.
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Autant dire qu’il n’a pas froid aux yeux. Quand il quitte Illies, sa petite ville du Pas-de-Calais, pour rejoindre la capitale, le saut dans le vide est impressionnant. Mais il a un rêve en bandoulière, alors il s’accroche. Cinq ans d’apprentissage en alternance, partagés entre l’école à Paris et l’atelier de Jacques Fayolle à Cassel. Puis une année supplémentaire, réalisée à l’Université Régionale des Métiers et de l’Artisanat, à Tourcoing.
En six ans, Alexis Tibaux prend le temps de réussir trois CAP, de décrocher le Titre Entrepreneur de Petite Entreprise, et cerise sur le gâteau, d’être désigné Meilleur Apprenti de France 2011. En 2018 deuxième saut dans le vide, il ouvre son atelier à Lille, il n’a alors que 21 ans. Ça ne s’appellerait pas "avoir une idée en tête" ?
L'apprentissage, c'est la meilleure façon d'apprendre ce métier
Alexis Tibaux
Certes, mais pour peu qu’on y passe du temps. "Il faut baigner au minimum 4 ans dans le métier pour se débrouiller". Pour le coup, chez lui, le bain s’est transformé en immersion prolongée. Six années d’apprentissage pour se former à la tapisserie d’ameublement en siège et en décor, pour découvrir les moindres ficelles du métier, pour se familiariser avec l’histoire du mobilier, bref pour se rapprocher au plus près de l’excellence.
Sans oublier de grandir… Car l’air de rien, pendant tout ce temps, l’adolescent devient jeune adulte, met de côté sa timidité, retrouve confiance en lui et se prend à imaginer son petit atelier. Évoluer dans un milieu professionnel et côtoyer des collègues, toucher un salaire, c’est aussi mettre un pied dans la vraie vie. Effet au long cours chez Alexis, ça lui a donné des ailes.
Aujourd’hui, il accompagne à son tour une apprentie. À lui, désormais, de transmettre un savoir-faire, une passion et une insatiable curiosité pour ce qui fait le cœur de son métier : un joyeux brassage de textiles, de matières, de meubles et d’objets.
Évidemment sans cesser d’apprendre lui-même, la tapisserie évolue en permanence, alors pourquoi s’arrêter en si bon chemin…
La tapisserie en un mot : restaurer
À ses débuts, Alexis commence avec trois bouts de ficelle : un établi, un marteau pour taper ses clous et une machine à coudre d’occasion. L’argent n’est pas là pour acheter des collections, alors il se tourne vers les ressourceries, les vide-greniers et les brocantes. Quelques beaux draps anciens ou des cuirs chinés ici et là suffisent à redonner une nouvelle jeunesse aux meubles les plus défraîchis. Qui dit nouvelle jeunesse dit acquéreur, ils ne finiront pas au rebut.
S'il peut aujourd'hui acheter des collections la démarche est restée la même, car "on ne pourra pas en permanence continuer à fabriquer de nouvelles choses".
Restaurer est le mot qui dit tout : il parle d’un artisanat à sauvegarder, d’un savoir-faire et d’un patrimoine à transmettre. Mais il parle aussi d’une économie locale à valoriser en se fournissant au plus près de chez lui, de l’urgence à ne plus jeter mais à conserver. Avec une finalité, retrouver un art de vivre qui soit le plus vertueux possible. Conservons l’existant, trois clous et un marteau peuvent faire des merveilles.
Un meuble, ce n’est pas qu’un meuble
C’est même toute une aventure. Avec ses meubles, le tapissier voyage à travers les époques, les façons de vivre et les histoires. Qu’il s’agisse de la banquette 18ème, de la bergère Art Déco, de la chaise design ou du fauteuil de papa, ils ont tous quelque chose à raconter. Le souvenir d’un entretien incognito dans le boudoir d’un manoir, un courant artistique, le dessin d’un designer, le geste d’un artisan, l’émotion d’une famille qui se souvient du papa qui occupait le fauteuil.
C’est comme ça, chez Alexis les meubles sont habités. Qu’ils aient résidé dans un château ou dans un simple salon familial, ils sont toujours liés à une mémoire, et donc tous dignes d’intérêt. Pas de petits projets, donc. C’est pour chacun le choix minutieux d’une technique et d’outils adéquats, du tissu idéal qui les mettra en valeur. L’enjeu n’est pas mince, il faut réussir leur retour dans le temps d’aujourd’hui.
"Je trouve ça formidable, de transmettre quelque chose du passé vers votre intérieur à vous", un peu comme si le tapissier était le fil entre passé et présent. Et quand la bergère Art Déco aura retrouvé sa superbe et son confort, parée de son nouveau tissu, elle aura une nouvelle histoire à raconter : celle d’une envie de décoration, tout à fait personnelle.
L’intérieur doit être une prolongation de soi-même
Alexis Tibaux
Une vie sans textiles ? Alexis ne l’imagine même pas, ils sont bien trop réconfortants… Plus surprenant, ils pourraient même, peut-être, nous rappeler qui on est si on l’a oublié ! Des petits miroirs, en somme. Pourquoi choisir telle teinte, telle matière ou tel motif plutôt que tel autre ? Parce qu’une envie de décoration, c’est intime.
Alors avant d’habiller une fenêtre, un sol, un canapé ou un mur, Alexis prend le temps d’écouter cette envie. Au tout début, il y a la rencontre d’un goût et d’une aspiration. À lui de traduire cette rencontre pour créer le décor. "Il faut permettre aux gens d’extérioriser sur un visuel qui ils sont, les laisser être ce qu’ils sont, chez eux."
Drôle de paradoxe : ces textiles soigneusement choisis habillent nos intérieurs, tout en nous déshabillant un peu en levant un coin de voile sur ce que nous sommes... Malice de tapissier ?
Aujourd’hui, dans son atelier, Alexis est un bienheureux. Son tempo est celui de ses créations, il prend son temps dans un monde pressé. Sa passion sous le bras, il s’emploie à défendre son credo : oser se lancer et entreprendre, parce qu’il n’y a pas de petits métiers dès lors qu’on est passionné.
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Vous le rencontrerez peut-être au détour d’un vide-greniers, la chine est restée sa marotte. Il ne résiste pas au moindre SOS lancé par un objet en détresse, pour peu qu’il soit le plus inutile possible… Signe distinctif ? Alexis n’achète pas ses trouvailles, il les adopte. Oui, il est aussi comme ça. Avec un peu de chance, vous les découvrirez peut-être dans son atelier, mais pas sûr qu’il ait envie de s’en séparer.